Catégories
revues

Meir Vilner : Les origines de l’Etat d’Israël, 1945-1948

Article de Ber Kovner alias Meir Vilner paru dans La Nouvelle Critique, n° 11 (192), Nouvelle Série, février 1968, p. 47-56


Le document que nous publions ci-dessous est la première partie d’une étude rédigée par le camarade Meir Vilner, secrétaire du Bureau Politique du Parti Communiste d’Israël, député à la Knesset, à l’intention du numéro spécial de la revue Les Temps Modernes consacré au conflit israélo-arabe. On se souvient que ce numéro, bouclé le 27 mai 1967, avant le Blitzkrieg israélien, était sorti des presses après le cessez-le-feu.

Dès que la revue arriva à Tel-Aviv, le camarade Meir Vilner s’aperçut que son étude n’avait pas été publiée dans sa forme originale ; elle avait été réduite à sa deuxième moitié. Il adressa aussitôt à Jean-Paul Sartre une lettre de protestation qui a été publiée dans L’Humanité du 8 juillet 1967 et lui demanda de publier la partie de l’étude qui avait été supprimée dans le prochain numéro des Temps Modernes. Jusqu’à présent, cette revue n’a encore publié ni les passages en question, ni la lettre de notre camarade Vilner.

Ce document revêt une importance capitale, indispensable même, pour ceux qui veulent comprendre les problèmes qui se posent actuellement dans le Moyen-Orient.

Il n’est pas inutile de souligner aussi qu’au moment des événements de juin dernier, tous les Israéliens qui collaborèrent à ce numéro spécial de la revue Les Temps Modernes, sauf le camarade Meir Vilner, épousèrent les thèses sionistes et soutinrent la guerre d’agression déclenchée par le gouvernement pro-impérialiste d’Israël. Y compris Moshe Sneh qui, avec Mikunis, dirige un groupe qui a complètement abandonné la politique générale internationaliste et de défense de la paix du Parti Communiste d’Israël.

L’auteur de cette étude est le principal dirigeant, avec le camarade Tawfiq Toubi, du seul parti israélien qui, pendant le Blitzkrieg de juin dernier, fit courageusement front à la vague chauvine et défendit une politique internationaliste conforme tout à la fois aux intérêts du mouvement de libération des peuples arabes et des véritables intérêts du peuple et de l’Etat d’Israël.

En la publiant, nous pensons apporter une contribution importante à la connaissance des problèmes du Moyen-Orient. Et aider aussi notre propre combat pour une paix juste et durable dans cette région du monde.


C’est un problème difficile et douloureux que nous abordons ici, un problème qui – nous en sommes convaincus – ne peut trouver de solution pacifique et négociée que dans la mesure où une sage et juste politique est mise en œuvre, une politique réaliste qui reconnaisse le droit des peuples a disposer d’eux-mêmes. Seuls les ennemis de l’indépendance et de la liberté des peuples ont intérêt à ce que le conflit israélo-arabe se poursuive et à ce que le problème palestinien reste sans solution.

Il y a des gens qui, bien qu’ayant les meilleures intentions du monde, ne facilitent pas le règlement de ce différend, mais le retardent au contraire, en soutenant les positions chauvines de l’une ou l’autre partie. Il y a des amis sincères du peuple juif en qui le souvenir du terrible holocauste infligé à ce peuple par les bourreaux nazis, au cours de la deuxième guerre mondiale, suscite une sympathie profonde pour tout ce qui est juif, sans qu’ils distinguent la justice de l’injustice, le progrès de la réaction, le chauvinisme du véritable intérêt national. Une telle attitude dessert gravement le peuple israélien et renforce la position des dirigeants sionistes extrémistes, tout comme elle renforce les forces impérialistes auxquelles ces dirigeants sont liés. Elle n’aide en aucune façon l’Etat d’Israël à conquérir la paix et la sécurité. Il y a, d’autre part, des amis sincères des peuples arabes qui croient aider la nation arabe en soutenant des mesures extrémistes qui visent non seulement à obtenir la reconnaissance des droits légitimes du peuple arabe de Palestine, mais aussi à détruire l’Etat d’Israël. En agissant ainsi, ils n’aident pas à résoudre le problème, mais sont en fait fort loin d’une position juste et réaliste. Le résultat est que l’injustice historique dont pâtit le peuple arabe de Palestine se prolonge et qu’elle donne aux dirigeants sionistes pro-impérialistes une excellente arme de propagande.

Ces « bienfaiteurs » de part et d’autre ne font que compliquer les choses, et les seuls bénéficiaires en sont les impérialistes qui refusent de renoncer à leurs bases militaires dans cette partie du monde, à leur contrôle du pétrole du Moyen-Orient et à toutes leurs positions stratégiques hostiles à l’Union Soviétique. C’est pour toutes ces raisons que nous pensons – et l’expérience des dix-huit dernières années est là pour renforcer notre conviction – qu’il faut aborder ce problème dans son ensemble et d’une manière objective, trouver une solution de principe et réaliste, aboutir à un règlement pacifique et négocié, dans l’intérêt des deux peuples concernés, le peuple d’Israël et le peuple arabe de Palestine, dans l’intérêt de la lutte commune contre l’impérialisme, dans l’intérêt de la paix et de la sécurité.

