Article paru dans el-Oumami, organe du Parti communiste international, n° 11, septembre-octobre 1980.
En attendant de faire un travail sur la condition féminine dans les pays du Maghreb nous publions ici quelques notes d’une camarade sur la situation de la femme en Algérie pour faire ressortir le poids des discriminations juridiques et sociales qui pèsent encore sur le sexe féminin et les effets qu’elles ne peuvent pas ne pas avoir sur la lutte des classes.
Il y a longtemps que K. Marx a expliqué que la situation dans laquelle se trouvait la femme d’un pays donné était un bon indicateur du degré d’émancipation des masses de ce même pays.
Nous n’avons pas la place de rappeler ici l’ensemble des mesures prises par la première révolution prolétarienne victorieuse en faveur de la femme. Ces mesures bénéficiaient au premier chef à la femme prolétarienne car la femme bourgeoisie n’a jamais à souffrir avec la même intensité de toutes les discriminations qui frappent le sexe féminin. Elles concernaient les questions de l’égalité devant l’emploi, devant l’instruction ; l’égalité de rémunération et, en général, la protection de la femme devant les multiples éléments de l’arbitraire – privé et public – qui composent la situation générale discriminatoire dont souffrent les femmes – recherche de paternité, protection maternelle et infantile, aide à la mère seule, droit à l’avortement, de divorce…
Le faux socialisme algérien qui puise dans l’arsenal de l’Islam les justifications à la situation d’oppression terrible que subissent les femmes algériennes, est encore plus féroce dans sa politique de discrimination que les autres faux socialismes, malgré tous les mensonges déversés sur ce sujet comme l’ensemble des thèmes concernant la situation sociale des travailleurs.
Bonne pour la production et l’élevage des futurs producteurs de plus-value, bonne pour l’entretien du prolétaire son époux, la femme est la « prolétaire du prolétaire », écrit Engels. C’est là une situation typique de toutes les sociétés de classe, basées sur l’exploitation.
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Dans la liste des pays où l’Islam sert d’alibi pour tenter de masquer la gravité de la situation sociale, pour tenter de faire croire aux prolétaires qu’ils ont les mêmes intérêts à défendre que leurs exploiteurs, pour leur faire miroiter le mythe d’un au-delà capable de justice et de fraternité capable de leur faire oublier leur misère d’aujourd’hui, leur misère de classe, pour trouver la justification à la mise à l’écart, à l’écrasement encore plus fort d’une catégorie de la population : le sexe féminin… dans cette liste de pays donc, l’Algérie ne démérite pas et la situation de la femme y est terrible. A elle seule, elle serait le plus éclatant démenti à ce mensonge éhonté qu’il y aurait chez nous la moindre once de socialisme.
La femme y est simple instrument de reproduction, éternelle mineure, main d’œuvre de réserve, vendue, humiliée, battue, sous-éduquée, fliquée non seulement par les flics officiels, mais par ses pairs masculins : frères, pères, cousins, voisins…
Sa naissance même est considérée comme une demi-catastrophe : c’est un garçon qui était souhaité, devant lequel les matrones de la famille auraient pu s’extasier et se mettre à plat ventre, mais une fille…! Une doctoresse qui a une longue expérience du milieu rural algérien expliquait – réflexion intéressante – qu’en Algérie il y avait une inversion du phénomène classique : celui de la surmortalité des jeunes garçons. Elle, elle avait observé que les petites filles mourraient en plus grand nombre. Elle en trouvait la cause dans une plus grande indifférence du milieu social envers la petite fille qui faisait que celle-ci recevait moins de soins (et sans que cela vienne d’une volonté délibérée et consciente évidemment).
La petite Algérienne, si elle a la chance d’accéder à la scolarisation n’aura droit en règle générale qu’aux premiers rudiments d’une instruction qu’il est considéré comme juste et légitime de donner d’abord aux garçons.
Dès l’enfance la petite fille est préparée à son rôle futur d’épouse servante. Dès l’enfance elle est préparée à cette cérémonie barbare, à cette affaire purement commerciale que sera son mariage. Malheur à elle si elle a déjà eu des rapports sexuels avant le mariage. Le tabou de la virginité particulièrement fort dans toute la société entraîne un contrôle exercé par l’ « opinion publique » qui enferme littéralement la femme dans un faisceau de surveillance si étroit qu’il en fait un être dominé qui s’habitue progressivement à limiter toute spontanéité, toute richesse d’expression, bref le mutile.
