Article d’Errico Malatesta paru dans Le Réveil anarchiste, n° 743, 1er mai 1928, p. 5.
Récemment, l’Avanti ! écrivait :
Les anarchistes qui, même selon les dernières déclarations d’Errico Malatesta, ne sont pas fauteurs de violence et ne visent pas à l’organisation de la force révolutionnaire pour la transformation violente de la société capitaliste… »
De quel compte rendu du procès de Milan a-t-on bien pu déduire que je ne vise pas à l’organisation de la force révolutionnaire pour la transformation violente de la société capitaliste ?
Les anarchistes sont contre la violence. La chose est notoire. L’idée centrale de l’anarchisme est l’élimination de la violence de la vie sociale et une organisation des rapports sociaux fondée sur la libre volonté des individus sans l’intervention du gendarme. C’est pourquoi nous sommes les ennemis du capitalisme qui en s’appuyant sur la force armée contraint les travailleurs à se laisser exploiter par les détenteurs des moyens de production ou à rester oisifs et à souffrir de la faim quand les patrons n’ont pas intérêt à les exploiter. C’est pourquoi nous sommes les ennemis de l’Etat qui est l’organisation coercitive c’est-à-dire établie sur la violence de la société.
Mais si un honnête homme dit qu’il croit stupide et barbare de raisonner à coups’ de bâtons, injuste et sauvage d’obliger sous la menace du revolver un homme à faire la volonté d’un autre, est-il logique d’en déduire que cet honnête homme entend se faire bâtonner et se soumettre à la volonté d’autrui sans résister, sans recourir aux moyens, même extrêmes, de défense ?
J’ai dit à Milan ce que moi-même et tous les anarchistes ont répété mille fois : « La violence n’est justifiable que lorsqu’elle est nécessaire pour défendre soi-même et les autres contre la violence. Où cesse la nécessité, commence le crime. »
Et si le président m’avait laissé la faculté d’exposer à la fin du procès nos buts et nos moyens, j’aurais démontré comment l’esclave est toujours en état de légitime défense et comment sa révolte contre le maître, contre l’oppresseur, est toujours moralement justifiable et doit être réglée par la seule préoccupation de l’utilité, de l’économie de l’effort humain et des souffrances humaines. C’est là aussi une chose mille fois répétée par tous les anarchistes.
Le régime actuel d’injustice et d’oppression s’appuie sur la force des fusils et des mitrailleuses et puisque la révolte individuelle, pour bonne et utile qu’elle soit quand elle est intelligemment pratiquée, est généralement impuissante contre l’Etat mastodonte, l’organisation d’une force révolutionnaire suffisant à son but est nécessaire. Mais comment se fait-il qui les socialistes s’avisent aujourd’hui de nous dépeindre sous les traits de pacifistes, attendant la chute du régime capitaliste comme un paisible couchant, eux qui ont tant de fois rivalisé avec les procureurs du roi pour nous présenter comme fauteurs d’aveugle violence et qui dans l’anarchisme ne voient pour ainsi dire que la violence systématique ? La vérité est que l’Avanti ! est enivré de la dictature du prolétariat et ne conçoit pas la révolution sans la dite dictature. Et comme nous sommes opposés à cette dictature, car elle est en même temps l’oppression et la prise en tu telle du prolétariat par les chefs (je dirais par les petits bourgeois, si j’aimais le jargon de l’école) par les chefs, dis-je, du parti qui arrive à dominer et à étouffer la Révolution, on en déduit que « les anarchistes ne se proposent pas l’organisation de la force révolutionnaire pour la transformation violente de la société capitaliste ».
Pourtant l’Avanti ! devrait savoir que cette question de vouloir ou de ne pas vouloir faire la Révolution — la révolution armée et violente — a toujours été le principal débat entre les socialistes et nous. Nous les accusons de parler volontiers de préparation révolutionnaire, mais de s’opposer en fait à tout mouvement possible en endormant les masses avec les idées de réformisme, de collaboration, de parlementarisme.
De grâce, que l’Avanti ! combatte nos idées, de façon calme ou non, mais qu’il ne nous fasse pas dire le contraire de ce que nous pensons et disons.
Errico MALATESTA.