88 % de la population d’Israël est juive. Pour la majorité des Juifs, immigrants de fraiche date ou nés après la création de l’Etat d’Israël, cet état de choses est parfaitement naturel et on ne peut plus simple. Certes, ils savent qu’il y a le problème des réfugiés arabes de Palestine qui vivaient, comme l’avaient fait avant eux d’innombrables générations de leurs ancêtres, dans les villes et les villages de ce pays où ils vivent maintenant. Ils savent aussi qu’il n’y a pas de traite de paix entre Israël et les Etats arabes, mais la propagande officielle en Israël essaie d’accréditer l’idée que tout pourrait s’arranger le plus simplement du monde, si seulement les Etats arabes reconnaissaient l’Etat d’Israël et ses frontières actuelles, et intégraient dans leur territoire les réfugiés arabes de Palestine.

C’est la raison pour laquelle nous attachons tellement d’importance à la connaissance des données historiques, des origines du conflit israélo-arabe et de la nature du problème palestinien a l’heure actuelle.

La Palestine sous mandat britannique

La Palestine était une colonie britannique. Officiellement, c’était un territoire sous mandat, c’est-à-dire que la Société des Nations avait donne à la Grande-Bretagne un mandat sur la Palestine, après que les troupes britanniques aient pris le pays aux Turcs a la fin de la première guerre mondiale. Comme on le sait, la Grande-Bretagne et la France se partagèrent cette région du Moyen-Orient jusqu’alors contrôlée par la Turquie, en application des accords secrets Sykes-Picot, signés en 1916.

Bien que la Grande-Bretagne se soit engagée, devant la Société des Nations, à faire accéder à l’indépendance le territoire placé sous son mandat, l’impérialisme britannique fit tout ce qu’il put pour empêcher la lutte pour l’indépendance. Les autorités noyèrent dans le sang et le feu toute tentative de soulèvement contre l’occupation étrangère en vue de libérer le pays ; ils semèrent la dissension, de propos délibéré, entre Juifs et Arabes, et, avec l’aide de leurs agents, provoquèrent des affrontements sanglants entre les deux peuples, en vertu du principe bien connu des occupants : « Diviser pour régner. » Avec cette idée en tête, et dans l’intention de se trouver des alliés dans les deux camps, les colonialistes britanniques firent des promesses contradictoires aux dirigeants du mouvement nationaliste arabe, d’une part, et aux dirigeants du mouvement sioniste, d’autre part.

Les autorités britanniques virent dans le mouvement sioniste une arme commode contre le mouvement nationaliste arabe, en même temps qu’un allié sûr dans le pays, qui résisterait à l’abolition du mandat britannique et au retrait des forces britanniques de la Palestine. Ils avaient vu juste : tous les partis sionistes, sans exception, collaborèrent avec les autorités coloniales d’occupation. « Conquête de la terre » – en d’autres termes, expropriation des fellahs arabes – devint un mot d’ordre patriotique. Ces « conquêtes » furent facilitées par la loi agraire ottomane qui datait de l’occupation de la Palestine par les Turcs, et qui resta en vigueur sous le mandat britannique. Cette loi stipule que les fermiers n’ont aucun droit sur la terre qu’ils cultivent, et comme la grande majorité des fellahs arabes de Palestine étaient, en fait, des fermiers, qui, comme leurs ancêtres l’avaient fait pendant des siècles, travaillaient pour des propriétaires fonciers, il fut possible aux organisations sionistes (Keren Kayamet, P.I.C.A., etc.) d’acheter des terres aux grands propriétaires fonciers arabes qui, le plus souvent, ne résidaient même pas dans le pays, et sur la base de ces très nombreuses transactions, d’obtenir des tribunaux britanniques qu’ils expulsent les Arabes, par villages entiers, des terres qu’ils avaient cultivées et sur lesquelles ils avaient vécu depuis des générations. Ces transactions étaient légales au regard de la loi agraire réactionnaire turque, qui stipulait que ceux qui travaillaient la terre n’en étaient pas les propriétaires, et étaient seulement les fermiers des propriétaires fonciers. Cette lutte pour la terre et l’expulsion par la force des Arabes de villages entiers furent la cause de la plupart des affrontements qui mirent aux prises les Juifs et les Arabes, à la plus grande joie de l’administration britannique.

La « conquête du travail » fut le second mot d’ordre avancé par les dirigeants des partis sionistes, à l’époque du mandat britannique : le résultat fut que les travailleurs arabes perdirent leur travail, en particulier dans les orangeraies dont les propriétaires étaient juifs.

Tout ceci développa l’amertume et l’hostilité entre travailleurs juifs et travailleurs arabes, et des affrontements sérieux en résultèrent souvent. Les travailleurs juifs révolutionnaires, et en tout premier lieu les communistes, organisèrent la défense des travailleurs arabes cruellement attaqués et chassés de leur travail. Telle fut la toile de fond des procès organisés par l’autorité réactionnaire Histadrut contre les ouvriers démocrates juifs, et en particulier contre les communistes – le plus honteux de tous étant sans doute le procès Histadrut qui eut lieu à Nes-Ziona en 1932, et au cours duquel D. Ben Gourion loua, en tant que procureur, l’ « acte » patriotique qui consistait à priver les Arabes de leur travail.

« Produits hébreux (juifs) » – ou selon la formule officielle, « produit national » – fut un autre slogan cher aux dirigeants des partis sionistes. « N’achetez pas de produits arabes. » « N’achetez que des produits hébreux ! … » Des affiches géantes ainsi libellées furent placardées sur tous les murs, avec la signature de tous les mouvements de jeunesse sionistes, allant du fasciste Betar (Révisionnistes) jusqu’au « marxiste » Hashomer-Hatzair.

