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Comme à Aïn-Beida : Émeutes à Aïn-M’lila

Articles parus dans PRS Info, n° 7, 19 décembre 1977, p. 1 et 17-20

« La S.N.T.F. : une profonde mutation » (photo publiée dans El Djeich, n° 176, janvier 1978, p. 21)

Des affrontements violents ont opposé durant une semaine, début novembre, la population de Aïn M’lila aux forces de répression.

Tout a commencé quand le jeune Chiha issu d’une famille connue de la ville, a frappé dans la rue un autre jeune. Cet incident banal serait passé inaperçu si la victime n’avait été le fils d’un policier. Ce dernier atteint dans son « prestige » ordonne à ses subordonnés de le venger.

Chiha est alors arrêté et emmené au poste où il passe la nuit. A ses parents qui viennent le réclamer, la police refuse toute explication. Le lendemain Chiha, dans un état grave, est hospitalisé. Il mourra peu de temps après.

Informés les parents exigent une autopsie, malgré l’opposition de la police. Les résultats révèlent que le jeune homme est mort des suites des coups qu’il avait reçus au cours de sa détention.

« La mort appelle la mort ». Tel est le cri des parents qui rencontre un écho profond au sein de la population indignée.

Le déchaînement de la colère populaire durera une semaine. Les forces de police sont violemment prises à partie par les manifestants qui attaquent le commissariat, brûlent 9 voitures de police dont 2 fourgonnettes, saccagent l’appartement du policier.

Un véritable état de siège est alors instauré dans la ville. Des renforts de la gendarmerie et de « C.N.S. » y sont rapidement acheminés de Constantine. Hajeres commandant de la 5ème région militaire se rend sur les lieux pour demander le retour au calme. En vain. Comme à Aïn Beïda, la répression ne peut venir à bout de la colère populaire. L’effervescence persiste jusqu’à présent. Des affrontements épars continuent d’être signalés. Un jeune nous a confié « C’est l’occasion qu’on attendit depuis longtemps. Tout le monde en avait assez des brimades, des injustices… On en voulait au maire, aux policiers, aux autorités… Ce n’est là qu’un début, notre action nous a libéré de la peur… »

Bien qu’un peu partout les Algériens commentent ces événements, la presse aux ordres pour sa part garde le silence.


Manifestation étudiante à Alger

Le lundi 24 octobre 1977 a eu lieu une importante marche silencieuse des étudiants des écoles et instituts du secteur d’El-Harrach : Institut National agronomique, Ecole Nationale vétérinaire, Ecole polytechnique, Ecole d’architecture, etc…

Trois cents étudiants environ, se sont d’abord rassemblés au niveau de l’immeuble Maurétania, puis se sont dirigés vers le Ministère de l’enseignement supérieur en empruntant la rue Hassiba-Ben-Bouali.

Arrivés au siège du ministère, les manifestants ont exigé qu’une délégation soit reçue par le ministre pour lui exposer leurs problèmes et leurs revendications. En effet la rentrée universitaire 1977-1978 s’est faite comme ailleurs, dans des conditions catastrophiques dues au laisser-aller, à l’impréparation et à une absence totale de prévision de la part de l’administration responsable. L’hébergement des étudiants n’a pas trouvé de solution définitive, la qualité des repas dans les restaurants s’est rapidement détériorée, le transport des étudiants qui n’a démarré que 12 jours après la rentrée, est interdit cette année aux non-résidents qui en bénéficiaient pourtant les années précédentes. Refusant cette situation, les étudiants ont entrepris plusieurs démarches auprès du directeur du C.O.U.S. (centre des œuvres universitaires et scolaires) – six délégations en dix jours – Deux pétitions ont été signées dans lesquelles les étudiants exigeaient de l’administration du C.O.U.S. :

– le transport de tous les étudiants résidents et non résidents.

– l’amélioration de la nourriture proposée aux étudiants dans le restaurant d’El-Harrach.

Devant le silence méprisant du C.O.U.S. et du ministère, le étudiants ont décidé de nouvelles actions : boycott du restaurant universitaire pendant la journée du 23 octobre et organisation d’une marche sur le ministère.

Inquiété par cette manifestation au centre d’Alger, le pouvoir a déployé d’importantes forces de polis sur le trajet de la manifestation et devant le ministère où on a remarqué aussi des dizaines de policiers en civil. Arrivés devant le ministère, les manifestants ont été pris en photo à partir d’un immeuble puis les officiers de police présents les ont sommés de partir les accusant de faire pression sur le ministre et qualifiant la manifestation d’illégale.

