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Algérie, Syrie, Liban : Droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes

Article publié dans La Vérité, n° 88, 25 juillet 1945.

La répression de la révolte d’Algérie eut le même caractère de bestialité que la destruction par les SS du ghetto de Varsovie et d’Oradour. « Il faut mater les salopards ; feu sur les burnous! » fut le mot d’ordre officiel. Les colons et tous les mouchards, les mercenaires et la racaille dont dispose l’impérialisme français furent armés et le paysan arabe, « le burnous », mis hors la loi. Les canons de marine, les chars et l’aviation du ministre « communiste » Tillon donnèrent à fond. Six mille travailleurs arabes furent massacrés. La boucherie fut patronnée de Paris par de Gaulle et par son ministre de l’Intérieur, le « socialiste » Tixier. Voilà où peut mener la honte de la collaboration de classe.

« Il s’agit d’une provocation hitlérienne, c’est la Ve colonne qui incite les arabes », disait l' »Huma » à ce propos. Mais trois lignes plus bas, elle ajoutait que les travailleurs arabes souffrent de faim et de soif et qu’ils sont vêtus de haillons, tandis que les colons s’enrichissent sur leur dos. Pourquoi alors salir leur mouvement? Pourquoi mentir sciemment et confondre le Parti Populaire Algérien, formé par les bandits de Doriot, avec le Parti du Peuple Algérien, parti démocratique qui veut l’indépendance de son pays. Mais la réponse vient à la fin de l’article où l' »Huma » affirme qu’il faut que l’Algérie SE CONFONDE avec la France, que les Algériens sont des Français.

_Et s’ils ne veulent pas, eux, se confondre avec la France capitaliste? _S’ils ont assez de l’exploitation des trusts français? _Si, comme il y a un an les F.T.P., ils ne veulent plus de l’occupation et ils veulent la liberté? _ »Non! » seront forcés de leur répondre les chefs socialistes et communistes français. Et les travailleurs arabes comprendront que c’est « non » parce que ces chefs siègent sur le même banc que de Gaulle, parce qu’ils sont en réalité les alliés de leurs exploiteurs ou de leurs bourreaux.

La répression fut accueillie d’un cœur joyeux par toute la presse réactionnaire. Certains organes de la Résistance ont cru voir la solution dans l’utopie d’un néo-colonialisme éclairé.

Différemment se présente l’affaire syrienne. La Syrie, tout le Moyen-Orient constituent un des centres névralgiques du monde. Une multitude d’intérêts impérialistes s’y croisent. Pour tous, le Moyen-Orient forme un nœud de communications essentiel. Le plus grand aérodrome du monde, est l’aérodrome américain de Payne Field, en Égypte ; les Anglais ont la réplique à Zydda en Palestine et les Américains en construisent déjà un autre au Liban. Pour l’impérialisme anglais, le Moyen-Orient représente en plus le pétrole ; et encore la clé de son empire qui se trouve sur les rivages du golfe Persique et de l’océan Indien. C’est sous l’égide de l’Angleterre que se forma la Ligue des États Arabes, barrage contre la poussée de l’U.R.S.S. vers le sud et contre-poids à la poussée américaine. En intégrant la Syrie et le Liban, l’Angleterre réussit d’une pierre plusieurs coups ; elle écarta un concurrent, elle évita la possibilité d’une bûche dans son système et elle put se présenter comme une libératrice devant les Arabes.

Pour l’Amérique, le Moyen-Orient représente aussi le pétrole. L’impérialisme yankee a réussi à rafler la majorité des pétroles anglais et un jour, lorsque les traités secrets seront publiés, on apprendra probablement que si les États-Unis ont soutenu l’Angleterre dans l’affaire syrienne, ce fut en échange des pétroles irakiens et de l’Arabie Séoudite.

C’est là d’ailleurs un exemple type de l’application de « l’esprit de Yalta ». Car à Yalta les trois grands se partagèrent le butin des impérialismes estropiés comme la France. En effet, il est ridicule qu’un parti ouvrier veuille en même temps « la grandeur de la France » et la fidélité à l’esprit de Yalta ; les « Grands » sont en effet bien décidés à avaler ce qui reste de l’ancienne richesse de l’impérialisme français. De Gaulle, appuyé par les leaders ouvriers, d’union sacrée, se débat ; il déclare à chaque pas que « la France se redresse de toute sa taille », mais cette mascarade est inutile, car la base même de la bourgeoisie française est pourrie, et celle-ci n’a plus aucun rôle mondial à jouer.

Le troisième grand, l’U.R.S.S., fut écarté pour le moment du partage de l’Empire français. L’U.R.S.S. réagit assez vigoureusement. Elle se prononça pour la liberté de la Syrie, mais sous condition que la décision soit prise par la conférence des Cinq Grands! Presque en même temps, Staline envoya son nouveau commis-voyageur, le patriarche Alexis, rendre visite aux puissantes communautés arméniennes du Moyen-Orient pour réclamer les anciens droits des moines orthodoxes sur le tombeau de Jésus-Christ. Mais l’important est que l’U.R.S.S. se prononça pour la liberté de la Syrie. De là aussi l’attitude du P.C.F., qui voit dans les massacres du Moyen-Orient non plus la Ve colonne, mais un « simple malentendu ».

Profitant de toutes ces rivalités, le peuple syrien se souleva pour briser l’emprise de l’impérialisme français, d’autant plus odieux et féroce qu’il était plus faible et moins sûr de lui-même. En même temps, le mouvement avait un profond caractère social, et la poussée pour les réformes démocratiques était de plus en plus forte. Pourtant, le mouvement, dans son ensemble, se déroula sous la direction des politiciens bourgeois. Ceux-ci sont aidés pour le moment par l’Angleterre. Mais, supposant même qu’ils tentent de mener une politique de bascule, ces politiciens bourgeois seront incapables de mener jusqu’au bout le mouvement de libération nationale, car ils seront amenés à monnayer la liberté de leur peuple pour sauver leurs privilèges.

Le peuple syrien ne pourra assurer son indépendance qu’en balayant en même temps que toute oppression étrangère ses propres oppresseurs nationaux. Il ne pourra y arriver qu’en union étroite avec tous les travailleurs coloniaux, aussi bien qu’avec ceux des métropoles.

Les travailleurs français ont le devoir de se solidariser avec la lutte de leurs frères coloniaux. Ils ne se laisseront pas prendre à la propagande chauvine du gouvernement bourgeois qui, au nom d’intérêts culturels, demande des bases pour l’aviation et la marine. Ils ne suivront pas non plus les staliniens qui ne cessent de parler de la « sauvegarde des intérêts de la France ». Les travailleurs savent qu’ils n’ont rien à sauvegarder en Syrie, pas plus qu’en Algérie, en Indochine ou ailleurs. Mais il leur est essentiel de se rendre compte que sous prétexte de « grandeur » et de « sauvegarde de l’empire », la bourgeoisie prépare en France le régime du sabre et du goupillon, sans pouvoir éviter l’inféodation grandissante du pays au puissant impérialisme américain. Aussi vrai est-il qu’un peuple qui en opprime d’autres ne peut pas être libre.

La seule solution pour eux est de s’unir aux travailleurs coloniaux et à tous les travailleurs, pour balayer le capitalisme et instaurer les États-Unis Socialistes du monde. C’est la seule « grandeur » possible.

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