Pourtant, ce qui unissait le plus profondément les dirigeants de tous les partis sionistes, c’était la lutte contre l’indépendance de la Palestine. L’ennemi, pour eux, c’était le peuple arabe, et non l’administration coloniale étrangère en qui ils voyaient une alliée dans la lutte contre le mouvement de libération nationale arabe, contre les ouvriers et les fellahs arabes, et pour la création d’une majorité juive qui pourrait s’emparer de toute la Palestine et liquider les droits du peuple arabe. L’histoire de la Palestine pendant la plus grande partie du mandat britannique, c’est l’histoire de la lutte menée par le mouvement nationaliste arabe contre l’occupant étranger et ses alliés, lutte qui, plus d’une fois, mit sérieusement en difficulté l’administration britannique en Palestine. L’impérialisme réussit parfois, avec l’aide de dirigeants arabes qui étaient ses valets, à dévoyer la lutte et à l’orienter contre le Yishuv juif (communauté juive de Palestine).

A la veille de la seconde guerre mondiale, le haut comite arabe, présidé par le Mufti de Jérusalem, Haj Amin el-Husseini, prit contact avec les dirigeants de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, ce qui fit grand tort à la cause de la libération nationale du peuple arabe de Palestine. La faiblesse et les compromissions de la direction du mouvement nationaliste arabe en Palestine, à la veille de la seconde guerre mondiale, ainsi que pendant et après la guerre, vinrent de la faiblesse de la bourgeoisie nationale arabe en matière économique et politique. La bourgeoisie nationale arabe essaya bien de créer son propre parti politique indépendant en 1946, mais elle dut y renoncer sous la pression des partisans du Mufti qui eurent même recours à des méthodes terroristes pour réduire au silence leurs adversaires au sein du mouvement nationaliste arabe (assassinat de Sami Taha, secrétaire de l’association ouvrière de droite).

Le régime colonial se servit aussi de l’immigration (juive) dans le cadre de sa politique consistant à « diviser pour régner ».

Apres la seconde guerre mondiale et la défaite du fascisme allemand, l’influence et le poids grandissants de l’Union Soviétique, ainsi que la formation de Démocraties Populaires en Europe, furent autant de conditions plus favorables à la lutte des peuples en vue d’obtenir leur libération nationale. Les masses juives et arabes de la Palestine réclamèrent plus énergiquement que jamais la fin de la domination étrangère et l’indépendance nationale.

Le débat au sein du mouvement sioniste

Alors même que la guerre n’était pas encore terminée, un nouveau débat s’était ouvert au sein du mouvement sioniste. La majorité se rallia à la position de Ben Gourion qui devait être formulée dans le Programme Biltmore adopté en 1942, et qui demandait que la Palestine tout entière (Eretz Palestine) devienne un Etat juif. Les adversaires de cette position appartenaient à d’autres cercles sionistes qui étaient hostiles à l’abolition du mandat britannique tant qu’il n’y avait pas de majorité juive en Palestine. Le parti Hashomer Hatzair (le Mapam d’aujourd’hui) était favorable au maintien de la domination étrangère et avança, pour l’avenir, le mot d’ordre d’ « Etat binational » pour l’ensemble de la Palestine, à condition qu’il y ait une majorité juive. Les mandataires britanniques ou une « Administration Internationale » devaient en assurer la réalisation.

Dès la 43e session du Conseil Histadrut, qui eut lieu à Rehovot le 9 juin 1941, Ben Gourion avait ainsi résumé la discussion qui se poursuivait alors au sein du mouvement sioniste :

« J’étais favorable à un Etat juif, alors que Hazan (du Hashomer Hatzair) était favorable au mandat britannique … Hazan était favorable au mandat britannique étendu à l’ensemble de la Palestine, alors que j’étais favorable à la création d’un Etat juif dans une partie de la Palestine … »

De la fin de la seconde guerre mondiale à la création de l’Etat d’Israël (1948), le débat se poursuivit sous diverses formes au sein du mouvement sioniste. La majorité du mouvement sioniste, sous la direction de Ben Gourion, prit même des positions encore plus extrêmes.

Les organismes dirigeants du mouvement sioniste adoptèrent comme plate-forme le programme de Biltmore, qui réclamait que l’ensemble de la Palestine devienne un Etat juif, et ignorait complètement le peuple arabe de Palestine pourtant majoritaire dans le pays. Pour arriver à ses fins, le groupe dirigeant conduit par Ben Gourion était prêt à collaborer avec un impérialisme « nouveau venu » dans cette partie du monde et que la seconde guerre mondiale avait laisse plus puissant que jamais : l’impérialisme américain.

