Dossier paru dans le Bulletin de liaison, n° 6, février 1966
APPEL AUX ETUDIANTS
Le 29 janvier, un mouvement de protestation déclenché par les étudiants d’Alger à l’occasion de l’ « affaire Ben Barka » s’est rapidement transformé en une manifestation d’hostilité à l’égard du pouvoir de Boumedienne. Les 4.000 manifestants se sont heurtés à une répression policière d’une extrême violence. De nombreux étudiants ont été blessés, tandis que d’autres étaient arrêtés. Aussitôt, le secrétariat exécutif du pseudo-F.L.N. a décidé la dissolution de la section d’Alger du syndicat des étudiants (qui groupe 8.000 étudiants environ). Au cours de la nuit, plusieurs dirigeants de l’UNEA étaient enlevés en pleine Cité Universitaire.
C’est pour protester contre cette répression que les étudiants d’Alger ont décidé de se mettre en grève pour trois jours à partir du 31 janvier. La grève a été suivie à 100 % ; de nombreux lycéens ont suivi ce mot d’ordre, manifestant ainsi leur solidarité avec leurs camarades des facultés.
Un communiqué publié par le Ministère de l’Education Nationale annonce, en représailles, l’exclusion de dix dirigeants étudiants ainsi que la suppression de leurs bourses. Le C.N.D.R. ne peut tolérer plus longtemps de tels procédés. Sans chercher à s’immiscer dans les affaires intérieures des étudiants, il tient à dénoncer énergiquement la répression dont ils ont été victimes, les pressions inadmissibles auxquelles sont soumises les organisations de masses, et les mesures bureaucratiques prises à l’encontre de leurs dirigeants.
Le C.N.D.R. considère ces manifestations comme des faits importants car il n’agit pas d’actes individuels et contre-révolutionnaires, comme le laisse entendre le pouvoir, mais d’une action de masse, comme en témoigne le succès à 100 % de la grève de ces trois derniers jours, qui est l’expression concrète de l’hostilité de plus en plus grande des masses laborieuses à l’égard du régime du 19 juin.
Cependant, pour les étudiants le problème est surtout de ne pas rester au niveau actuel de lutte, isolés, sans perspectives nationales, mais d’avancer vers une critique et une lutte à dimensions nationales, liés aux autres couches du peuple, et de s’engager vers des objectifs socialistes de masse. Dans cette perspective, il faudra accorder la priorité à une action organisée et consciente au niveau des masses laborieuses afin d’accélérer leur prise de conscience et de les entraîner dans une lutte générale. Aussi le C.N.D.R. appelle-t-il les étudiants :
1°) à resserrer leurs rangs pour empêcher toute utilisation qui ne serait pas politique par des provocateurs ou par des démagogues,
2°) à renforcer l’organisation des étudiants pour insérer ses luttes dans le cadre plus général de celles des masses laborieuses. Le C.N.D.R., en tant qu’organisation de classe des travailleurs, a déjà entamé ces luttes et tente de leur donner une perspective et un avenir sans équivoque au niveau national,
3°) à défendre avec la plus grande intransigeance l’indépendance des syndicats ouvriers et paysans, soumis eux aussi depuis de nombreux mois à des pressions intolérables.
Pour que la Révolution Socialiste triomphe, Etudiants ! unissons nos forces !
le C.N.D.R.
2 février 1966
Une grève lourde de conséquences
LES VRAIS COUPABLES
Nous ne pouvions laisser passer le lamentable numéro de « Révolution Africaine », daté du 5 au 11 février 1966, sans nous indigner, comme le feront sans doute tous les honnêtes gens, devant tant de perfidie, de mauvaise foi et surtout de malhonnêteté : « et nos universitaires, qui dans leur immense majorité, sont des êtres jeunes et sains, profondément pénétrés de leur rôle futur au sein de la nation, mesureront alors combien étaient profonds et noirs les abîmes dans lesquels voulaient les plonger des provocateurs diaboliques. »
Il est ridicule de mettre en cause « les provocateurs diaboliques », et il fallait qu’ils le soient pour pouvoir entraîner dans une action ouverte contre un régime militaire et policier plus de huit mille étudiants ! Ce n’est d’ailleurs pas la première fois dans l’histoire que des étudiants ou des intellectuels d’avant-garde, qui remettaient en cause l’ordre établi, sont accusés de sorcellerie.
