Article paru dans Sous le drapeau du socialisme, revue de la Commission africaine de la Quatrième Internationale, n° 15, mars 1965 ; suivi de « Pourquoi ils ont tué Malcolm X », paru dans Sous le drapeau du socialisme, n° 16, avril 1965

Aux Etats-Unis, la plus grande « démocratie » du monde capitaliste, l’Etat est au service des monopoles qui exploitent le monde entier.
La « sécurité » de cet Etat est confiée, d’un côté à sa puissance militaire gigantesque dominée par l’armement atomique, et d’autre part aux services secrets du C.I.A., collaborant étroitement avec les militaires.
Appareils militaires et policiers constituent actuellement de véritables Etats dans l’Etat « démocratique » américain, organisant des opérations aussi importantes que les « coups d’Etat » au Brésil ou Saïgon, le retour de Tshombé au Congo, l’assassinat de Kennedy, l’assassinat de Malcolm X (1).
C’est là l’apogée de la « démocratie » du capitalisme monopoleur le plus puissant, fierté et orgueil du « monde libre ».
Malcolm X, brillant leader du réveil révolutionnaire de la minorité noire des Etats-Unis, est la dernière victime du dechaînement de la fureur contre-révolutionnaire qui anime les « gardiens » de la « démocratie américaine ». Malcolm X avait commis le crime de se faire le propagandiste de la Révolution coloniale au sein même de la citadelle de l’impérialisme mondial, et de préconiser la création d’un parti révolutionnaire des Noirs aux Etats-Unis.
Cette revendication est actuellement absolument justifiée et progressive, étant donné l’incompréhension qui règne dans les rangs du prolétariat blanc envers la question noire aux Etats-Unis.
Certes, cette incompréhension est pour beaucoup le résultat de la faillite des directions ouvrières blanches. On ne rétablira, cependant, l’alliance nécessaire entre prolétariat noir et prolétariat blanc aux Etats-Unis contre l’ennemi commun, la classe capitaliste américaine, qu’à travers l’étape transitoire de la création d’un parti révolutionnaire des Noirs et la solidarité effective des prolétaires blancs envers leurs frères noirs, démontrée dans l’action courageuse et conséquente pour les droits de la minorité noire.
Malcolm X, précurseur de cette étape nécessaire, fut victime de son courage, de son activité militante inlassable, de la puissance et du dynamisme de son message. Mais ce dernier se réalisera. Son assassinat odieux dressera encore plus résolument les masses noires américaines ainsi que les masses africaines et du monde entier, contre un régime qui de plus en plus devient une véritable honte pour l’humanité.
(1) Que les exécuteurs de l’assassinat de Malcolm X soient noirs, ne justifient pas les commentaires d’une certaine presse qui veut accréditer la thèse d’une lutte « fratricide » entre organisations noires rivales.
Car il est évident que le but de l’impérialisme, de ses services secrets et de sa presse, est de faire surgir une telle lutte et de discréditer du même coup les tendances vraiment révolutionnaires qui se développent au sein de la minorité noire.
Que l’impérialisme agisse au sein de la minorité noire y compris par l’intermédiaire d’éléments noirs réactionnaires lumpen, etc … , est hors de doute.
Pourquoi ils ont tué Malcolm X
Malcolm X est mort. Comme son père et quatre de ses oncles, il a été assassiné par le système capitaliste et le racisme aux Etats-Unis.
La classe dominante des USA voudrait utiliser ce meurtre pour dresser les militants noirs les uns contre les autres. James Shabazz, secrétaire privé de Malcolm X, l’a clairement déclaré au cours d’une interview :
« Le frère Malcolm est mort en défendant le principe de l’unité des opprimés. Les opprimes ne peuvent réaliser leur unité en luttant les uns contre les autres, pendant que leur véritable ennemi qui les incite à cette lutte fratricide les contemple et se moque. L’assassinat du frère Malcolm doit être jugé d’après les forces qui l’ont ordonné plutôt que d’après les instruments qui l’ont perpétré. »
Ainsi, malgré les efforts de tous les propagandistes de l’impérialisme US pour attiser la lutte fratricide entre les différentes organisations noires, celle-ci a pu être jusqu’à présent évitée.
La puissance meurtrière de l’impérialisme américain est à nouveau entrée en action avec les continuels assassinats de noirs dans le Sud et le meurtre de l’adjoint de Malcolm X, Leon Ameer, à Boston.
Pour comprendre pourquoi la classe dirigeante des Etats-Unis a décidé d’assassiner Malcolm X, il suffit de lire les extraits de quelques-uns de ses discours que nous reproduisons ci-dessous. Ils l’ont tué à cause de sa conscience grandissante des véritables racines de l’oppression de la minorité noire aux USA, et ils veulent à tout prix empêcher que cette conscience ne gagne les masses noires.