Quant au mouvement d’extrême droite Herut, héritier de l’organisation clandestine I.Z.L. et du Parti Révisionniste fondé par Jabotinsky – et maintenant dissous – il soutenait lui aussi le Programme Biltmore, mais préférait, pour sa part, s’appuyer sur l’impérialisme français auquel il était étroitement lié depuis la deuxième guerre mondiale. En outre, le programme du mouvement Herut réclamait la création d’un Etat juif, non seulement dans toute la Palestine, mais sur les deux rives du Jourdain : « Celle-ci est à nous, et l’autre aussi ! »

Les liens étroits entre les partis sionistes et les puissances impérialistes

Pendant ces mêmes années 1945-1946, les dirigeants sionistes, pour la plupart, continuaient à demander que l’on renouvelle la vieille alliance avec l’Empire britannique. Le débat entre dirigeants « loyalistes » et dirigeants « activistes » ne tournait pas autour d’objectifs politiques, mais autour des moyens d’assurer à nouveau au mouvement sioniste l’appui de l’Empire britannique. Il faut pourtant remarquer que les masses populaires voulaient une indépendance réelle, complètement débarrassée du joug étranger. En 1948, au moment où les groupes para-militaires du mouvement sioniste, l’Haganah, organisaient des attentats contre les institutions britanniques dans le pays, on pouvait lire dans l’ « Hachoma » (« le Rempart »), organe de l’Haganah :

« Le but de notre lutte n’est pas de chasser les Anglais de notre pays, mais de renouveler l’alliance avec l’Angleterre. » Et plus loin : « Il n’y a, à notre connaissance, absolument aucun conflit d’intérêts entre la Grande-Bretagne et nous. Nous n’avons aucun intérêt à affaiblir la position de la Grande-Bretagne dans le monde, pas plus qu’au Moyen-Orient ou en Palestine. »

Au plus fort des attaques de l’armée britannique contre les possessions des colons juifs, le docteur Weizmann, président de l’Organisation Sioniste, déclarait : « Nous avons soutenu la Grande-Bretagne et nous continuerons à le faire à l’avenir. » Ben Gourion, Sharett, Goldmann, Weizmann, Golda Meir, qui défendaient la position de l’Organisation Sioniste et de son Agence juive, étaient opposés au transfert du problème palestinien à l’Organisation des Nations Unies ; ils firent tout leur possible pour empêcher que le problème palestinien échappe aux manigances impérialistes – fussent-elles britanniques ou américano-britanniques – et empêcher l’Union Soviétique de participer au règlement du problème. Ainsi, le 24 octobre 1946, Nahoum Goldmann, dirigeant sioniste américain, alors chargé de négociations à Londres au nom de l’Agence juive, déclarait :

« Les sionistes sont prêts à autoriser la Grande-Bretagne à installer des bases militaires, navales et aériennes en Palestine, si la Grande-Bretagne donne son accord quant à la création d’un Etat juif englobant 65 % du territoire de la Palestine. L’établissement de bases en Palestine sera aussi proposé aux Etats-Unis, à condition qu’ils soient capables de s’acquitter de missions défensives dans cette région et qu’ils soient prêts à le faire … (missions défensives contre l’U.R.S.S., cela va sans dire – M.V.). Soumettre le problème palestinien à l’O.N.U. ne nous vaudra qu’un retard supplémentaire … »

M. Sharett, alors directeur de la commission politique de l’Agence Juive, déclara le 27 mars 1947 :

« Nous ne sommes nullement pressés de recourir à l’O.N.U. … notre présence au Moyen-Orient est un atout pour l’Amérique … »

Tandis que Golda Meyerson (Meir) disait à Tel-Aviv, le 28 mars 1947 :

« Nous ne sommes pour rien dans le fait que le problème palestinien ait été soumis aux Nations Unies – nous avons fait tout notre possible pour aboutir à une entente avec l’Angleterre … »

L’histoire a montré à quel point les dirigeants sionistes manquaient de prévoyance, elle a aussi montré que ces dirigeants agissent au mépris des intérêts d’une véritable indépendance nationale, du progrès et de la paix, et que seul les guide le désir d’une alliance avec les puissances impérialistes contre l’Union Soviétique. Le chef de la délégation du Parti Révisionniste d’extrême droite au congrès sioniste en Angleterre déclarait, lors d’une conférence de presse à Tel-Aviv, le 21 août 46 :

« Il est de notre devoir de convaincre les Anglais et les Américains que des considérations stratégiques font précisément d’une communauté juive libre en Palestine un réel atout, et non un obstacle, dans la lutte entre le monde anglo-saxon et les Russes … Nous devons persuader les Anglais que les intérêts de l’armée britannique coïncident entièrement avec les exigences sionistes … Nous devons être un maillon de la chaine anglo-américaine. »

Le 4 octobre 46, l’organe du Parti révisionniste en Palestine, « Hamashkif », écrivait :

« Nous aspirons à une alliance avec l’Empire britannique et non avec les pays d’Asie ou avec la fédération russe. »

On sait déjà que Richard Crossman, membre de la Commission d’enquête de 1946, a certifié dans son livre « Palestine Mission » que Ben Gourion avait aussi déclaré :

« Si la Grande-Bretagne approuve la création d’un Etat juif dans une partie de la Palestine, nous sommes prêts à lui accorder une base contre la Russie. »

Au cours de ces mêmes années, le mouvement Hashomer Hatzair continua comme auparavant à développer son idée d’ « Etat binational » … à la condition expresse qu’il y aurait une majorité juive, et plus concrètement, il se prononça en faveur de la poursuite du mandat britannique, ou, tout au plus, pour son remplacement par une « administration internationale », ce qui, dans les conditions internationales qui étaient celles du Moyen-Orient immédiatement après la seconde guerre mondiale, revenait à approuver un mandat colonial anglo-américain.