Mais les étudiants ont refusé de céder, exigeant qu’une délégation soit reçue par le ministre. Après une longue discussion, les officiers ont accepté de laisser passer une délégation, mais à condition que la manifestation se disperse.

Devant le refus des étudiant qui voulaient attendre sur place le résultat de remirent avec le ministre, la police décida d’intervenir pour disperser les manifestants. C’est alors que les « délégués » qui étant des « étudiants volontaires » ont lancé des appels démobilisateurs :

« Rejoignez vos unités, on vous informera des résultats de l’entrevue par la suite ».

Cela a suscité un mécontentement réel chez les manifestants qui l’ont exprimé en ces termes :

« Ces ‘étudiants volontaires’ ne sont que des lâches » – « La prochaine fois, ne comptez pas sur nous pour que l’on vous soutienne ».

Au cours de l’entrevue accordée à la délégation le ministre Rahal s’est montré très menaçant et a à peine écouté les « délégués ». Il a commencé par dire qu’il était au courant de la situation et qu’ il n’avait besoin de personne pour l’informer ; puis, il a condamné la marche des étudiants en menaçant de réprimer énergiquement, à l’avenir, de telles initiatives. Il a ensuite dit qu’il était prêt à renvoyer les deux tiers des étudiants s’il le fallait puisque, selon lui, si l’on doit se référer aux normes internationales, l’université algérienne ne pouvait accueillir que 20 000 à 25 000 étudiants alors qu’elle en compte plus de 60 000 aujourd’hui.

A peine connus, ces propos ont provoqué un vif mécontentement chez les étudiants qui ont reproché aux délégués de ne pas s’être levés au milieu de la réunion pour exprimer un désaccord net

En fait cette attitude des délégués n’est pas surprenante :

Dès le début et suivant en cela leurs pratiques habituelles, les « étudiants volontaires » ont tout fait pour récupérer le mouvement et le désamorcer.

Ils ont commencé par faire une distinction tout à fait artificielle entre d’un côté les « méchants » exécutants que sont le directeur du C.O.U.S. et le secrétaire général du ministère et, de l’autre le « bon » ministre de l’enseignement supérieur.

Ainsi, malgré la fin de non recevoir du ministre, les volontaires n’hésitent pas, dans leur tract du 31-10-77 de qualifier l’entrevue de « dialogue fructueux et empreint de confiance mutuelle ».

Dans le même temps les autres fonctionnaires sont accusés d’être les seuls à vouloir « créer les problèmes », « bloquer » et « viser la tension ».

Enfin les « volontaires » ont tente de réduire tout ce mouvement à « l’établissement du dialogue avec Monsieur le Ministre », en se défendant d’avoir « un esprit revendicatif et aventuriste ».

Ils vont même jusqu’à torpiller le mouvement en affirmant que « la politique à appliquer au niveau de renseignement supérieur est celle qui se fait dans l’esprit de la charte nationale et des orientations du dernier discours du président ».

Mais ces pratiques des « comités de volontaires » et de leurs représentants ne sont pas passées inaperçues aux yeux des étudiants qui ont clairement condamné cet esprit de collaboration des délégués et leurs tentatives de minimiser le mouvement. D’autre part, cette première expérience des étudiants d’El-Harrach leur a permis de tirer quelques leçons :

ils ont adhéré à l’idée qu’il fallait, à l’avenir, éviter la précipitation en préparant soigneusement ce genre d’action qu’il fallait généraliser le mouvement à toute l’université.

Dans l’immédiat, ils se montrent décidés à poursuivre la lutte et envisagent diverses actions comme l’occupation des bus, la reprise de la grève du restaurant et des cours et l’organisation d’une autre marche rassemblant plus d’étudiants et échappant à l’influence démobilisatrice des « comités de volontaires ».


Grève des travailleurs de l’I.N.A.

Cette grève a été déclenchée pour protester contre la suspension à la fin de l’année scolaire d’un travailleur. A la rentrée, ce dernier a été définitivement renvoyé et expulsé de la chambre qu’il occupait avec sa femme enceinte et sa petite fille.

