Article paru dans El Jarida, organe du Parti de la révolution socialiste, n° 14, août-septembre 1973, p. 27.
La situation de la jeunesse est à l’ordre du jour en Algérie. Nous avons déjà abordé ce problème sous l’angle de la scolarisation dans notre numéro 10-11 du 15 juin 1971. Il est repris aujourd’hui en liaison avec le développement du banditisme et la généralisation de l’insécurité dans les villes.
Face à ce problème, les responsables s’alarment et la presse, aux ordres, ne manque pas d’imagination pour dégager la responsabilité du pouvoir.
Les ministres s’en mêlent. Tel celui de la Jeunesse et des Sports qui rejette la responsabilité sur l’extérieur : « nous sommes en face de l’Europe, nous ne pouvons pas arrêter les influences européennes. Nous vivons dans la sphère européenne ».
La recrudescence de la violence a pourtant ses racines dans le processus de division de la société algérienne en deux camps opposés, l’un s’enrichissant, l’autre s’appauvrissant, engendrés par le développement du capitalisme dans notre pays.
Les masses populaires sont ainsi de plus en plus démunies, vouées au chômage et à la misère, ce qui contraint des milliers d’hommes pour survivre à recourir au vol, à l’agression et parfois au crime.
La presse du pouvoir en donne des témoignages, tel celui-ci : « Un jeune homme de seize ans qui venait de sortir de la maison de redressement a retrouvé ses parents dans une grande misère. Il se présente alors chez un boucher, lui commande de la viande en le menaçant avec un couteau. Après quoi, il se présente chez un épicier et se fait servir de la même façon. La police, ayant été avertie, le prit en flagrant délit et le présente aussitôt au tribunal. »
On peut ainsi affirmer que la violence et donc l’insécurité en tant que produits de la politique du pouvoir en place vont s’amplifier. En effet, actuellement, un jeune seulement sur dix a une chance de trouver un emploi avant l’âge de vingt ans. Chaque année, environ 300 000 adolescents et adolescentes s’ajoutent au nombre de ceux qui cherchent déjà un emploi.
La répression exercée avec acharnement (vingt ans de travaux forcés pour une attaque à main armée) ne semble pas avoir endigué cette montée de violence. Aussi, reconnaissent-ils aujourd’hui que ça n’est pas une solution. Pour remédier à la situation, il est proposé « l’éducation des mentalités » et on s’en prend aux films de gangsters qui étaient le vice et la violence et ont une influence néfaste sur les jeunes. On peut s’étonner d’une telle proposition lorsqu’on sait que c’est l’État algérien qui détient le monopole des films (par l’ONCIC). Mais, là encore, nous sommes devant une des nombreuses contradictions de l’État en Algérie.
En tant que propriétaire des salles de cinéma, l’État est amené à mettre en circulation les films qui attirent le plus de clients : films américains, westerns, films de gangsters… cela pour réaliser le maximum de bénéfices. Sergio Leone, le réalisateur de films à succès, « Pour une poignée de dollars », « Il était une fois dans l’Ouest », etc., n’a-t-il pas reconnu dans un interview que ses films avaient été conçus, au départ, pour le public nord-africain qui reste la plus grosse source de revenus pour le « western-spaguetti ».
L’intérêt de la bourgeoisie en tant que classe lui commande de matraquer idéologiquement le peuple, de l’endormir en lui fournissant des films abrutissants, « distrayants » afin de lui faire oublier sa situation, ses souffrances, de détourner sa violence vers les bagarres… Mais, il y a le revers de la médaille, incontestablement le cinéma exerce une influence sur les jeunes, incite au banditisme : ce qui inquiète les bourgeois en tant qu’individus menacés dans leur sécurité et dans leurs biens. Il est vrai que cette influence du cinéma joue aussi en un sens inverse de la prise de conscience de classe, car elle développe l’idéologie individualiste, la concurrence bourgeoisie, le mépris du faible, le respect de celui qui est arrivé…
C’est pourquoi une précision s’impose quand on aborde ce sujet. Si la violence est une conséquence de la politique de la bourgeoisie, une manifestation de la lutte des classes, il est évident que c’est une manifestation négative car elle ne s’accompagne pas d’une conscience de classe. Ainsi, des pauvres gens sont souvent victimes des vols et du banditisme.
On voit bien qu’un travail considérable est à entreprendre tout de suite pour soustraire notre jeunesse à cette emprise néfaste de l’idéologie dominante. Une lutte de tous les instants doit être menée pour développer chez les jeunes une prise de conscience du problème de la société algérienne, de la nature de classe de l’État, pour les amener à une remise en cause radicale du régime actuel.
La tâche est immense, mais elle n’est pas difficile car les jeunes se posent des questions maintenant. Ils veulent changer la situation, mais ils ne savent pas comment. La recherche de solution individuelle est un pis-aller. Le football, l’alcool sont des palliatifs, un opium que les jeunes s’administrent faute de mieux. Un fait encourageant : jusqu’à ce jour, toutes les tentatives d’encadrement des jeunes menées par le Parti du F.L.N., par la J.F.L.N. ont échoué. A tel point que le pouvoir lance une nouvelle offensive avec la proposition de créer une Union nationale de la jeunesse algérienne (ou Union socialiste) qui regrouperait tous les mouvements de jeunes.
La tâche est immense, mais elle concerne tous ceux qui croient qui les jeunes Algériens sont capables, comme les jeunes de bien d’autres pays, d’être partie prenante dans le combat révolutionnaire, pour la transformation de la situation du pays.