Au mois de mars 1946, le Hashomer Hatzair (Mapam d’aujourd’hui) présenta un mémorandum à la Commission d’enquête anglo-américaine en Palestine, où l’on pouvait lire :

« Nous suggérons de placer la Palestine pour les 20 ou 25 années à venir sous le contrôle d’une autorité internationale chargée de veiller à son développement et dont les objectifs seraient : a) d’encourager l’installation d’au moins 2 à 3 millions de Juifs en Palestine au cours des 20 ou 25 prochaines années. »

Ce mémorandum allait même plus loin :

« Il n’est pas illusoire d’espérer l’installation de quelques millions de Juifs en Palestine, sur les deux rives du Jourdain, en l’espace d’une ou deux générations, sans violer pour autant les droits des Arabes. »

Comment ce projet allait-il être mené à bien, en particulier sur ce dernier point, « sans violer les droits des Arabes » ? La réponse du Hashomer Hatzair dans ce même mémorandum était la suivante : ce projet

« est réalisable sans aucune difficulté particulière si les grandes puissances décident qu’il doit être mis en application ».

Le mémorandum Hashomer Hatzair prévoit très explicitement la création d’une majorité juive en Palestine comme condition nécessaire de l’indépendance et de l’abolition de la domination étrangère, avec l’aide de laquelle le Hashomer Hatzair voulait mener à bien ses objectifs sionistes-maximalistes en s’abritant derrière d’hypocrites déclarations selon lesquelles, par la suite, après la création d’une majorité juive en Palestine, il condescendrait à accorder un statut d’égalité à la minorité arabe.

La leçon qu’il faut tirer de tout ceci, c’est que tous les partis sionistes – quelles que soient les différences qu’il y a entre eux – et dont il faut tenir compte- voyaient dans la collaboration avec l’impérialisme le moyen de réaliser leurs objectifs. C’est pourquoi le mouvement sioniste n’est pas un mouvement de libération nationale, mais un mouvement pro-impérialiste au Moyen-Orient et dans l’arène internationale. Ceci a été récemment illustré par les évènements de 1956.

La plate-forme des milieux politiques arabes

Immédiatement après la guerre, alors que le problème palestinien en était à une étape décisive, la population arabe de Palestine était officiellement représentée par le haut comité arabe, dont le président était le Mufti de Jérusalem, Haj Amin el-Husseini, et le vice-président Jamal Husseini.

Les milieux réactionnaires arabes de Palestine essayèrent d’arriver à un compromis avec l’impérialisme qui, ils l’espéraient, les aiderait à préserver une structure sociale archaïque, en particulier dans les villages arabes. Le fait qu’une partie de la bourgeoisie arabe ait été liée aux propriétaires fonciers, d’une part et au capital britannique d’autre part, la faiblesse générale de la bourgeoisie nationale arabe et l’échec qui fut le sien dans sa tentative de devenir une force politique indépendante impliquaient que la direction du haut comité arabe soit aux mains des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie réactionnaire, d’où son empressement à s’entendre avec les impérialistes.

Il faut noter que le haut comité arabe se présenta devant la Commission d’enquête anglo-américaine, en 1946, mais boycotta la Commission spéciale de l’O.N.U. en Palestine, en 1947. Dans sa déposition devant la Commission d’enquête anglo-américaine, Jamal Husseini réclama, au nom du haut comité arabe, l’abolition du mandat britannique et le retrait des troupes britanniques de la Palestine. Cette dernière revendication ne fut presque jamais, par la suite, reprise publiquement par les dirigeants arabes de droite, et semble n’avoir été qu’un hommage de pure forme aux désirs populaires.

Il est intéressant de remarquer, dans ce contexte, qu’à la conférence tripartite de Londres réunie par le gouvernement britannique d’août 1946 à janvier 1947, les représentants des gouvernements arabes n’insistèrent pas sur le retrait des forces britanniques de Palestine. Qui plus est, ils prirent l’initiative de demander que pendant la « période transitoire », le droit de veto soit reconnu au haut commissaire britannique en Palestine. Notre parti eut tout à fait raison de dire qu’une telle revendication d’indépendance revenait simplement à demander une indépendance selon le modèle « transjordanien », c’est-à-dire la création d’une base militaire britannique dirigée contre les masses arabes, les masses juives et contre l’Union Soviétique.

En ce qui concerne les relations judéo-arabes, la délégation des gouvernements arabes ne put ignorer complètement la situation nouvelle et, pour la première fois dans l’histoire du mouvement national arabe, elle inclut dans le programme politique des Etats arabes le principe en vertu duquel le gouvernement palestinien qui serait finalement forme ne serait pas exclusivement arabe, mais comprendrait des Juifs et des Arabes ; en outre, elle suggéra un certain rapport numérique entre les deux groupes qui composeraient le gouvernement, proposition destinée à obscurcir la conscience de classe des ouvriers et des fellahs, et à empêcher l’union internationaliste des travailleurs des deux peuples de Palestine. Le fait même que la direction réactionnaire de la Ligue des Etats arabes ait dû renoncer à la formule traditionnelle d’ « un gouvernement exclusivement arabe » était le signe des changements qui s’étaient produits en Palestine, et de la nécessité d’un plan politique qui tienne compte – ne fut-ce qu’implicitement – du caractère judéo-arabe du pays.

En conclusion, le Parti communiste palestinien, lors de son 10e Congrès, en 1946, rejeta le projet de la Ligue arabe en vue d’une solution du problème palestinien, pour les raisons suivantes :

1) Ce projet ne demandait pas le retrait des troupes britanniques de Palestine.

2) Il suggérait que le droit de veto soit accordé au haut commissaire britannique.