C’est parce qu’ils sont pénétrés de leur rôle futur au sein de la nation que des milliers d’étudiants ont manifesté au péril de leur vie et de leur liberté. Les véritables responsabilités incombent à un pouvoir qui plonge le pays entier dans des abîmes encore plus « noirs », et qui se montre chaque jour plus incapable de résoudre nos problèmes en même temps qu’il manifeste le volonté de se maintenir coûte que coûte pour jouir de nouveaux privilèges.
UN CHAHUT D’ÉTUDIANTS ?
Dans un article intitulé : « Les étudiants, comment, pourquoi ? », le nommé B.A., dans un prétendu reportage, fait feu de tout bois pour minimiser et ridiculiser cette action des étudiants d’Alger. Ainsi, pour lui, les manifestants étaient « tout au plus 400 ». Il est étrange qu’un nombre aussi faible ait pu inquiéter le pouvoir et déclencher une répression aussi sévère : matraquage, arrestations, enlèvements et dissolution bureaucratique de la section d’Alger de l’UNEA – nos lecteurs pourront apprécier ce que valent les témoignages de B.A. d’après la photo de la manifestation de notre couverture. L’auteur de l’article prétend avoir interrogé un grand nombre d’étudiants pendent les trois jours qu’a duré la grève, et il laisse entendre que personne n’a pu lui donner les raisons de cette grève :
« Melle M.I., étudiante en lettres (nous la connaissons) :
– Bonjour, êtes-vous gréviste ?
– Bien sûr…
– Pourquoi ?
– Mais voyons, (elle rit, le groupe d’étudiants qui nous entoure également) – elle hésita, un court instant – eh bien par solidarité (et puis c’est tout).
Et ainsi de suite, aucun ne peut donner les motifs réels de cette grève ».
Le manœuvre est claire. Il s’agit d’expliquer que les étudiants ont agi inconsciemment et qu’ils se sont laissé entraîner par les provocateurs en question sans savoir pourquoi (ce n’est pas dit, mais ça pourrait être un chahut d’étudiants). Il est clair que cela constitue une véritable injure pour ceux dont on flatte bêtement, un peu plus loin, le sens des responsabilités et la maturité. Il est difficile de croire qu’un nombre aussi important d’étudiants se soient lancés dans cette action, au simple appel de provocateurs, alors que la veille Chérif Belkacem avait menacé de faire tirer sur les manifestants.
Aussi, B.A. explique que les étudiants se sont lancés dans la grève « parce qu’ils ont le cœur ardent et généreux ». Et, en fin de compte, il découvre que le grève avait des mobiles strictement politiques (quels autres mobiles méritent de telles actions ?). Mais si les étudiants ont provoqué des désordres, c’est parce qu’ils ont été victimes d’une « propagande insidieuse » et qu’ils ont participé consciemment « à l’organisation d’un complot contre notre pays… entreprise lancée et inspirée de l’étranger » (complot dont « Révolution Africaine » prétend détenir des preuves accablantes). Une fois de plus, chaque difficulté, c’est l’étranger qui est rendu responsable de nos malheurs et on fait appel ainsi au chauvinisme le plus réactionnaire pour masquer les échecs. Grosso-modo, le thèse de « Révolution Africaine » est donc que des étudiants irresponsables, poussés par l’étranger et par des sorciers, ont osé commettre le crime impensable de manifester ouvertement leur mécontentement
PRÉLUDE A D’AUTRES LUTTES
Tout au long d’articles remplis de contradictions, de contre-vérités et d’un paternalisme béat et moralisateur, « Révolution Africaine » (organe central du prétendu F.L.N., source du pouvoir en Algérie) montre qu’il n’a rien compris et ne comprendra jamais rien aux étudiants algériens en particulier et eux masses en général. Et c’est malheureusement le cas pour tous les pseudo-dirigeants.
L’étudiant ne peut pas être un individu isolé, vivant dans un « sanctuaire » (comme le voudrait Ahmed TALEB) mais il participe aux joies et aux peines du peuple dont il est issu, et grâce à sa position particulière, à certains moments, ses actions apparaissent comme le signe avant-coureur des exigences populaires.
Jamais dans l’histoire, les étudiants n’ont manifesté pour le plaisir ou par imbécillité. Que ce soit en France, pendant la guerre d’Algérie, que ce soit chez Franco, que ce soit en Grèce ou même eux Etats-Unis, les étudiants manifestent pour des idéaux de justice et de progrès, reflétant fidèlement la conscience populaire et souvent la précédant.
