Article d’Errico Malatesta paru dans Le Réveil anarchiste, n° 885, 4 novembre 1933.
Dernièrement des camarades nous ont proposé de discuter cette question : S’abstenir ou voter ? A vrai dire elle nous paraissait définitivement tranchée pour tout anarchiste, mais il y avait sans doute intérêt à reprendre la question pour les jeunes camarades.
Maintenant, nous croyons bon de réimprimer ici ce que notre camarade Malatesta avait eu l’occasion de déclarer sur le même sujet.
Aux élections françaises de 1914, la Bataille syndicaliste, sous prétexte de campagne antiparlementaire, ayant proposé de poser « les candidatures de protestation des anarchistes détenus politiques et exilés », Malatesta fit la déclaration suivante :
Je suis contraire aux candidatures de toutes espèces, et je dirais presque, à celles de protestation plus qu’aux autres, parce qu’elles prêtent davantage à équivoque, et sont plus susceptibles aussi de détourner et corrompre l’élément révolutionnaire. J’y suis contraire encore par le fait même de la candidature qui implique la reconnaissance des institutions, pour le genre de propagande à mener pour la faire réussir, et pour l’effet moral qu’elle produit sur le candidat et sur ses partisans.
Charles Malato, ayant à son tour prétendu que dans Volontà Malatesta aurait en quelque sorte admis que les anarchistes votent pour Cipriani à Milan, nous lui avons fait remarquer que son opinion avait été mal interprétée, en donnant l’explication précise que cette fausse interprétation avait provoquée. La voici :
Quelques camarades nous ont écrit pour critiquer notre article du dernier numéro. L’heure de Cipriani, et nous opposent des arguments en faveur de l’abstentionnisme et contre toute indulgence pour le parlementarisme, arguments que nous adoptons entièrement, étant précisément ceux que nous développons sans cesse par la parole et par la plume.
Évidemment, il n’y a pas dissentiment, mais malentendu. Expliquons-nous.
Ayant dit que lorsque les individus vont voter, il vaut mieux qu’ils votent pour le socialiste que pour le curé, pour le révolutionnaire plutôt que pour le policier, nos critiques ont cru que nous voulions soutenir une fallacieuse théorie du moindre mal, et nous opposent les effets corrupteurs et endormants produits par l’électionnisme et le parlementarisme.
Et nous sommes parfaitement d’accord. C’est pourquoi nous ne disions pas qu’il vaut mieux qu’un révolutionnaire soit élu à la place d’un conservateur ; nous affirmions qu’il est préférable que ceux qui vont voter votent pour le candidat le plus avancé, car cela prouve de leur part une mentalité, une disposition d’esprit moins réactionnaire que s’ils se comportaient autrement.
Nos amis ne voient-ils pas la différence ?
Nous voudrions voir les électeurs s’abstenir consciemment et délibérément. Ils prouveraient ainsi leur défiance à l’égard des institutions actuelles et se prépareraient à les combattre avec des moyens efficaces. Et c’est pour cela que nous prêchons l’abstentionnisme.
Mais puisque nous ne réussissons pas à faire accepter nos idées par tout le monde, nous avons toujours intérêt à ce que les individus n’étant pas avec nous, en soient éloignés le moins possible.
Nous nous réjouirions de l’élection des pires réactionnaires, si elle était due aux voix des bourgeois et à l’abstention consciente des travailleurs. Mais nous ne pouvons pas cependant nous en réjouir s’ils sont élus par les voix des travailleurs, que ce soit par une fidélité stupide au prêtre, au roi ou au patron, ou par lâche soumission au gendarme ou à l’agent du patron.
Nous aurions réellement souhaité voir les ouvriers milanais, invités à voter pour Cipriani, répondre : Si Cipriani veut la révolution, qu’il nous aide à la réaliser, comme nous l’aiderons lui, et qu’il ne nous demande pas de l’envoyer au parlement au milieu de nos ennemis.
Cependant, puisque cette conscience leur fait défaut et que nous n’avons pas encore réussi à la leur inspirer, nous sommes plus contents, ou si l’on veut moins mécontents, de savoir qu’ils votent pour Cipriani plutôt que pour son adversaire nationaliste et clérical.
Évidemment, les électeurs de Cipriani sont plus susceptibles que les autres d’accepter notre propagande et certainement le jour de la révolution pourrions-nous compter davantage sur eux que sur ceux qui sont menés par les curés ; certainement encore, la ville de Milan donnant des suffrages aux socialistes est plus près de nous que certaines communes qui votent pour le candidat du curé ou du maréchal des gendarmes.
Nous devons prêcher l’abstentionnisme conscient, demeurer fermes et soutenir tout notre programme, sans diminutions et sans transactions. Mais cela ne doit pas nous empêcher de distinguer entre ceux qui ne sont pas avec nous, et de nous réjouir qu’une population, n’étant pas encore anarchiste, soit républicaine plutôt que monarchiste, socialiste plutôt que bourgeoise.
Du moins, républicains et socialistes discutent avec nous et, espérons-le, combattront un jour avec nous contre les ennemis les plus proches ; les autres voudraient nous envoyer au bagne.
Comment donc ne pas préférer les uns aux autres ?