3) Il ignorait le problème de la paix mondiale et l’Organisation des Nations Unies, et essayait d’aboutir à un accord avec l’impérialisme, afin d’empêcher l’URSS de prendre part au règlement du problème (sur ce point, comme en fait sur les deux autres, il y avait une complète identité de vues entre les représentants de la Ligue arabe et ceux des organismes dirigeants de l’Agence juive et du mouvement sioniste).

4) Ce plan n’était pas démocratique, ne prévoyait aucune garantie des droits des masses juives et arabes, pas plus qu’il ne prévoyait l’établissement d’organisations démocratiques et autonomes en Palestine. Ce que le plan envisageait, en fait, c’était un gouvernement « indépendant » composé de membres arabes et juifs désignés par le haut commissaire britannique et le commandement militaire britannique.

5) Il encourageait la politique impérialiste consistant à « diviser pour régner » par son opposition à tout accord démocratique entre les Juifs et les Arabes sur les problèmes fondamentaux du pays et sur les questions de l’immigration juive et de l’achat de terres par les Juifs, tous ces problèmes devant être réglés en accord avec l’impérialisme britannique.

Mais mêmes ces propositions des Etats arabes parurent excessives au « Parti palestinien arabe » husseinite, qui était alors le parti dirigeant parmi la population arabe de Palestine. Ce qui lui déplaisait, ce n’étaient pas tellement les clauses pro-impérialistes de ce plan, que la promesse faite aux juifs qu’ils seraient représentés au sein du gouvernement palestinien lorsqu’il aurait été formé. Le 6 octobre 1946, « El Wahda », organe du Parti arabe palestinien (parti Husseini) commenta de la façon suivante le programme politique qui avait été soumis à la Conférence de Londres par les Etats arabes :

« Le plan envisage la formation d’un gouvernement palestinien, dont le tiers des membres seraient juifs, et il recommande que cette proportion soit respectée dans tous les organes de gouvernement. Ce principe de représentation proportionnelle est pourtant inacceptable pour les Arabes … Car il met en danger l’avenir même des Arabes en Palestine. »

En adoptant cette position, en s’opposant au principe d’un gouvernement judéo-arabe, le Mufti et ses partisans firent grand tort à leur peuple et encouragèrent l’impérialisme et la réaction sioniste pro-impérialiste, tout comme la réaction sioniste encourageait l’impérialisme et la réaction arabe.

Le « Parti arabe de Palestine » ne se contentait pas de rejeter le principe d’une administration arabo-juive en Palestine, il refusait de reconnaître aux Juifs vivant alors dans le pays le droit automatique à la citoyenneté palestinienne. Le journal « El Wahda » poursuivait :

« Ce plan stipule que les Arabes sont prêts à accorder la citoyenneté palestinienne aux Juifs vivant dans ce pays … , mais quels sont les Juifs qui devront être considérés comme Palestiniens ? Les Arabes ne peuvent, en aucune circonstance, reconnaitre comme citoyens palestiniens tous les Juifs qui ont obtenu la citoyenneté palestinienne avant 1939. Ils ne sauraient davantage accepter la proposition faite par les délégations arabes selon laquelle tout Juif ayant résidé 10 ans en Palestine deviendra citoyen palestinien … seuls les Juifs qui vivaient déjà en Palestine en 1918 peuvent être, ainsi que leurs descendants, considérés à juste titre comme citoyens palestiniens. »

Le 10e Congrès du Parti Communiste qui se tint en 1946 condamna les propositions du « Parti arabe de Palestine » dont la nature réactionnaire encourageait l’impérialisme :

« Il est clair, une fois de plus, que les grands propriétaires fonciers féodaux et les capitalistes arabes n’ont rien appris et rien oublié. Le plan des Husseinites est destiné à empêcher tout accord entre Juifs et Arabes, et à faire obstacle à la lutte des Palestiniens pour leur libération … L’attitude du « Parti arabe de Palestine » oblige les forces progressistes du mouvement national arabe à mener de front la lutte contre l’impérialisme et la lutte contre les projets réactionnaires des Arabes qui se font les agents de l’impérialisme. Il ne peut y avoir d’aide plus grande à l’impérialisme et aux dirigeants sionistes réactionnaires que les « projets » de Jamal Husseini … »

Le Parti Communiste dénonça ces positions réactionnaires avec la même énergie qu’il avait mise à dénoncer les plans de la réaction juive.

La position des communistes

Les communistes étaient le seul parti de Palestine à proposer une plate-forme démocratique et anti-impérialiste, prenant en considération les intérêts nationaux des deux peuples juif et arabe.

Notre Parti Communiste fut le seul à faire une analyse sérieuse et scientifique, basée sur des faits historiques, économiques et politiques, de la nouvelle situation en Palestine, telle qu’elle résulterait d’un développement objectif. Le Parti Communiste préconisa l’abolition immédiate du mandat britannique, le retrait des forces britanniques de Palestine et l’indépendance des deux peuples de Palestine.

Le Parti Communiste était le seul parti qui ait une ligne politique anti-impérialiste cohérente, le seul qui s’oppose au remplacement d’un impérialisme par un autre, ainsi qu’à l’idée de « colonialisme collectif », et s’appuie sur les intérêts nationaux des deux peuples de Palestine – les Juifs et les Arabes. Dans sa déposition devant la commission d’enquête anglo-américaine en 1946, et devant la commission spéciale de l’O.N.U. (U.N.S.C.O.P.) en 1947, notre parti déclara formellement qu’il s’opposerait à « une administration britannique aussi bien qu’à une administration anglo-américaine ».

