Intervention de Melle Fatma au 2e congrès de l’USTA, texte paru dans La Voix du travailleur algérien, décembre 1959.
Mlle FATMA (Union locale de Roubaix)
Mes chères sœurs,
mes chers frères,
L’USTA a lutté pour faire triompher les droits des travailleurs algériens au prix que nous connaissons. Nous pouvons désormais dire qu’à partir de sa création jusqu’à présent, elle a rempli sa mission, fait son devoir consciencieusement. Soyons certains que dans le chemin de l’avenir, elle accomplira la tâche qu’elle s’est assignée avec toute l’ardeur dont elle est animée.
Nous assistons en effet à cette époque nouvelle qui, tout en évoluant, achève sa métamorphose, laquelle a pour effet de dissiper toute une existence néfaste, toute une escorte de méthodes vénéfiques constamment menaçante et d’où ont été exclus catégoriquement le socialisme, l’humanité et la fraternité.
Le voile offusquant de la misère et de l’oppression, lequel a longtemps caché tout un peuple, se déchire et avec lui, son pouvoir arbitraire. Hommes et femmes ont subi diverses humiliations, ont connu les durs moments de la faim et toutes sortes de souffrances morales et physiques. Hommes et femmes ont, en effet, évolué dans les labyrinthes de l’obscurantisme.
Le rôle de la femme algérienne au sein de l’Algérie et de la nation algérienne est d’une grande importance. On peut le situer d’emblée et indéniablement dans le rang social et économique, voire par extension technique, juridique, scientifique ou autres. A l’exemple de la femme des temps modernes, son rôle se justifie encore plus tard dans ces domaines annoncés comme l’a été celui de sa semblable précitée. La femme algérienne, nous l’affirmons, saura jouer son rôle comme l’a su jouer la femme moderne. Pourquoi ? Par le fait même qu’elle est femme, par conséquent identique à celle des autres nations. Il va peut-être en ressortir comme arguments que la femme algérienne, tout en l’identifiant à la femme moderne, il subsiste une certaine hétérogénéité entre elles sur le plan intellectuel. Il apparaitra, en effet, que le rôle joué par la femme moderne en avait exigé qu’elle possédât un certain degré d’instruction et de ce fait la femme algérienne en étant dépourvue, faute d’en avoir reçu, semble s’afficher en infériorité en face d’autres femmes. Pas du tout. Car cela n’est pas une entrave insurmontable pour qu’à cet effet nous soyons incités à la dispenser de jouer un rôle auquel elle est confiée pourtant et indispensablement tant par la nature que par l’évolution des siècles.
N’est-ce pas maintenant logique de dire que la femme algérienne une fois instruite, sera amener à égaler sa semblable internationale et à accomplir sa tâche à son exemple et cela dans les mêmes domaines. La femme algérienne, si le défaut intellectuel lui est imputé, elle n’en est pas responsable, car ce n’est point de par sa propre volonté ni de celle de la nation si elle ne s’est pas trouvée instruite, mais parce que les forces colonialistes, combien alors conscientes du rôle important que jouerait la femme algérienne au sein de la nation dans le domaine social et économique, ont tenu à ce qu’elle reste dans l’obscurité et dans l’analphabétisme. Mais il sera aussi répliqué, et à la connaissance de toutes les victimes de l’analphabétisme, dans quelles conditions s’est fait l’enseignement. Il n’est pas exagéré de dire dans l’ensemble qu’il a été donné au compte-gouttes. Dans le cas contraire, la femme algérienne étant émancipée présenterait un danger sérieux pour la domination coloniale, pour laquelle jalousement il avait tendance à l’accroître que de la voir s’effondrer.
Voilà donc la cause navrante qui a réduit la femme algérienne à cet état d’infériorité qu’elle connait. On a mésestimé la femme algérienne dans les domaines sociaux et économiques qui lui sont propres. Et, pourtant, en jetant un regard sur l’histoire, encore mieux, sur l’état actuel et de par ces cinq années de révolution, un fait viendra renforcer notre conviction que la femme algérienne aura su et saura remplir la tâche qui lui aura été assignée, sachant par cela même qu’ayant donné assez de preuves, dans bien des domaines qui ne laissent à supposer le moindre doute, quant à ses capacités, ses qualités, son utilité. Et cela, tout en étant encore illettrée, nous réaffirmons désormais, au nom de ces preuves, qu’elle a fournies, que sa présence est inhérente à ces domaines auxquels elle est appelée à y jouer un rôle.
La femme algérienne, au cours de ces cinq années, cela est certain, a fait ses preuves et a montré combien, d’une façon spectaculaire et cela au mépris de tous ceux qui considéraient jusque-là son émancipation comme un mythe, elle aussi, sait souffrir. La femme algérienne, après avoir vécu, souffert, a ainsi démontré du coup par sa contribution aux efforts qu’a entrepris sa nation pour se libérer du joug, qu’elle est apte à contribuer à l’érection de l’Algérie nouvelle. Et la place qu’elle y occupera tant par rapport à ces preuves que par rapport aux capacités qu’elle y a déployées. Mais encore par la volonté nationale, laquelle, avant, n’a pu se prononcer favorablement à son émancipation. Étant actuellement libre, elle extériorise ses idées favorables et qui convergent nécessairement pour formuler un seul désir : la femme algérienne s’instruira. A partir de ce moment où elle sera lettrée, on pourra la voir à jamais affirmer ses capacités et confirmer son importance, par cela même en la voyant par exemple dans le domaine médical remplir les fonctions d’infirmière, d’assistance ou de médecin, voire de chirurgienne, à l’école en tant qu’enseignante, à l’usine en tant que technicienne, dans la magistrature comme juge ou avocate, dans l’administration comme assistance sociale, employée des postes, de banque, etc…
Il est cependant déplorable de constater qu’il a fallu que les armes parlassent et que les hommes et les femmes mourussent pour que la justice fit entendre sa voix et que la femme algérienne émerge de l’ombre du dénigrement et de l’empêchement où elle était refoulée. Et pourtant, il aurait suffi que les hommes fussent moins égoïstes, moins convoiteurs, moins oppresseurs aussi, pour que tant de désastres eussent été évités.
Pour terminer, je vous signalerai un cas arbitraire vis-à-vis de notre sœur ici présente. Il s’agit de notre sœur Zohra, qui était hier au présidium. Au cours d’une perquisition chez elle, il fut trouvé une photographie de notre père spirituel Messali Hadj. La photo a été insultée et les policiers ont craché dessus, mais la cruelle injustice, c’est que notre sœur, qui venait de sortir de clinique où elle venait de mettre au monde une petite fille, a été amenée et traduite devant les juges ici même à Lille. Son enfant de neuf jours a été élevé par son mari, parce que notre sœur, je le répète ici présente, avait été condamnée et a purgé 15 jours de prison ferme, du 9 au 24 février 1955.
A présent, je rends hommage aux glorieux martyrs qui sont morts pour que l’Algérie ait son vrai visage, pour que la misère, les souffrances et l’oppression soient abolis.
Nous leur disons à eux tous que leurs sacrifices n’ont pas été vains. Ils ont fait un don de leur vie pour que vive la démocratie. Nous leur disons merci et nous ne vous oublierons jamais, ô frères et sœurs, qui êtes morts en servant la patrie.
Vive la Fraternité !
Vive l’Union des peuples !
Vive la libération de la femme algérienne et la classe ouvrière algérienne !