Article de Georges Paul paru dans Le Libertaire, du 9 au 16 avril 1905

L’agitation anticléricale qui se poursuit depuis l’affaire Dreyfus vient d’aboutir à sa conséquence logique : le cabinet Rouvier vient de déposer à la Chambre un projet de Séparation des Eglises et de l’Etat, qui ne peut manquer d’être adopté.
Sans vouloir nier l’importance de ce fait politique, il serait bon de n’en pas exagérer les conséquences futures, et de croire, comme certains anticléricaux, qu’il amènera la fin du catholicisme
Ce ne sont pas les prêtres qui font les religions et les églises, ce sont les croyants ; conséquemment, tant qu’il y aura parmi la foule un état d’esprit catholique, l’Eglise romaine, qui représente cet état d’esprit, existera fatalement. Le pouvoir politique des différentes confessions religieuses ne saurait davantage disparaître ; et quant à savoir si ce pouvoir sera plus fort ou plus faible après la séparation, c’est ce que nul ne saurait prévoir.
Il est incontestable, cependant, que la réalisation de la séparation modifiera sensiblement l’organisation de l’Eglise catholique française, et malgré la résistance des cardinaux, qui déclarent dans un manifeste que le gouvernement impose à l’Eglise une organisation contraire à sa constitution, il est vraisemblable que cette organisation s’imposera.
Nombre de catholiques, en effet, ne seraient pas fâchés de contrôler les actes de leurs prêtres et de leurs moines et l’organisation des associations cultuelles leur fournira un moyen d’exercer ce contrôle.
Dans l’Action française, numéro 137, M. de Mandat-Grancey, dans un article intitulé A propos du Concordat, revendique énergiquement ce contrôle des prêtres par les paroissiens qui sont destinés à les entretenir, et, une telle revendication de la part d’un adversaire déterminé de tout esprit démocratique n’est pas sans importance.
Ainsi, dans l’Eglise, même en matière religieuse, le pouvoir absolu des prêtres est appelé à disparaitre, et contrebalancé par le contrôle des laïques.
C’est un fait qui ne sera pas sans avoir de portée sur l’évolution des doctrines religieuses et qui aura sa répercussion dans le domaine politique, où la suprématie du pouvoir civil, sera ainsi, établie sans conteste.
Si la séparation est appelée à modifier le catholicisme, il serait puéril de supposer qu’elle fera disparaître le cléricalisme.
Les religions ne passionnent les individus que par les conséquences politiques de leurs principes sociaux, que leurs adentes cherchent à faire triompher dans l’Etat. Le catholicisme n’aurait pas suscité tant de controverses s’il s’était borné à l’exercice du pouvoir spirituel ; ayant des principes sociaux, affirmés par les Pères de l’Eglise, il ne pouvait faire différemment que de peser sur le pouvoir temporel, pour en amener la réalisation, affirmant ainsi, que son royaume est bien de ce monde.
Toute l’Eglise cherchant à faire triompher dans l’Etat ses principes, est ainsi fatalement cléricale : de même, tout gouvernement ayant des doctrines morales et spirituelles qui lui servent d’appui, et dont il veut maintenir la prépondérance, fait œuvre de cléricalisme.
La Bourgeoisie des états anglo-saxons et germains s’appuie sur le protestantisme, dont les principes individualistes s’harmonisent à merveille avec l’organisation capitaliste et le parlementarisme, parce que cette religion est celle de la majorité des sujets de ces états. En France, où le catholicisme monarchique et aristocratique par essence, conséquemment en contradiction avec les principes de la Révolution bourgeoise, est prédominant, l’Etat bourgeois a été amené à adopter un ensemble de principes spirituels et moraux, sorte de religion sans dieu, dont il veut assurer la prédominance, dont les fonctionnaires et les maîtres d’école constituent les prêtres, et dont la franc-maçonnerie constitue l’église.
Le gouvernement capitaliste est dans son rôle en se séparant de l’Eglise, et les catholiques font preuve d’ignorance ou d’illogisme, en sollicitant le maintien d’un concordat, entre la République et leur Eglise dont les principes sont opposés.
Leurs griefs contre la franc-maçonnerie portent à faux, car il est incontestable que les principes actuels de cette Eglise s’harmonisent avec les principes laïques et démocratiques du pouvoir de classe de la finance. Il est donc naturel que le cléricalisme maçonnique s’impose à la société française, et que les vénérables aient dans l’Etat une influence que les curés ne sauraient raisonnablement revendiquer dans un régime opposé aux traditions politiques et sociales du catholicisme.
Il est également naturel que le protestantisme individualiste soit favorise par un gouvernement démocratique.
Quant au prolétariat, il ne résultera, pour lui, de la séparation, aucun avantage, pas même une diminution d’impôts, puisque le budget des cultes servira à rétribuer de nouveaux fonctionnaires, et à subventionner la propagande en faveur du nouveau cléricalisme.
Georges Paul.

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