« Le problème palestinien – déclara notre parti – n’est pas un problème d’antagonisme entre Juifs et Arabes. Le problème de la Palestine est celui d’un pays colonisé qui subit une domination étrangère et cherche à conquérir son indépendance. La source de ce problème, c’est le conflit d’intérêts qui oppose l’impérialisme britannique aux habitants juifs et arabes de ce pays. La tension actuelle entre Juifs et Arabes ne saurait justifier la domination britannique et la présence de l’armée britannique en Palestine. C’est le contraire qui est vrai : 28 ans d’administration britannique et de présence des troupes britanniques en Palestine sont la cause essentielle des relations actuelles entre Juifs et Arabes … étendre l’autorité britannique ne servirait qu’à aggraver les antagonismes arabo-juifs. » (Extrait de la déclaration faite devant l’U.N.S.C.O.P. en juillet 1947 par le Parti Communiste Palestinien.)

C’était remettre les choses sur leurs pieds, et non donner à l’opinion publique juive une fausse image de la réalité, comme le faisaient les partis sionistes, tandis que les dirigeants arabes, qui contrôlaient le haut comité arabe faisaient de même pour l’opinion publique arabe. Ces derniers avaient également le tort de ne pas tenir compte des derniers développements de la situation en Palestine et d’avancer la théorie selon laquelle « tout est à nous ! », ce qui impliquait la création d’un Etat arabe dans l’ensemble de la Palestine, ne tenant aucun compte de la présence de deux peuples en Palestine, et de l’importance d’une lutte commune des Juifs et des Arabes contre l’impérialisme, dans les conditions propres à notre pays.

Le Parti Communiste combattit l’impérialisme, ennemi numéro 1 des peuples de Palestine, ainsi que les valets de l’impérialisme, qu’ils soient juifs ou arabes. Ce fut notre parti qui prédit l’avenir et l’évolution qui allaient se produire.

La Palestine devient un état bi-national

En mars 1966, les statistiques officielles donnaient pour l’Etat d’Israël une population de 2.615.000 habitants, dont 2.312.000 Juifs, et 303.400 « autres », dont la quasi-totalité étaient des Arabes (représentant 11,5 % de la population).

La grande majorité des Juifs sont des nouveaux venus qui sont arrivés en Israël après sa création il y a 18 ans, ou sont nés depuis lors. Au moment de la création de l’Etat d’Israël il y avait en Palestine environ 2 millions d’habitants, dont les deux tiers – environ 1.300.000 – étaient des Arabes, et un tiers, à peu près (soit 650.000) des Juifs. Les chiffres recueillis par l’U.N.S.C.O.P. en 1947 montrent que, en 1946, la Palestine sous mandat comptait 1.936.000 habitants dont 1.293.000 Arabes (y compris 90.000 Bédouins), 608.000 Juifs et 35.000 autres personnes.

Selon la même source, le pourcentage de Juifs habitant la Palestine passa de 12,91 % en 1922 à 32,96 % en 1946, du fait, surtout, de l’immigration. Pendant cette période, 376.000 Juifs émigrèrent en Palestine. En 1931, les Juifs ne représentaient que 18 % de la population palestinienne, mais les années suivantes furent marquées par d’importants changements démographiques. Le pourcentage de Juifs dans la population passa de 18 % au recensement de 1931 à près de 30 % au recensement de 1936. La grande vague d’immigration juive en Palestine (ainsi que dans d’autres pays) fut le résultat des persécutions nazies et de leurs répercussions.

Sous la domination turque, et dans les années qui suivirent la première guerre mondiale, la Palestine était un pays arabe comptant une petite minorité juive.

Le développement du Yishuv juif en Palestine qui représentait, à la fin de la seconde guerre mondiale, un tiers de la population palestinienne, entraîna un changement quantitatif, mais les facteurs objectifs n’existaient pas encore, qui feraient de ce changement quantitatif un changement qualitatif ; l’accroissement numérique de la communauté juive ne pouvait encore modifier le caractère fondamental de la Palestine – le fait que c’était un pays à une seule nationalité – et en faire un pays à deux nationalités.

Le fond du problème, c’est que non seulement le Yishuv juif passa de l’état de petit groupe minoritaire à celui d’un groupe largement majoritaire ; en outre le Yishuv était au cœur du développement économique de la Palestine, et en particulier du développement industriel ; c’est de lui qu’étaient issus, d’une part une bourgeoisie, d’autre part, un prolétariat. Ce nouveau développement devint évident pendant la seconde guerre mondiale.

Les années de guerre furent marquées par un essor industriel qui affecta la population juive aussi bien que la population arabe, mais ce développement industriel fut beaucoup plus marque dans ce qu’on appelait alors le secteur juif. De ce développement de l’industrie juive dans les années 1937-1943, l’Agence juive donne l’image suivante :

19371943Progression en %
Nombre d’entreprises1.5562.25046
Nombre de travailleurs employés dans l’industrie22.00046.000106
Nombre moyen d’employés par entreprise152140

Comme nous l’avons dit ci-dessus, l’industrie se développa aussi dans le secteur arabe, mais en chiffres absolus l’expansion fut moindre, comme en témoignent les chiffres suivants empruntés aux statistiques gouvernementales relatives au développement de l’industrie arabe, dans les années 1939-1942.