« Il est impossible au capitalisme de survivre … Sa chute totale est à mon avis une question de temps. » De telles paroles ainsi que son appel à « l’action, toutes les sortes d’action » et pour « internationaliser » le problème noir, constituaient une menace intérieure sérieuse pour l’impérialisme US.
Nous espérons que ces déclarations de Malcolm X dans les derniers mois de sa vie constitueront un témoignage sur ce militant, ce révolutionnaire noir.
MALCOLM X PARLE
Après avoir rappelé les rencontres qu’il avait eues en Afrique avec différents Maghrébins, dont l’un, dit-il, « était manifestement blanc », Malcolm X poursuit « Il me dit que si mon objectif était la victoire du nationalisme noir, où se trouvait-il, lui ? Ainsi, je compris que je m’aliénais des gens qui étaient de vrais révolutionnaires, consacrant leur vie au renversement du système d’exploitation qui existe sur terre, par tous les moyens nécessaires. »
« Il n’y a probablement pas de meilleur exemple de la criminelle activité menée contre un peuple opprime que celui du rôle des USA au Congo, par son soutien à Tshombé et à ses mercenaires. Vous ne pouvez pas ignorer le fait que Tshombeé reçoit son argent des USA. L’argent qu’il utilise pour acheter les mercenaires – ces tueurs à gages importés d’Afrique du Sud – lui vient des Etats-Unis. Les bombes qui massacrent les femmes et les enfants viennent aussi des USA. Les hommes qui pilotent ces avions ont été entraînés aux USA. Je ne puis donc considérer le rôle des Etats-Unis au Congo que comme un rôle criminel … »
« Il est impossible au capitalisme de survivre, tout d’abord parce que ce système a besoin de sucer du sang. Le capitalisme a été autrefois comme un aigle mais il est devenu comme un vautour. Il était assez fort pour sucer le sang de tous, qu’ils soient forts ou non. Mais maintenant il est devenu couard comme le vautour et il ne peut plus sucer que le sang des plus misérables. Plus les peuples se libèrent, moins il a de victimes, moins il a à sucer, et il s’affaiblit de plus en plus. Sa chute totale est pour moi une question de temps. »
(Extrait d’une interview de Malcolm X publiée dans le numéro de mars-avril 1965 du journal de la jeunesse socialiste américaine « Young Socialist ».)
« Je dis et je dois dire – car un journaliste vient de me demander de confirmer ou d’infirmer la déclaration mentionné par le « TIMES » et dans laquelle je disais que nous avions besoin de Mau-Mau aux Etats-Unis – que je ne nierai jamais le fait que nous ayons besoin de nombreux Mau-Mau aux Etats-Unis. Il faut, je dois le dire, beaucoup de sang-froid a quelqu’un pour me demander cela dans une société où, en 1964, trois combattants pour les droits civiques peuvent être froidement assassinés et où le gouvernement fédéral – pas le gouvernement du Mississippi – ne peut rien faire contre.
« Je dis que nous avons besoin de Mau-Mau lorsqu’un instituteur noir peut être assassiné en Géorgie, qu’on connaît son assassin et que le gouvernement ne peut rien faire contre. Je dis que nous avons besoin de Mau-Mau et que je serai le premier à me joindre à eux. Et beaucoup de gens en feront autant …
« Le mouvement des Black Muslims a attire la partie la plus militante de la jeunesse noire dans ce pays. Les hommes et femmes noirs les plus exaspérés, les plus impatients et les plus intransigeants ont rejoint ce mouvement …
« Le gouvernement de Washington a essayé de mettre une étiquette politique sur le mouvement des Black Muslims. Il a utilisé la presse pour donner de ce mouvement une image qui lui permette de le classer comme politique, le déclarer en conséquence séditieux et subversif et le mettre hors-la-loi …
« Ainsi le mouvement Black Muslims ne fut pas seulement un mouvement religieux hybride, mais devint un mouvement politique hybride, du fait qu’il était plus politique que religieux mais ne participait pas à la lutte politique. Il n’a pas pris part à la lutte pour les droits civiques. Il n’a pris part dans aucune des actions accomplies par le peuple noir de ce pays pour corriger la situation de notre communauté. Il n’avait qu’une force morale – il empêchait les gens de boire et de se droguer et autres choses de cet ordre, ce qui était insuffisant. Vous avez beau devenir sobres, vous n’en demeurez pas moins pauvres …
« Ainsi, nous avons compris que le problème dépassait le cadre de la religion et nous avons constitue une autre organisation qui était non-religieuse. Et cette organisation s’appela l’Organisation de l’Unité Afro-Américaine (O.A.A.U.) … Après cela, je passai 5 mois dans le Proche-Orient et en Afrique, d’abord pour être mieux en contact avec ces peuples et mieux les informer en ce qui nous concerne, en leur expliquant nos problèmes actuels. Lorsque j’y arrivai, en juillet, j’eus quelques difficultés à prendre contact, mais lorsque j’en repartis, en novembre, je n’en avais plus aucune …
« La première question que me posèrent les journalistes à mon retour fut : « On a dit que vous avez changé … » Je souris et ne répondis pas. Mais je me disais : « Comment donc un homme blanc peut-il espérer qu’un homme noir va changer avant qu’il n’ait LUI-MEME changé ? Comment pouvez-vous penser que nous avons changé alors que vous n’avez pas changé ? Comment pouvez-vous penser que nous avons changé lorsque les causes qui nous ont faits ce que nous sommes n’ont pas été supprimées ?
