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Les luttes de « libération nationale »

Article paru dans Révolution internationale, n° 1, décembre 1972, p. 12-16.

1972-12 révolution internationale

 

I

La formation de nouvelles nations n’est, et n’a jamais été une tâche historique du prolétariat. Tout au contraire. La nation est le cadre géo-économique spécifique au capitalisme, et la révolution prolétarienne entraînera l’élimination des nations.

Si au I9e siècle des révolutionnaires comme Marx et Engels se prononcèrent en faveur de certains mouvements nationaux ce ne fut jamais parce qu’ils entretenaient des illusions là-dessus, ni non plus au nom des principes tels que « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (I). Les raisons de cette attitude trouvaient leurs fondements dans les spécificités qui caractérisaient la lutte prolétarienne à cette époque.

En effet, au I9e siècle, après le féodalisme, la constitution de certaines nations représentait une condition nécessaire au développement capitaliste et, à son tour, ce développement conditionnait encore toute possibilité de révolution prolétarienne triomphante.

Il était alors possible, dans une perspective prolétarienne d’appuyer ces mouvements qui pourtant – et personne ne se trompait là-dessus – ne visaient qu’à instaurer les conditions d’une exploitation plus féroce des travailleurs.

Aujourd’hui ces caractéristiques n’existent plus. Le capitalisme a atteint son plein développement depuis longtemps à l’échelle de la planète et les cadres nationaux ont cessé de constituer des conditions indispensables de développement pour se transformer en entraves de celui-ci. Entraves dont par ailleurs le capitalisme essaie d’ éliminer les aspects les plus contraignants par des marchés communs, des zones de libre échange, des unions arabes ou autres collaborations internationales, mais en vain.

Les luttes de Libération nationale et la formation de nouvelles nations « indépendantes » auxquelles elles sont supposées aboutir, ont donc perdu aujourd’hui tout caractère progressiste du point de vue historique. Il ne leur reste au contraire que leur aspect profondément antiprolétarien.

II

LE MYTHE DES « PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT »

Les libérations nationales se sont multipliées à partir de la Ière et surtout de la IIème guerre mondiale.

Cependant l’écart entre pays industrialisés et tiers monde n’a fait que se creuser. Et sous la pression de l’exacerbation des contradictions internes du capitalisme, celui-ci ne pourra que s’approfondir chaque jour davantage.

En effet, on constate que simultanément:

– le chemin à parcourir par le tiers monde pour parvenir à un « rattrapage » s’allonge et exige des moyens de plus en plus importants.

– d’autre part, que la concurrence et les difficultés économiques mondiales rendent toujours plus inaccessibles à ces pays les moyens pour y parvenir, en particulier au niveau des marchés mondiaux.

C’est une mystification savamment entretenue par l’idéologie capitaliste soucieuse de « déculpabilisation » et de ventes d’armements, que de présenter chaque nation du tiers monde comme une potentielle Angleterre du I9ème siècle.

Le système capitaliste est un tout dans le monde. Il est aussi illusoire de le concevoir sans pays sous-développés que de l’ imaginer sans prolétaires.

III

LES LUTTES DE LIBERATION NATIONALE : UN MOYEN DE FOURNIR DE LA CHAIR A CANON AUX GUERRES INTER-IMPERIALISTES.

Depuis la première guerre mondiale le monde est définitivement partagé en zones d’influence impérialistes. Le rapport de force entre puissances peut changer mais aucun pays non industrialisé n’échappe à l’emprise de l’un des blocs.

Dans un tel monde, aucun état ne peut se libérer de l’emprise d’une puissance :

– I° Sans l’aide d’une autre puissance,

-2° Sans tomber par la suite sous la dépendance d’une ou de plusieurs autres.

La Chine ne fait véritablement exception à la règle qu’à partir de la rupture sino-soviétique. Après la prise du pouvoir par Mao-Tsé toung, la Chine tombe sous la domination soviétique. Et si depuis lors on peut dire qu’elle est parvenue à l’indépendance politique et militaire, on ne peut cependant pas affirmer qu’elle ait pu acquérir les véritables moyens de son indépendance économique. D’ailleurs, cette indépendance partielle est le produit d’une situation historique et géographique unique au monde, qui empêche toute généralisation à d’autres pays.

Il en découle que quelle que soit l’intention initiale des protagonistes, les luttes de libération nationale sont condamnées à se voir utilisées par un bloc impérialiste contre un autre.