19391942Progression en %
Nombre d’entreprises3391.558460
Nombre de travailleurs employés dans l’industrie4.1178.804110
Nombre moyen d’employés par entreprise126chute de 50

Nous voyons donc que l’industrie dans le secteur juif était 5 fois plus importante que dans le secteur arabe, si l’on considère le nombre de travailleurs employés ; en outre, les entreprises étaient plus grandes et plus modernes que celles du secteur arabe. Ces chiffres sont empruntés au livre de Eliahu Guzhansky Les luttes de la classe ouvrière et du peuple (p. 198-199). En ce qui concerne le secteur juif, il faut ajouter à la catégorie des travailleurs de l’industrie ceux du bâtiment, les employés des services gouvernementaux, les travailleurs agricoles, ainsi que 10.000 travailleurs, environ, employés dans les camps de l’armée britannique, soit un total approximatif de 70.000 travailleurs salariés.

Dans le secteur arabe, il faut ajouter quelques 35.000 travailleurs employés dans les camps militaires et dans les compagnies internationales, ainsi que 45.000 personnes environ employées dans les services gouvernementaux, soit un total de quelque 90.000 salariés arabes de toutes catégories.

A la suite des derniers développements, notre parti en est arrivé à la conclusion que, depuis 1945, la communauté juive de Palestine est passée du stade de minorité nationale à celui d’une nation en voie de formation, son accroissement numérique entrainant, du fait de son importance, un changement qualitatif. Ce qui est encore plus significatif, c’est que le Yishuv juif a été au centre du développement industriel du pays qui a entraîné un accroissement du nombre d’ouvriers, ainsi que l’aggravation des contradictions entres certaines couches de la communauté juive (y compris une partie de la bourgeoisie) et l’impérialisme, tandis que les sources de conflits entre les masses arabes de Palestine et l’impérialisme se multipliaient.

C’est pour toutes ces raisons que nous sommes arrivés à la conclusion que la Palestine était devenue un pays à double nationalité. Il va sans dire que, dans des conditions différentes, dans un pays plus peuplé, l’arrivée de quelques centaines de milliers de juifs et le développement d’une industrie employant quelques dizaines de milliers d’ouvriers n’auraient pas modifié le caractère national du pays. Pourtant, dans le cas de la Palestine placée sous mandat, petit pays faiblement peuplé et économiquement arriéré, les facteurs mentionnés ci-dessus ont suffi à changer le caractère du pays et à le faire passer de l’état de pays essentiellement mono-national à celui de pays binational. Notre parti a élaboré un programme en vue d’une solution du problème palestinien, programme correspondant au nouvel état de choses, et prévoyant la création d’une fédération de deux Etats indépendants – un Etat juif et un Etat arabe – et s’il n’y a pas d’autre alternative, le partage du pays en deux Etats indépendants et démocratiques, tous deux basés sur le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, même si cela implique la sécession. Dans leur déposition devant la commission spéciale des Nations Unies pour la Palestine, en juillet 1947, les représentants de notre parti ont fait les propositions concrètes suivantes :

1) Comme première étape, l’O.N.U. devrait proclamer l’indépendance de la Palestine et annuler le mandat la concernant. L’O.N.U. doit fixer la date limite – le plus rapprochée possible – du retrait des troupes et de la police britanniques de notre pays.

2) Le conseil de sécurité de l’O.N.U. devrait nommer une commission chargée de veiller à l’exécution des mesures décidées à l’O.N.U. et de rétablir les libertés démocratiques dont les habitants de ce pays ont été privés.

3) Après qu’ils aient été libérés du joug étranger, les Juifs et les Arabes décideront de leur plein gré si la Palestine indépendante doit être un Etat binational ou une fédération.

On se souvient que l’assemblée de l’O.N.U. a. adopté, le 29 novembre 1947, une résolution demandant l’annulation du mandat britannique et le retrait des forces britanniques de Palestine, et prévoyant l’établissement, en Palestine, de deux Etats indépendants et démocratiques liés par une union économique. La zone de Jérusalem devait être internationalisée.

L’impérialisme britannique a essayé de torpiller les résolutions de l’ONU en organisant une guerre entre Juifs et Arabes. Le gouvernement américain a imposé un embargo sur les envois d’armes à la Palestine, et l’impérialisme britannique a fait tout son possible pour créer un chaos intégral. Le 21 mars 1948, le représentant américain au conseil de sécurité de l’O.N.U., Warren Austin, annonçait que son gouvernement renonçait à soutenir la résolution de l’O.N.U. du 29 novembre 1947, et proposait à la place une « administration » internationale (ce qui, en l’occurrence, signifiait pratiquement une administration américaine) de la Palestine. En avril-mai 1948, une session spéciale de l’assemblée générale de l’O.N.U. était convoquée à l’initiative des Etats-Unis. Lors de cette session, l’administration américaine ayant alors à sa tête Truman, essaya fort hypocritement d’obtenir l’annulation de la résolution de l’assemblée générale de l’O.N.U. (votée le 29 novembre 1947) et de la faire remplacer par un régime d’ « administration » anglo-américaine. C’est l’U.R.S.S. qui, devant l’assemblée, mit en échec le complot colonialiste américain et prit nettement position pour le droit des peuples à l’auto-détermination et à l’indépendance, tout en dénonçant vigoureusement toute tentative de perpétuer une domination coloniale en Palestine, sous quelque forme que ce soit.

Meir VILNER,
Membre de la Knesset,
secrétaire du Bureau Politique du Parti Communiste d’Israël.