Le pouvoir d’Alger a bien senti le danger, c’est pourquoi la répression, sous toutes ses formes, s’est abattue pour briser le mouvement, tandis que la presse locale tente de minimiser l’importance du phénomène. Mais c’est là un signe qui ne trompe pas, un signe du mécontentement général et du grondement de la révolte populaire. Peu importe quel étudiant a lancé le premier l’idée de la manifestation, ce qui est certain, c’est que ces jeunes de vingt ans, qui peuplent notre Université, se sont jetés dans la mêlée pour la défense de principes et d’objectifs fondamentaux.
En ce qui nous concerne, la lutte que nous menons depuis tant d’années trouve là une éclatante justification et nos militants peuvent y puiser bien des encouragements. L’essentiel est de continuer la lutte de plus belle et surtout de discipliner notre action et de faire preuve de la plus grande vigilance.
A BAS LA RÉPRESSION
une répression qui déshonore ceux qui l’ont ordonnée !
Claude Roy, ami de Taleb, s’indigne dans le « Monde »
IL FAUT BIEN QUE JEUNESSE SE PASSE
Par Claude Roy
Le vieil adage des vieux : « Il faut bien que jeunesse se passe », est appliqué de plusieurs façons par les pouvoirs. La meilleure façon de faire passer la jeunesse est évidemment de l’envoyer trépasser. Un « rappelé » ou un boy qu’on envoyait hier casser du fellaga ou aujourd’hui casser du Viet a d’assez bonnes chances de revenir dans un cercueil, ou brisé, et que de toute façon on n’entende plus parler de lui.
Quand le pouvoir n’a pas de guerre sous la main, il lui reste la solution moins élégante, et moins efficace, il faut le reconnaître, de la dissolution. J’étais à Barcelone il y a peu, tandis que le gouvernement de Franco essayait de dissoudre par la force, la menace et les arrestations les comités d’étudiants élus démocratiquement dans les universités, après le boycottage écrasant des élections syndicales « officielles ».
Quelques jours plus tard, nous avons vu le parti communiste français, qui s’était fabriqué l’an dernier une Union des étudiants communistes bien rassurante, bien docile et bien élevée, être contraint de porter le fer dans le fruit de ses entrailles, d’imiter en cela (étrange « unité d’action ») le parti socialiste S.F.I.O. qui dissolvait hier ses organisations étudiantes, et dissoudre brutalement la section de Sorbonne-lettres. L’ancien responsable des étudiants du F.L.N. à Paris, mon ami Ahmed Taleb, devenu ministre de l’éducation nationale du gouvernement Boumediene, et qui semble aujourd’hui avoir retenu de ses années de prison à Fresnes et sous Ben Bella que la prison a au moins un résultat : faire taire ceux qu’on y met, mon ami Ahmed Taleb, dis-je, est le responsable de l’enseignement d’un régime qui vient de dissoudre successivement le comité de direction de l’Union nationale des étudiants algériens hier, aujourd’hui le comité de la section des étudiants d’Alger, et d’arrêter quelques étudiants. Quand je faisais demander à Ben Bella des nouvelles d’Ahmed Taleb emprisonné par lui, il donnait sa parole d’honneur à Me Michèle Beauvillard qu’Ahmed était en bonne santé, à l’heure précise où on le torturait sauvagement.
Je ne demanderai ni au gouvernement du général Franco, ni à la direction du parti communiste français, ni au gouvernement Boumediene de me donner leur parole d’honneur qu’il est préférable de dissoudre plutôt que de discuter, et que c’est « pour leur bien » que les étudiants de Barcelone, de la Sorbonne, d’Alger (et on pourrait ajouter : de Berkeley, de Séoul, de Saïgon, de Moscou) sont sous la surveillance des policiers et sous n’anathème des anciens. Je suis fatigué des paroles d’honneur. Les actes déshonorants dont nous sommes témoins me suffisent.
J’admire l’étonnante conjonction d’un régime fasciste, d’un parti ouvrier et d’une dictature militaire dans la technique de la dissolution et la méfiance des étudiants. On voit que ces messieurs de Madrid, du 44 de la rue de Châteaudun et d’Alger ont médité la leçon de Brecht. Après le soulèvement du 17 juin, l’Union des écrivains de la R.D.A. avait publié un tract où elle déclarait : « Le peuple a perdu la confiance du gouvernement. » Brecht écrivit un poème où il suggérait :
Dans ce cas
Ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d’en élire un autre ?
Il est en effet plus facile de conduire les étudiants de Barcelone à la Jefatura central de policia, de décider que les étudiants de la faculté des lettres de l’Ecole normale supérieure n’existent plus et de jeter les étudiants d’Alger dans les prisons dont leur ministre est sorti que de les convaincre que le gouvernement du général Franco est un gouvernement démocratique, que la discussion dans le P.C.F. n’est pas une farce et que le régime de Boumediene est né, un beau matin fleuri de tanks, du consentement populaire et de la rosée matinale.
