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Algérie : L’après-Boumédiène

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 29, 15 février-15 mars 1979, p. 5-7.

L’ère de l’après-Boumédiène sera à bien des égards différente de celle du vivant du dictateur. Sur le plan politique, le régime ne peut pas continuer à fonctionner comme auparavant. Boumédiène avait façonné le pouvoir en fonction de sa stature politique. Il régnait sans partage, cumulant les fonctions les plus importantes, président de la république, chef de l’armée, du parti, etc.

Aucun de ceux qui lui succèdent, à commencer par Chadli, n’ont sa stature ni son prestige politique. Malgré les compromis qui sont intervenus entre les différentes cliques, la crise de succession qu’a provoqué la mort de Boumédiène est loin d’être résolue. A cette crise politique, s’ajoute, comme nous allons le voir, la faillite sur le plan économique du capitalisme d’Etat algérien.

A propos du putsch de 1965

Il a fallu trois ans à la bourgeoisie algérienne pour prendre en charge l’appareil d’Etat laissé vacant par le colonialisme français. L’indigence du parti (FLN) et la confusion politique ambiante ont fait que la seule force organisée, l ‘armée, est devenue l ‘armature du régime. Cet état de fait fut sanctionné par le putsch militaire qui porta Boumédiène au pouvoir. Le coup d’Etat correspondait au besoin qu’avait alors la bourgeoisie algérienne de s’ assurer une certaine stabilité politique (par le renforcement de son appareil d’Etat) nécessaire à son développement.

Un choix : le capitalisme d’Etat.

A partir de 1966, la dictature s’engagea franchement dans la voie du capitalisme d’Etat. La stratégie du régime consistait en un élargissement des nationalisations à tous les secteurs clés de l’économie, ainsi qu’en la récupération par la bourgeoisie des ressources nationales, et en la mise sur pieds de grands projets industriels (sidérurgie, pétrochimie, mécanique), sensés devoir permettre au capital national de prendre une place sur le marché mondial.

Cette politique du développement du capitalisme a été baptisée par les tenants du pouvoir, « socialiste », du fait qu’elle accordait la prééminence au secteur d’Etat.

La propagande officielle jouait sur le fait que la bourgeoisie d’Etat ne possédait pas juridiquement les moyens de production, et elle concluait qu’ils étaient donc la propriété de tous. « L’édification du socialisme », voilà le voile que s’est donné le capitalisme pour se développer en Algérie. Indépendamment de son caractère mystificateur, l’étatisation répondait au besoin qu’avait la bourgeoisie algérienne de construire un capital national. Pour mieux résister à l’emprise de l’impérialisme (pour se développer), elle a substitué à l’intérêt individuel de chacun de ses membres, l’intérêt collectif de toute la classe des capitalistes. Elle a concentré tous les moyens de production, tous les capitaux aux mains du « comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise toute entière » (Marx) : l’Etat.

Les plans de développement et la Réforme agraire.

A partir de 1966, un programme économique commença à être appliqué en Algérie. Ce programme se divisait en trois plans : 1966.69, 1970.74, 1975.77 ; de 1960 à 1971, soit approximativement le premier plan, la bourgeoisie algérienne tenta surtout de s’assurer le contrôle de l’économie du pays, et par conséquent de s’assurer les sources d’accumulation indispensables à sa politique d’industrialisation. Sur 700 à 800 entreprises existant en 1963, seule une centaine poursuivait ses activités en 1970. Les nationalisations se succédaient, et en 1974, il n’existait plus de firmes étrangères opérant on Algérie en toute souveraineté, mais seulement des sociétés mixtes à capital algérien majoritaire.

Parallèlement à la réduction progressive des positions occupées par le capital étranger, le monopole de l’Etat se concrétisa par la création ou le renforcement des sociétés nationales, qui contrôlèrent désormais l’essentiel des activités minières, pétrolières, industrielles et bancaires.

En 1970 commence le premier plan quadriennal. L’objectif est de « semer le pétrole pour récolter l’industrie ». La répartition des investissements serait de 44 % pour l’industrie, 15 % pour l’agriculture et 14 % pour l’infrastructure, 22 % pour l’éducation et le social. L’accroissement prévu du niveau de vie n’excède pas 2 % par an. Précisons qu’il s’agit là d’une moyenne, et que l’austérité touchera davantage certaines couches sociales que d’autres. Le deuxième plan quadriennal prévoit la même répartition des investissements, mais le montant de ceux-ci est passé de 34 milliards de dinars à 110 milliards de DA.