Depuis la 2ème guerre mondiale, avec le développement effréné de moyens de destructions, les puissances mondiales ont fui tout affrontement direct, déplaçant le centre de leur bataille vers les pays sous-développés. A cet effet, elles ont utilisé ou provoqué des luttes de libération nationale permettant de régler ainsi leurs conflits par victimes interposées.

Le capitalisme n’apportera pas de solution aux problèmes du tiers monde. Cinquante ans de libérations nationales n’ont apporté ni un développement véritable, ni, encore moins, le socialisme. A leur place ce sont des Etats artificiels qui ont surgi avec des régimes aussi dictatoriaux que dépendants des puissances dominantes. Ce sont les massacres comme ceux du Biafra, du Soudan, du Bengale, du Vietnam qui se sont multipliés.

Les luttes de libérations nationales sont de cette façon devenues plus que jamais uniquement un moyen pour recruter les paysans et prolétaires du tiers monde comme chair à canon des boucheries interimpérialistes.

IV

L’ATTITUDE DU PROLETARIAT MONDIAL

« LES PROLETAIRES N’ONT PAS DE PATRIE »… Ni en Europe, ni en Asie, ni en Amérique du Nord, ni en Amérique du Sud.

La classe ouvrière n’a jamais participé en tant que classe autonome (encore moins sous son propre drapeau révolutionnaire) aux luttes de libération nationale. Elle en a au contraire été la victime. Appelant toujours les travailleurs à redoubler d’efforts dans la production – c’est à dire à subir « avec enthousiasme » une exploitation intensifiée – au nom du « nouvel intérêt patriotique », les différents gouvernements de libération nationale se sont toujours appliqués à mater toute tentative de mouvement authentiquement prolétarien. (L’attitude du Viet-Minh envers les grèves ouvrières de 46, ou celle de Nasser envers les luttes du prolétariat égyptien par exemple, sont particulièrement éloquentes à cet égard.)

La lutte contre l’impérialisme n’est pas l’appui des fractions les plus faibles du capital mondial contre les plus fortes, mais la lutte directe contre le CAPITAL DANS TOUS LES PAYS DU MONDE.

Dans le tiers monde, comme l’ont montré les grèves de 46 au Viet-Nam, l’insurrection de Shangai en 27 en Chine, ou les violentes luttes ouvrières au Sénégal récemment ou en Amérique latine par exemple, la lutte contre le capital y est possible. Elle est la seule lutte dans laquelle le prolétariat de ces zones peut trouver son intérêt ; car c’est uniquement à travers elle qu’il s’intègre à l’unité du prolétariat mondial _ seule capable de mener à bien la révolution socialiste.

Dans les pays industrialisés, la lutte des prolétaires contre l’impérialisme ne consiste pas à se faire les complices des bourgeoisies des pays du tiers monde (que celles-ci soient sous forme militaire, bureaucratique ou libérale), mais à détruire sa propre bourgeoisie ; attaquant ainsi, en son centre vital même, la véritable source de l’impérialisme : le capitalisme mondial.

Dans le monde entier, ce qui aujourd’hui est à l’ordre du jour, ce n’est plus la formation de nouvelles nations ni une prolétarisation des paysans du tiers monde, mais l’abolition des nations, du prolétariat et du système qui les a engendrés.


 

« L’Etat national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives. Ce phénomène a rendu plus difficile la situation des petits Etats encastrés au milieu des grandes puissances de l’Europe et du Monde. Ces petits Etats, nés comme des fragments des grands, à différentes époques, comme la menue monnaie destinée à payer divers tributs, comme des tampons stratégiques, possèdent leurs dynasties, leurs castes dirigeantes, leurs prétentions impérialistes, leurs filouteries diplomatiques. Leur indépendance illusoire a été basée, jusqu à la guerre, exactement comme était basé l’équilibre européen, sur l’antagonisme des deux camps impérialistes. La guerre a détruit cet équilibre… »

… « L’affranchissement des colonies n’est concevable que s’il s’accomplit en même temps que celui de la classe ouvrière des métropoles ».

Premier Congrès de l’Internationale Communiste.


 

(I) Ainsi Marx, favorable à la libération nationale polonaise, s’ opposait à celle de la Tchécoslovaquie considérant que celle-ci ne constituait pas une condition de développement du capitalisme mondial. Encore est-il important de souligner qu’il s’agit d’un critère fondé sur une vision mondiale du développement capitaliste et non de celui de chaque nation. Marx justifie plus la libération nationale polonaise par la nécessité d’isoler la « très réactionnaire » Russie des modernes puissances capitalistes occidentales que par les besoins économiques propres à la Pologne elle-même.

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