Nouvelle épouse, elle n’a pas plus son droit à l’autonomie et à la direction de son ménage que lorsqu’elle vivait dans l’orbite familiale. Elle devient la domestique non rémunérée de la famille du mari, la servante docile de ses beaux-frères, beau-père et surtout de la belle-mère. La belle-mère est le personnage central de la famille élargie algérienne. Elle entretient des rapports plus qu’ambigus avec ses fils sur lesquels elle a reporté toutes les frustrations nées de la vie mesquine que nous sommes en train de décrire, nées aussi d’une sexualité niée et piétinée. Les manifestations de jalousie sourde ou ouverte qu’elle va faire subir à sa belle-fille, celle-ci devra les supporter dans le silence pour ne pas laisser trop s’envenimer avec son mari des relations qui peuvent devenir très brutales s’il entre dans le jeu répressif de sa propre mère. La naissance d’enfants ne peut pas non plus être vécue par la jeune épouse comme un épanouissement. Sa maternité, ses enfants lui sont littéralement confisqués. Il s’agit moins de ses enfants que de ceux de sa belle-mère qui va écarter systématiquement la mère, sauf dans le domaine de l’allaitement. Si elle n’a pas d’enfants… c’est pire! On lui fera sentir minute après minute qu’elle est atteinte d’une impardonnable infirmité. Et elle aura beau redoubler de soumission, d’humilité, elle n’échappera pas à ce qui peut devenir une véritable persécution. Il y a là une absurdité d’autant plus grande que la stérilité peut être due au mari… qui ne va évidemment même pas se poser la question. Un tour dans les hôpitaux permet de mesurer la gravité du problème : « un des fléaux de l’Algérie, expliquait un docteur de Kouba qui avait à soigner quantités de « maladies de belles-filles » dues à la malnutrition et aux mauvais traitements même dans les familles aisées, c’est la belle-mère ».
Sans doute ce tableau devrait-il être nuancé et différencié en tenant compte des modalités que prend cette oppression selon les classes. Sans doute les filles de la bourgeoisie subissent-elles moins crûment les exclusions dont nous parlons. Mais les chiffres sont là qui témoignent :
_ de la sous-scolarisation des filles : une fille d’âge scolaire sur cinq ne fréquentait pas l’école en 1978,
_ de leur maintien dans l’armée industrielle de réserve : le taux d’activité des femmes était de 1,8% en Algérie (8,3% en Iran à la même date!)* et en 1977, 5% seulement des femmes étaient actives.
Les discriminations de salaire sont imposantes, etc. Les éléments dont nous avons rendu compte plus haut restent difficilement mesurables mais ils sont bien réels. Il faut ajouter qu’une telle société qui habitue l’homme à ne voir dans la femme qu’un objet de reproduction et de plaisir, de mépris, de souffrance le mutile au même titre qu’elle mutile la femme. Celle-ci s’habitue progressivement, et au prix de quelles frustrations, à s’enfermer dans le rôle qu’on exige de lui voir tenir. Elle s’abêtit. Mais lui s’abime autant qu’elle, même si le gâchis est différent. Et l’ensemble donne une société totalement déséquilibrée et suffocante où rues et cafés ne sont peuplés que d’hommes qui ne trouvent pas à exprimer leur sexualité sur un mode normal et épanouissant (comment aimer et respecter celles que l’on a appris à mépriser, surveiller, réprimer?) et de fantômes voilés condamnés à n’avoir de contacts qu’avec d’autres fantômes voilés avec lesquels les échanges seront forcément d’une terrible pauvreté puisque reposant sur un monde d’exclusions et de frustrations.
Seul le socialisme fera éclater les barrières dressés par le capitalisme entre les sexes. Le capitalisme a besoin que la production et l’entretien de la force de travail soit une affaire privée. Il a besoin qu’une catégorie de la population – en l’occurrence, les femmes – se spécialise dans ces fonctions. Il a créé l’idéologie discriminatoire qui permet de justifier la situation injustifiable faite à la femme. L’arsenal idéologique de l’Islam renforce encore cet arbitraire qui existe à des degrés divers dans toute société de classes. Et bien sûr, cette oppression pèse doublement sur le prolétaire. Mais qu’on ne vienne pas nous chanter que c’est du socialisme. Le socialisme mettra en place des structures qui permettront que tous les individus participent à la vie sociale ; que disparaissent les contraintes nées des nécessités de l’accumulation et de l’accroissement du capital. Le socialisme généralisera l’application d’un système de scolarisation qui mettra progressivement fin à la division entre le travail manuel et intellectuel. Le socialisme mettra fin à la nécessité de vendre sa force de travail pour recevoir la contrepartie salariale – qui consacre la transformation de l’être humain en marchandise -ou de crever si on ne trouve pas à la vendre. Le socialisme socialisera les tâches domestiques et mettra fin aux discriminations nées de la spécialisation de la femme dans ce type de fonctions. Le socialisme, en créant un type d’hommes et de femmes réellement épanoui, responsable, mettra fin aux tabous d’ordre sexuel et religieux nés d’une situation où l’insécurité et la misère sont des données permanentes. Alors nous sortirons de la préhistoire de l’humanité! En attendant, les prolétaires doivent s’organiser pour résister à l’exploitation et à l’oppression capitalistes, comprendre que la force de leur adversaire se nourrit des divisions qu’il entretient grâce à un arsenal de mensonges à base de falsifications historiques et de prêches religieux. Hommes et femmes prolétaires unis n’ont que leurs chaînes à perdre, ils ont un monde à gagner.
*Il s’agit de l’année 1966.