Cette provocation de la direction (qui n’en est pas à son premier licenciement arbitraire) se traduit par une intervention de la police, en l’absence du travailleur, pour vider la chambre. Les affaires sont rasemblées dans une caisse qui sera fermée comme un cercueil.

Le lundi 26 septembre, les autres travailleurs décident d’arrêter le travail et ouvrent le « cercueil » entreposé dans une cave. La section syndicale de tendance « révisionniste » saute sur le mouvement et cherche à le récupérer. Elle appelle els travailleurs à continuer la grève et constitue une délégation pour se rendre au ministère de l’Enseignement Supérieur.

Le Directeur ne cède pas. Il licencie d’autres travailleurs. Le 27 au matin, les travailleurs tiennent une assemblée générale encouragée par le bureau syndical qui veut prendre sa revanche sur le Directeur. On promet aux travailleurs que le ministère les appuiera. Des incidents éclatent et le Directeur frappe un enseignant.

Mais la délégation au ministère ne sera pas reçue, elle tournera en rond tout l’après-midi tandis que la police investit l’Institut pour briser le mouvement. Le lendemain, les membres du bureau syndical sont arrêtés Les travailleurs sont sommés soit de reprendre le travail soit de quitter les lieux. Le travail reprendra le lendemain. Les membres du bureau syndical sont en fin de compte mis en liberté provisoire. L’affaire ayant été portée devant le tribunal.

Conforté par ce succès le Directeur multiplie les provocations et les intimidations. La situation ne cesse de se dégrader. Les travailleurs quant à eux, ils tirent la leçon de cet échec. Ils comprennent qu’on a voulu se servir de leur lutte pour régler des comptes. A l’avenir, ils seront plus vigilants et sauront préserver leur autonomie.


Les suites de la grève des cheminots

A la suite des grèves qui ont marqué l’été 1977, et dont la presse n’avait alors soufflé mot, le pouvoir développe depuis quelques semaine une campagne de presse tapageuse, étayée par de nombreux « reportages » effectués dans les secteurs où le mouvement ouvrier s’est développé ainsi que ceux où la grève menaçait : ports, transports urbains, transports ferroviaires, transports de voyageurs.

Deux thèmes dominent dans les articles inspirés aux « journalistes » à cette occasion : le premier tente de dégager la responsabilité du pouvoir quant à la situation et de justifier la mise en place d’un système répressif ; le second vise à accréditer l’idée que le pouvoir porterait un intérêt soutenu aux problèmes des travailleurs et à persuader ceux-ci d’éviter le recours à la grève.

Dans une série d’articles consacrés à la Société Nationale des Transports Ferroviaires (SNTF) El-Moudjahid, pour désamorcer le mécontentement des voyageurs et celui des cheminots (grève du 10 au 23 juillet 1977) utilise sans la moindre retenue ces procédés.

1 – LA RESPONSABILITE DU POUVOIR ET L’INTENSIFICATION DE LA REPRESSION

Le « reporter » signale tout d’abord les conditions plus qu’anormales de transport des voyageurs : surcharge, risques de chutes, inconfort etc…

« Dans chaque compartiment, au niveau de toutes les voitures, dans tous les couloirs, c’est pratiquement la même scène. Des voyageurs abrutis par le sommeil sont étendus à même le sol, les plus heureux étant accroupis dans les toilettes (…)

« Pour refaire le trajet retour à partir du dernier wagon, il faut encore quelquefois enjamber passagers et bagages, endormis à même les planchers du couloir. Des vitres brisées un peu partout. Des déchets jonchent le sol (…)

« Pas beaucoup d’anomalies, ce soir, car c’est relativement calme, et il n’y a pas beaucoup de monde… Ce qui me surprend beaucoup car presque tous les compartiments sont pleins. A tel point que souvent j’ai vu les passagers allongés sur les porte-bagages ! »

« A toutes les voitures, il faut refermer les portières béantes en prenant garde de ne pas passer par-dessus bord. Toutes ne ferment pas et beaucoup resteront ainsi pendant tout le voyage ». (El Moudjahid du 23.10.77).

Les responsables de cet état de fait ? Vite identifiés par un reporter aux talents innombrables : les usagers qui s’installent à deux ou trois seulement dans des compartiments de six ou huit places et les cheminots.

« Et quoiqu’il soit difficile également de généraliser en pareil cas, nous n’hésiterons pas à le faire en avançant sans grand risque d’être contredit, que tout le monde est responsable de la situation qui prévaut actuellement au niveau des chemins de fer : usagers et cheminots, chacun de leur côté ».

