Article de Fernand Cathala paru dans La Voix libertaire, septième année, n° 296, 30 mars 1935

La crise économique suit inlassablement son chemin angoissant. Le chômage étend ses ailes hideuses chaque jour davantage. D’innombrables sans-travail attendent anxieusement le retour à la « prospérité ». Tout ce qu’a tenté le gouvernement pour remédier à la situation actuelle a lamentablement échoué. Tous les plans, tous les systèmes mis en vigueur n’ont nullement enrayé le chômage.
Malgré cela, de nombreuses personnes croient, sans toucher à la structure du régime actuel, conjurer le chômage. Ces personnes tiennent le raisonnement suivant :
« Il y a en France cinq cent mille chômeurs et huit cent mille étrangers. Le gouvernement est à la recherche de moyens propres à diminuer sensiblement le nombre des sans-travail. Il y a pourtant un moyen bien simple de donner du travail à tous les ouvriers et paysans français qui en manquent. Ce moyen consiste à débarrasser le territoire français des huit cent mille étrangers. »
Au point de vue humain, de tels moyens sont indignes d’un peuple civilisé. C’est une solution barbare, injuste. Après le massacre de 1914-18, la main-d’œuvre nationale étant clairsemée, le Capitalisme français a attiré en France les travailleurs étrangers. C’était le miroir à alouettes qui leur était tendu. Ces travailleurs ont peiné durant des années. Grâce à leur dur labeur, ils ont rempli les coffres-forts des capitalistes. La plupart ont appris notre langue ; ils se sont familiarisés avec nos mœurs. Plusieurs se sont mariés en France et ont eu des enfants ; ces enfants ont fréquenté les écoles […] n’ont plus besoin de cette chair à travail, on veut expulser – il y en a d’ailleurs un grand nombre qui sont déjà expulsés – ces malheureux qui vont tomber dans les griffes de Mussolini et de Gil-Robles.
Représentez-vous ces malheureux emportant leurs frusques, errant de chemin en chemin, ne sachant, où se fixer, redoutant la répression sanglante qui se poursuit dans leur pays d’origine. Quelle détresse morale et physique pour ces pauvres travailleurs : la faim, la misère les guette. Après avoir versé leur sueur pour engraisser les gros ventres, on veut les chasser. Ah ! lorsqu’il s’agit d’Alphonse XIII, de Venizélos ou autre ancien potentat, tous les gouvernements sont hospitaliers, mais lorsqu’il s’agit de la plèbe, on la refoule dès qu’elle n’est plus utile. Voilà l’affreuse vérité. Bon accueil aux puissants et aux « bourses bien garnies », chasse aux travailleurs et aux « ventres creux ».
Quant au point de vue strictement pratique, il est certain que l’expulsion des huit cent mille travailleurs étrangers n’aurait pas le moindre résultat satisfaisant.
En premier lieu, puisque le chômage est mondial, et non strictement français, le refoulement des étrangers aurait pour répercussion – une politesse en vaut une autre – le refoulement des travailleurs français qui vivent dans divers pays. Or, il est bien certain que si l’on faisait le recensement des français vivant à l’étranger, on atteindrait, et même on dépasserait peut-être le chiffre de huit cent mille. Donc, il y aurait toujours le même nombre de chômeurs. Rien ne serait changé.
En second lieu, que les salaires soient touchés par des ouvriers français ou par des ouvriers étrangers, le pouvoir d’achat sera toujours le même. La consommation restera stationnaire et, encore une fois, rien ne sera changé.
Comme on peut le constater, le refoulement des étrangers est une mesure inhumaine et ne changera en rien la situation actuelle.
N’ayons aucune haine pour l’individu qui est d’une autre nationalité que la nôtre. Tous ceux qui souffrent, tous ceux qui peinent du matin au soir, quelles que soient leur langue, leur race, leur nationalité, sont nos amis. Sont nos ennemis, tous ceux qui exploitent la misère humaine, tous ceux qui asservissent les peuples, tous les responsables des massacres humains.
Que cesse enfin cette xénophobie frénétique. Que toutes ces patries éparses, engendrant la haine, les massacres, la misère, ne forment qu’une vaste patrie humaine. Que tous admettent cette vérité fondamentale :
« Quels que soient le coin de terre qui les a vu naître, la couleur de leur peau et la langue qu’ils parlent, tous les humains ont les mêmes besoins organiques et un droit égal à la vie ; tous, du Nord au Midi et de l’Orient à l’Occident, aspirent, sans distinction d’âge, de sexe et de nationalité, à la possession des deux biens suprêmes : le bien-être et la liberté ».
Fernand CATHALA.

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