Article paru dans Tribune algérienne, n° 1, novembre 1974, p. 11-13.
L’Islam a fortement imprégné le peuple algérien à travers son histoire. On sait le rôle de l’aristocratie religieuse des CHORFA sous Abdelkader, celui de la confrérie des TAÏBIYA, dans le soulèvement de l’Ouarsenis en 1845, celui des RAHMANIYA dans la grande insurrection de Kabylie en 1871… Mais jamais en Algérie, l’Islam n’a été structuré comme une église, avec une hiérarchie disposant d’un immense patrimoine foncier et étroitement lié à l’appareil d’état.
Pendant toute la colonisation, la pratique de l’Islam était largement considérée comme une manière d’affirmer l’identité culturelle, linguistique et nationale d’un peuple qui refusait son assimilation dans l’Algérie française, catholique et coloniale. Et c’est à juste titre que la manipulation des marabouts par l’administration était sévèrement condamnée.
Aujourd’hui, l’Algérie est indépendante et si l’on en croit Marchais, elle est même en marche vers le socialisme dans « les domaines des révolutions industrielles, agraires et culturelle ». Voyons sur ce dernier point ce qu’il en est.
Une conception théocratique de la société
El Moudjahid du 24 septembre 74 , titre ainsi le bilan du 8e séminaire de la pensée Islamique qui s’est tenu à Béjaia du 15 mars au 10 Avril 74 :
« La culture moderne, trop axée sur le développement industriel et le progrès économique est fortement influencée par un néo-rationalisme engendré par des habitudes contractées par l’esprit au contact de l’expérience. Elle ne tient pas assez compte du besoin naturel qu’a l’esprit humain de remonter jusqu’à un absolu. Par ailleurs, les réflexes intellectuels dus à l’éducation laïque ont introduit insidieusement des postulats qui faussent complètement la conception naturelle de la vie et conduisent l’esprit humain à s’insurger contre toute contrainte non seulement religieuse, mais aussi politique et sociale. La crise morale et intellectuelle qui sévit actuellement dans le monde , est profonde et générale… Les Musulmans doivent se garder de se laisser entraîner dans le courant d’une émancipation totale génératrice d’excès et de désordres ».
C’est clair ! Dans le cadre de la crise générale du système capitaliste, il faut utiliser l’islam pour empêcher l’émancipation de la classe ouvrière. Et à bas l’école laïque !
Ce cadre ainsi formé, on comprend mieux le caractère qu’a pris cette année le Ramadhan, organisé par le F.L.N. comme une véritable campagne politique.
Une église islamique « en formation »
El Moudjahid précise que :
« Les agents du culte se sont réunis dans chaque village au siège de l’Inspection de l’Enseignement original et des Affaires religieuses. L’objet de ces réunions, mettre sur pied un programme de veillées culturelles et religieuses durant tout le mois sacré du Ramadhan. »
Les « agents du culte », ce sont les fonctionnaires payés d’un appareil religieux hiérarchisé dont le responsable national, Mouloud Kassim, est membre du gouvernement. Le rôle de ces « agents » est aussi de mener « une campagne d’alphabétisation au niveau des mosquées des grands centres, permettant ainsi à un public nombreux de s’initier à la langue nationale. »
Voilà de bonnes intentions : l’alphabétisation de masse ! Mais M. Kassim a précisé le 18 septembre la signification profonde du Ramadhan, « qui est un appel à l’action, à la discipline et au sacrifice. C’est-à-dire un appel au travail et à la production ». Donc la culture et l’alphabétisation, pas à l’école, à l’usine et au chantier, mais à la mosquée, après la dure journée de travail et de jeûne.
Personne n’y croit à cette alphabétisation de masse, et la presse se garde bien, une semaine après, d’en parler. Il ne s’agit en fait que d’encadrer les travailleurs pendant un mois, pour éviter que le poison du néo-rationalisme ne les amène à réfléchir sur le fait qu’Alger est privée d’eau et que les produits de base ont augmenté de 40 % à 60 %.
Cette campagne d’embrigadement s’est répercutée jusque dans la J.F.L.N., dont l’hebdomadaire Echabab dit nettement les choses :
« Le Ramadhan nous engage tous parce qu’il est un élément de notre politique générale. Et à l’instar de la Révolution agraire, de la gestion socialiste des entreprises, du volontariat, il est l’affaire de tous. S’il se trouve qu’un département ministériel soit chargé d’administrer les lieux de culture ou de veiller sur l’enseignement originel, il n’a pas pour autant le monopole du carême… Comme la Révolution agraire a été une préoccupation de plusieurs ministères et principalement du Parti, et non pas du ministère de l’Agriculture seulement, le respect du Ramadhan doit l’être également, les responsables des mass média et des services de sûreté nationale, tout comme les imams, ont une mission dans ce sens et doivent l’accomplir, avant tout pour veiller à l’ordre public. Les militants du Parti, quant à eux, doivent prouver à ce niveau leur statut d’avant-garde. »
Est-ce là la vocation de la J.F.L.N. ? Demander le respect du Ramadhan avec l’aide de la police et de la Sûreté Nationale ! Dans notre pays, où des millions de jeunes n’ont pas de travail, de maisons de la culture, d’équipements sportifs, de logement !
Mais l’article va plus loin :
« Il y a quelques semaines, le Président s’était attardé sur cette question devant les étudiants volontaires, clarifiant le statut octroyé à l’Islam dans notre pays, en reprenant non seulement les données du Coran, mais également le comportement du Prophète. Il évoquait du coup l’intime relation qui régit la politique, l’économie et le spirituel en Islam, faisant de lui une religion, un Etat et un système social. »
Est-ce pour édifier un Etat théocratique, arbitraire et obscurantiste, que le peuple algérien a perdu un million de ses enfants ? Boumedienne veut-il réaliser ce que le colonialisme n’est pas parvenu à faire : ramener l’Algérie au Moyen Age !
C’est cela le régime »socialiste » qu’est venu cautionner Marchais en Algérie ? C’est cela « la révolution culturelle » ?
Qu’en pensent les militants du PAGS, les travailleurs et les démocrates, dont certains pratiquent l’Islam, mais, qui ne peuvent accepter la constitution d’une Eglise Islamique soudée à l’appareil d’Etat, et une telle campagne d’abrutissement ?
La Constituante Algérienne proclamera la liberté philosophique, religieuse, de pensée pour chaque individu, mais elle affirmera que la religion est une affaire privée. L’Etat sera laïc.
2 réponses sur « Un aspect de la « révolution culturelle » : le ramadhan « socialiste » »
« Une campagne d’abrutissement » (tout est dit..) dont les dégâts se feront sentir pendant des siècles..
Quel gâchis !!
Effectivement. Mais essayons quand même de rester optimistes pour les années à venir !