La répétition monotone du processus d’un « gouvernement (ou d’un parti) fort » qui réprime l’ « agitation étudiante » par la « dissolution » et, quand il le peut, par la matraque, la prison et la terreur, le fait qu’à Tokyo comme à Washington, à Séoul comme à Moscou, à Paris comme à Madrid, à Alger comme à Varsovie, le substantif étudiant soit devenu pour les puissants un synonyme de l’adjectif inquiétant, n’implique pas que les étudiants constituent une nouvelle classe intellectuelle et le sixième ou septième pouvoir des Etats, après les polices, les ministères, la presse, l’armée, les barbouzes et la télévision. Les étudiants ne sont pas « agités » parce qu’ils sont jeunes, et que la jeunesse a le chahut dans le sang, la tête près du bonnet et l’irrespect dans l’œil. Les étudiants ne sont pas « agités » parce qu’ils sont des « intellectuels irresponsables », des « têtes d’œuf », de futurs « chers professeurs ». Les étudiants sont « agités » parce qu’ils étudiant, et que quand on commence à étudier, on ne borne pas aux « matières du programme », mais qu’on étudie aussi les matières d’un programme plus général, celui de la cité, du sens de la vie et du métier d’homme. C’est triste à constater, et triste à dire : dans l’état actuel de l’enseignement supérieur (5 % de fils d’ouvriers dans les universités françaises, 1 % dans les universités espagnoles, 0,05 % dans les universités d’Algérie) un étudiant a plus de chances d ‘avoir accès aux sources d’information, plus de loisir d’étudier les problèmes et de se faire une opinion qu’un ouvrier, qu’un paysan ou même qu’un cadre ou un manager surmené. La révolte des étudiants en Espagne, au quartier Latin ou à Alger pose simplement, dans le régime franquiste, dans l’appareil des partis de Guy Mollet et de Waldeck Rochet, dans la dictature armée de Boumediene, le problème général de la démocratie. Quand on commence à former des jeunes gens, on est contraint de les informer, ou de les laisser s’informer. Quand ils sont mieux informés que le gouvernement, le bureau politique ou la police d’Etat ne souhaitent que le soient les citoyens, ils protestent, ils s’agitent, ils deviennent subversifs. Comme c’est un problème qu’un gouvernement ou qu’un pouvoir non démocratique ne peuvent pas résoudre, ils se résolvent à dissoudre. Il faut bien que jeunesse se passe, en prison s’il le faut, pour que les homes au pouvoir ne passent pas la main.
CHRONOLOGIE
28 janvier :
– Manifestation de protestation des étudiants marocains à l’occasion de l’arrivée de Boutaleb.
– Le soir, la police pénètre à la Cité Universitaire et arrête 15 étudiants : 11 marocains et 4 algériens. Manifestation spontanée des étudiants de la Cité dans la nuit.
29 janvier :
– Manifestation de 4.000 étudiants algériens aux cris de : « Boumedienne assassin ». La police intervient. Plusieurs blessés et plusieurs arrestations.
– Le « Secrétariat Exécutif » dissout le Comité de Section de l’UNEA.
– Une délégation d’étudiants se rend au « Secrétariat Exécutif ». Chérif Belkacem les reçoit par des menaces : « S’il faut tuer 8.000 étudiants, nous le ferons ».
– Le Conseil de la section d’Alger décide une grève des cours pendant trois jours à partir du 31.
30 janvier :
– Arrestation confirmée de 13 étudiants.
31 janvier :
– Premier jour de la grève : suivie à 100 %.
– Un communiqué du ministère de l’Education Nationale fait état de sanction contre certains étudiants : expulsion de l’Université et de la Cité, suppression des bourses.
– Chérif Belkacem tente de prendre la parole au restaurant universitaire. Hué, il est obligé de quitter la salle.
1er février :
– Grève de solidarité des lycéens d’Alger.
3 février :
– Reprise des cours.
QUELQUES VICTIMES
TEMIM Mohamed Ouali (E.N.P.A.)
TOBBAL Abdelhafid (E.N.P.A.)
BENNIKOUS Belkacem (E.N.P.A.)
BENSAID Mustapha (E.N.P.A.)
DIB Jamal (E.N.P.A.)
