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La Terreur Blanche en Bulgarie

Article paru dans Le Libertaire, 25 avril 1925

Le 26 mars 1923, le gouvernement agrarien a porté un coup mortel au peuple bulgare, et préparé par cela même le coup d’Etat du 9 juin 1923 qui porta Tsankoff au pouvoir.

Ce 26 mars, à Samboli, après un incident qui se produisit entre les anarchistes et l’armée, 30 camarades anarchistes furent fusillés sans aucune espèce de jugement. Au lieu de comprendre le jeu de la ligue militariste, qui avait donné les ordres d’exécution des anarchistes, le ministre Stambolyski décora les assassins.

C’est alors que commencèrent les persécutions en masse, les arrestations et l’assassinat des camarades anarchistes dans tout le pays. Après avoir supprimé ses plus dangereux ennemis, la bourgeoisie crut que le moment était propice. La nuit du 8 juin 1923, le gouvernement de Stambolyski était renversé ; tous les ministres et les députés de la majorité furent arrêtés par la ligue militariste qui menait l’armée et les comitadjis macédoniens.

Stambolyski était assassiné par les mêmes militaristes qui avaient tué les anarchistes.

La nouvelle du renversement de Stambolyski souleva ses partisans dans tout le pays contre le régime nouveau. Comme la bourgeoisie veut que les autres se sacrifient pour défendre ses intérêts, elle fit proclamer la mobilisation partielle. Sous l’influence des anarchistes et des communistes, les paysans et les ouvriers refusèrent en grande partie d’obéir. Il y eut des révoltes contre le régime nouveau.

Le manque d’armes – car Stambolyski, comme tous les autoritaires, craignait le peuple armé – et la peur des grands chefs bolchevistes qui avaient ordonné à leurs adeptes de ne pas se révolter contre la nouvelle autorité, et de se retirer là où ils s’étaient révoltés, permit au gouvernement de « liquider » l’insurrection.

Alors commença pour le peuple bulgare une véritable vie d’enfer. Les violences, les incendies, les assassinats se succédèrent et durent jusqu’à présent.

Pendant l’été de 1923, les banquiers et spéculateurs, par l’agiotage, ont fait monter le change du lev. Après avoir acheté le blé bon marché, ils l’ont fait tomber de 50 %. Les paysans ont perdu de ce fait les trois quarts du produit de leur labeur.

Des centaines d’instituteurs furent révoqués pour leurs idées, arrêtés, maltraités par les militaristes et les mouchards.

Tous les journaux anarchistes, communistes et agrariens furent supprimés. Ces violences alimentèrent l’esprit de révolte, et celle-ci n’a pas tardé à éclater. L’insurrection fut générale. La misère des ouvriers, le besoin d’améliorer leur sort, les poussa à entrer en lutte. Mais, insuffisamment armés, ils furent vaincus.

Alors s’ensuivit une bacchanale sanguinaire. Des milliers de paysans, de travailleurs et d’intellectuels ont été massacrés. On tuait dans tout le pays, sans tenir compte si les victimes avaient ou non participé à l’insurrection.

Des centaines de personnes furent massacrées à Philippopolis, 600 près de la gare Sarambey : dans tous les villages le sang coula à flots. On considérait la vie humaine comme chose négligeable, sans valeur.

La répression – puisqu’on appelle ainsi ces crimes – dura toute l’année 1924. Cent mille personnes furent emprisonnées. On transformait en geôles les écoles. Les policiers pratiquèrent les tortures du moyen âge pour obtenir des aveux. Des milliers de personnes durent mener une existence de bêtes traquées. Ils préféraient mourir l’arme à la main dans la rue que de tomber entre les griffes des bourreaux.

En janvier 1924, à Kustendil, deux anarchistes furent assiégés dans une maison qu’on fit sauter à coups de bombes.

En février, deux autres camarades furent brûlés vifs dans une maison incendiée par la police.

D’autres anarchistes subirent le même sort pendant l’automne. La maison où ils s’étaient réfugiés fut brûlée avec du pétrole.

Que de pages il faudrait remplir pour dire le nombre de victimes du régime que Vandervelde a appelé démocratique !!!