Les deux plans privilégient très nettement l’industrie par rapport à l’agriculture, alors que les deux tiers de la population vivent à la campagne. D’autre part, ce sont les industries de base (pétrochimie, sidérurgie, construction mécanique…) qui sont privilégiées par rapport au reste des industries (textiles, etc.). L’achat d’usines « clés en mains » qui fonctionnent selon les techniques les plus modernes, favorise peu la création d’emplois.

En 1971, la réforme agraire (dont il était déjà question dans le programme de Tripoli) était décidée par la dictature de Boumédiène, Selon les textes officiels, elle se fixait comme buts essentiels la limitation de la grande propriété et la réduction des « disparités » dans le monde rural. Il était prévu des nationalisations de terres et leur redistribution à des attributaires, ainsi que le regroupement de ces attributaires en forme collective d’exploitation.

Semer le pétrole pour récolter… une faillite !

Aujourd’hui, malgré les assertions démagogiques du régime en Algérie, un bref bilan nous permettra de constater que la situation est désastreuse sur le plan économique. Si incontestablement beaucoup d’usines ont été construites en Algérie, la production est très faible et de mauvaise qualité.

Les unités industrielles construites ne permettent pas de satisfaire les besoins internes. La politique du pouvoir était sensée permettre au pays d’être moins dépendant vis-à-vis de l’impérialisme. En réalité, l’Algérie est un des pays les plus endettés d’Afrique, et le remboursement des dettes représentera à peu près 25 % des exportations. En achetant des usines « clés en mains », les responsables de l’industrialisation ont investi avec les méthodes les plus modernes. Cela signifie, vu que la technologie algérienne n’est pas au niveau occidental, qu’il faudra se réapprovisionner sans cesse à l’extérieur en pièces détachées, en techniciens pour l’entretien, etc…, d’où une dépendance technologique vis-à-vis de l’impérialisme.

Dans l’agriculture, le bilan n’est pas plus réjouissant. La réforme agraire avait surtout pour but, contrairement aux allégations du pouvoir, de permettre, par le mise en place de différentes structures étatiques (CAPCS, COFEL, etc.), une exploitation plus systématique de la paysannerie pauvre et des salariés agricoles. Or l’Algérie doit importer le tiers environ de ses besoins alimentaires chaque année.

Semer le pétrole, et récolter… la révolte.

Si la bourgeoisie algérienne a investi de façon relativement importante 80 milliards de la peur se constituer une base industrielle, les quelques faits et chiffres que nous avons brièvement évoqués ci-dessus montrent que le développement d’un capital national à l’époque du capitalisme impérialiste est une pure utopie. Plus l’Algérie s’industrialise, plus elle le fait sous la dépendance du marche mondial et au profit, principalement, de l’impérialisme. C’est ainsi que celui-ci oriente les investissements dans les secteurs qui correspondent d’ abord à ses besoins, pétrochimie, etc. Quand nous parlions au début de crise économique, en Algérie, nous entendions l’échec de la politique du pouvoir dans ce domaine et les répercussions qu’ont eu cette politique pour les travailleurs et les masses opprimées.

Si 16 ans d’indépendance n’ont pas permis à la bourgeoisie de rattraper celle des pays développés, ils lui ont permis de s’enrichir par contre et de renforcer son pouvoir. Malgré sa démagogie socialiste, le régime a permis à toute une classe de bureaucrates bourgeois de vivre dans le luxe, affichant voitures et palais. Pour les travailleurs, par contre, les 16 ans d’indépendance ont surtout été des années d’austérité s des pénuries, la hausse des prix, font que le pouvoir d’achat baisse A cela s’ajoute le chômage, une crise du logement dramatique. Mais malgré la répression, les travailleurs relèvent la tête, et les grèves des dockers, des cheminots, etc., l’ont montré clairement. Ces grèves montrent que pour les travailleurs, il n’y a pas d’autres solutions que la lutte pour la défense de leurs intérêts immédiats et pour balayer ce régime bourgeois qui les exploite.

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