« Mais, à la fin de 1964, je dus convenir qu’au lieu d’être une année de promesses et de promesses qui se matérialisent, on fit tout pour créer l’illusion du progrès, et 1964 fut l’année de l’illusion et de la désillusion. Nous n’avons reçu que des promesses …
« Je crois à l’action politique, oui. Toutes les sortes d’action politique. Je crois à l’action et toutes les formes d’action sont nécessaires. Lorsque je dis « par tous les moyens nécessaires », je veux dire exactement cela. Je crois à tout ce qui est nécessaire pour corriger les conditions injustes, sur les plans politique, économique, social, physique. J’y crois dans la mesure où ces actions sont intelligemment orientées et dirigées vers des résultats précis …
« Les militants noirs de Harlem ne recherchent pas beaucoup de Blancs de New York, quelque militants qu’ils soient. Mais lorsque cela arrive, les Noirs qui fréquentent les militants blancs et se mêlent à eux ne savent même pas comment s’adresser aux Noirs qui sont restés à Harlem. Je devais dire cela … Je l’ai souvent observé. Mais lorsqu’un jour les Blancs qui en ont REELLEMENT assez, je ne parle pas de ces beaux parleurs blancs qui se prétendent libéraux et ne le sont pas, mais ceux qui en ont réellement assez de tout ce qui se passe, lorsque ceux-là trouveront le véritable contact avec les Noirs de Harlem qui en ont assez et qu’ils organiseront une action commune, vous verrez alors quelques changements … »
(Extraits d’un discours de Malcolm X au « MILITANT LABOUR FORUM », le 7 janvier 1965.)
« Nous pensons qu’il est inacceptable de parler de non-violence au Ku-Klux-Klan ou au White Citizens Council ou à d’autres qui agissent avec la dernière brutalité vis-à-vis des Noirs dans ce pays. Si nous avions réellement à faire à un ennemi non violent nous serions aussi non violents. Mais aussi longtemps que notre peuple a à faire face dans ce pays à des actes de brutalité continuels de la part des éléments racistes dans le Nord aussi bien que dans le Sud, alors je pense qu’il ne faut pas faire appel à la non-violence. Lorsqu’ils deviendront non violents nous le deviendrons aussi.
« L’organisation de l’Unité Afro-Américaine pense qu’aussi longtemps que notre peuple dans ce pays limite sa lutte au cadre juridique du Gouvernement des Etats-Unis, il demeure prisonnier du système néfaste qui n’a jamais servi qu’a l’exploiter et à l’opprimer depuis qu’il vit sur ce sol. Nous pensons donc que notre véritable espoir est de faire comprendre que notre problème n’est pas un problème noir ou un problème américain, mais qu’il est devenu un problème HUMAIN, un problème MONDIAL et qu’il doit être envisagé à l’échelle mondiale, à une échelle où toutes les parties de l’humanité peuvent intervenir en notre faveur …
« Et lorsque tous ces gens dans les parties du monde les plus diverses comprendront, et lorsque les 22 millions de Noirs américains comprendront que notre problème est le même que celui des peuples opprimés du Sud-Vietnam, du Congo et d’Amérique Latine, alors le peuple opprime de ce pays deviendra une majorité et cessera d’être une minorité. Alors nous poserons notre problème comme une majorité qui peut EXIGER et non une minorité qui doit implorer.
Interrogé au sujet de l’intervention US au Vietnam, Malcolm X répondit :
« Il est étonnant de voir que les Etats-Unis puissent trouver tant d’alibis pour ne pas s’occuper de ce qui se passe au Mississipi et s’occuper, par contre, du Congo, de l’Asie et du Vietnam … Le problème du Vietnam est celui des opprimés et des oppresseurs. Le problème au Mississipi, en Alabama et à New York est celui des opprimés et des oppresseurs. Les peuples opprimés dans le monde entier ont les mêmes problèmes et ce n’est que maintenant qu’ils sont suffisamment évolués pour comprendre que pour se débarrasser de leurs oppresseurs ils doivent s’unir et voir que leur problème est le même partout, qu’il ne peut être divisé. Alors notre action ne pourra plus être divisée … »
(Interview de Malcolm X à RADIO WBAI-FM, New York, 28 janvier 1965.)

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