Des centaines de familles sont internées dans des coins éloignés, parce que leurs fils sont partis. On les exile et emprisonne en Macédoine où elles sont maltraitées par les autorités. Beaucoup ont été tuées, soit par ordre des autorités, soit par caprice des geôliers. Rien qu’en 1924, plus de mille instituteurs ont été révoqués.

Outre les persécutions politiques qui s’accentuent de jour en jour, les travailleurs sont soumis à une exploitation inhumaine et féroce. Leur sort est pire que celui des bêtes. Les salaires sont dérisoires : de 40 à 65 levs pour les manœuvres et de 70 à 120 pour les professionnels.

Les coopératives de production s’étaient beaucoup développées avant ce régime. Aujourd’hui, elles sont totalement étouffées. Le pouvoir « démocratique » fait tout son possible pour les faire disparaître. Quant au coopérateur qui proteste, il est immédiatement considéré comme subversif, arrêté, maltraité.

Nous pourrions prolonger cette description. A quoi bon ? Elle suffit à expliquer les attentats qui viennent de se commettre en Bulgarie.

A ceux qui nous demanderont notre pensée sur ces faits, nous répondrons :

« Lisez les lignes qui précèdent, et vous comprendrez le désespoir et la haine qui sont aux cœurs des victimes. Et vous saurez ce que nous pensons. »

L’abîme que les bourreaux de la Bulgarie ont creusé entre eux et le peuple a fini par déclencher la révolte.

Car tout semble indiquer qu’il n’y a pas seulement des actes individuels, mais un véritable soulèvement des opprimés.

Le sang coule à flots en Bulgarie. Les tyrans veulent noyer la colère populaire dans le sang.

Révoltés bulgares, le « Libertaire » vous envoie ses encouragements.

Un camarade bulgare.


EN BULGARIE

Il paraît difficile de savoir exactement ce qui se passe en Bulgarie, mais ce qui est certain c’est que la monarchie est sérieusement ébranlée et que le roi Boris s’apprête à faire sa valise.

La révolution gronde, et le peuple d’ouvriers et de paysans en a assez de ce gouvernement d’assassins qui a multiplié ces dernières années les crimes les plus monstrueux.

L’attentat contre la cathédrale de Sofia n’est que l’aboutissement d’une longue lutte dans laquelle le gouvernement actuel, dirigé par Tsankoff, n’hésita pas à user des moyens illégaux, est la préface d’une guerre civile qui se terminera, espérons-le, par le triomphe des opprimés.

Comme toujours, et il fallait le prévoir, le parti communiste se dégonfle et se désolidarise des révolutionnaires. La révolution, pour les gens de Moscou, consiste à l’heure actuelle à traiter avec les réactionnaires des puissances capitalistes et c’est tout, et l’Humanité – toujours elle – qui prétend être le rempart de la Révolution sociale, n’a pas honte de reproduire dans son numéro du 23 avril les paroles de Rakovsky, ambassadeur des Soviets à Londres, qu’à notre tour nous lui empruntons pour édifier nos lecteurs :

Londres, 22 avril. – La British United Press publie une interview de Rakovski, ambassadeur des Soviets à Londres, interview qui a été publiée également par le Star et reproduite à New-York, Rakovski nie nettement que le Gouvernement des Soviets ait la moindre complicité dans les attentats de Bulgarie. Il stigmatise comme « faux et fantastiques » les nombreux documents publiés d’où ressort la participation de l’internationale communiste dans les assassinats qui se déroulent en Bulgarie.

Il faut une singulière audace pour attribuer à Moscou les actes de terrorisme commis en Bulgarie, où des actes de cette nature n’ont cessé d’être de tradition nationale depuis l’établissement de l’Etat bulgare.

Mais si la révolution est victorieuse, si le peuple de Bulgarie par sa volonté, son énergie et ses sacrifices, arrive à chasser la réaction, alors vous allez les voir, ces chefs du communisme, se ruer au pouvoir et se poser en héros. Vous allez les voir, comme des poux, s’emparer de la Révolution, en faire leur chose et la briser, comme ils ont fait en Russie.

Et ils clameront à travers le monde que nous sommes des contre-révolutionnaires.