La responsabilité du pouvoir et de ses séides n’est à aucun moment engagées bien sûr ! Or, depuis l’indépendance, seules les voies du pillage de nos richesses ont été l’objet d’un entretien et d’une modernisation : voie électrifiée pour le fer de l’Ouenza et les phosphates du Kouif et du Djebel-Onk etc. Toutes les voies importantes relient des régions riches en ressources naturelles à la côte pour l’exportation. Aucune modification n’est intervenue dans un réseau ferré caractéristique de l’exploitation coloniale. Le pillage se poursuit sous d’autres formes. Des investissements colossaux ont été consacrés à la construction d’oléoducs, de gazoducs, de nouveaux ports…

Mais pour le transport des voyageurs (peu rentable) c’est l’infrastructure léguée par la colonisation et considérée comme très insuffisante, qui continue de fonctionner aujourd’hui alors que les besoins n’ont cessé de croître.

Les effectifs roulants de la SNTF ont même régressé depuis 1963. Les brigades de nuit habituellement constituées de 8 à 10 travailleurs ont été réduites par exemple à 3 ou 4 seulement.

Quant aux détériorations ou aux dégâts occasionnés par les voyageurs ou par des « jets de pierres » aux passages des trains, ils sont la preuve que les Algériens ne se reconnaissent pas dans les sociétés nationales qu’elles perçoivent comme les instruments d’une politique d’oppression et d’exploitation.

Ces dégâts sont attribués par le journaliste aux « hordes de jeunes » à l’occasion des matchs de football. Jeunes présentés comme des délinquants ou des irresponsables, à la fois pour en appeler au civisme des autres usagers et surtout pour justifier, face à leur indifférence, la mise en place d’une surveillance policière constante.

Ainsi dans les trains sont embrués des « escortes » de la brigade de police des chemins de fer, chargée de réprimer les gestes de mécontentement des passagers et surtout de surveiller et d’intimider les ouvriers de la SNTF dont la grève du mois de juillet a totalement paralysé le trafic.

2 – LES « MESURES » DU POUVOIR

L’aboutissement de cette campagne de presse est la présentation des « mesures » que le pouvoir a prises pour remédier aux carences constatées.

A partir du 1er Janvier 1979, le budget de l’Etat prendra en charge tous les nouveaux investissements de la société. Celle-ci augmentera ses recettes en relevant ses tarifs. Ainsi est-il annoncé :

« La situation actuelle doit céder la place à une politique tarifaire fondée sur une structure claire et rationnelle intégrant les coûts et écartant en ce qui concerne les voyageurs les réductions sauf pour certifies catégories sociales limitées, tels que les anciens moudjahidines, les aveugles et pensionnés. (…) Le régime des réductions doit, en dehors des cas prévus par le législateur, obéir à l’avenir à des considérations d’ordre strictement commercial » (El Moudjahid du 3.11.77).

De plus la SNTF est même autorisée à répercuter sur les voyageurs la TUGP (taxe unique globale à la production) alors que l’Etat maintient les « exonérations accordées par le passé à la SNTF pour le paiement de la TUGP. » (El Moudjahid du 3.11.77).

L’Etat interviendra pour faciliter le recouvrement des créances auprès des autres sociétés nationales, créances qui se montent à… 246 millions de DA et qui sont en grande partie responsables de la situation financière de la SNTF.

En résumé, les voyageurs d’une part et les travailleurs sur lesquels est ponctionné le budget de l’Etat, d’autre part, font encore une fois les frais du renforcement des pouvoirs financiers et de la source d’enrichissement des potentats des sociétés nationales.

Aux travailleurs de la SNTF dont les salaires n’avaient pas bougé depuis 1963, l’Etat, sous la contrainte de la grève, a été obligé d’accorder des augmentations. Il a dû aussi promettre l’indexation sur les salaires de la Fonction Publique. Il tente toutefois en assortissant ces concessions d’exigences de productivité, de désamorcer les revendications en faisant porter aux ouvriers la responsabilité de leur propre misère. Face à l’accentuation de la répression et aux tentatives de diversion que le pouvoir tente d’opposer au mécontentement grandissant des travailleurs ceux-ci devront accroître leur vigilance afin de faire aboutir leurs revendications et ne pas être dépouillés des fruits de leurs luttes.

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