KERBAA Abdelkader (agronomie)
ZERAIA Lamri (agronomie)
KHORSI Zahia (agronomie)
TEMIM Nourreddine (Droit-Sc.Po)
MEDJAMIA Miloud (Droit-Sc.Po)
AISSANI Abdelkader (Beaux-Arts)
AIT SAID Hamid (I.G.P.)
BOUKALLEL Mohamed
MECHTA Mohamed
DERNIÈRE MINUTE
Le « Secrétariat Exécutif » ayant parachuté une nouvelle direction, les étudiants ont décidé de se mettre en grève pour trois jours à partir du 23 février. Notons l’absence de Taleb lors de l’installation du « nouveau comité exécutif ».
Plainte contre X
Un communiqué anonyme du ministère algérien de l’Education Nationale a rendu publique la décision d’exclure de l’Université huit étudiants algériens, de leur supprimer la bourse, de les expulser de leurs chambres de la Cité Universitaire et de leur interdire l’accès des restaurants. Ces étudiants ne se différenciaient des 8.000 autres de l’Université d’Alger que par le fait qu’ils appartenaient aux organismes dirigeants démocratiquement élus.
Quelles sont la signification et la portée de cette mesure ?
Des étudiants dont la raison d’être est de suivre des cours à l’Université, en sont exclus et ne pourront plus, et cela en plein milieu de l’année scolaire, exercer leur activité. – Priver un étudiant du droit d’étudier est un crime –.
Des jeunes gens sont jetés à la rue, sans aucune ressource ! Il s’agit là d’une mesure particulièrement odieuse, surtout quand on sait que cette mesure a été prise de sang froid et qu’elle vise à châtier des « coupables » en les laissant mourir de faim.
Il s’agit donc là de mesures d’une dureté extrême dont l’objectif est de servir d’exemple.
QUI A PRIS CES MESURES ?
Qui a eu recours à ces procédés lâches et indignes ?
Sans parler du fond de l’affaire, sans porter de jugement sur les « actes » qui sont reprochés aux étudiants en question, il est certain que quiconque est honnête doit condamner ce genre d’assassinat intellectuel parce que lâche, indigne et bureaucratique. Seule la bureaucratie qui a tout envahi dans notre pays peut employer de tels procédés : le communiqué du ministère n’est pas signé : la responsabilité est ainsi rejetée sur X, chacun ayant bien soin de se couvrir.
Le ministre de l’Education Nationale, le Dr. TALEB Ahmed, ancien étudiant, ancien responsable étudiant, emprisonné à deux reprises en tant que représentants d’étudiants, a déclaré au cours d’une interview à l’A.P.S. :
QUESTION :
« … Quelques étudiants en ont fait peut-être l’expérience à leurs dépens. Des sanctions ont été prises, des exclusions décidées…
REPONSE :
« … Ici je répète ce que j’ai dit au début de cet entretien. Les étudiants, en tant que tels doivent répondre de leurs fautes devant leurs maîtres. C’est donc le haut Conseil de l’Université et le haut Conseil de l’Université seul, qui en toute connaissance de cause et en toute indépendance d’esprit demeure habilité à proposer ou à prononcer les sanctions d’ordre universitaire. (…)
A notre connaissance, aucun haut Conseil de l’Université n’a statué sur cette affaire et il semble bien que le Dr. TALEB ne revendique pas la responsabilité des mesures – autant qu’il est possible de s’en rendre compte à travers ce fatras de phrases -.
Qui a pris la décision et l’a communiquée à la presse au nom du Ministère de l’Education Nationale ? Si c’est Ahmed TALEB, il doit avoir le courage de l’assumer et de ne pas se cacher derrière des formules vagues.
Si les responsables de cette infamie sont ailleurs, alors le Dr. TALEB – s’il ne veut pas en être souillé – doit agir en conséquence !
GUERRE A LA CONFUSION
La manifestation et la grève victorieuse des étudiants d’Alger ont indéniablement provoqué le dégel de le vie politique algérienne. Si cela peut se révéler bénéfique au niveau des masses populaires – car en portant un coup au régime, les étudiants ont prouvé qu’il existe des moyens de sortir de l’enlisement actuel – les conséquences sont désastreuses dans certains milieux puisque, sortant de leur longue hibernation, nombre de mouvements font, depuis trois semaines, pleuvoir tracts et communiqués sur les agences de presse. Les uns se prononcent « pour une issue démocratique et pacifique », d’autres, prétendent avoir réalisé « l’unité de l’opposition », tel « comité en exil » lance l’idée « d’un gouvernement de personnalités », tel autre déclare « continuer le lutte »… Il serait vain de chercher une ligne politique à travers ces déclarations. La seule conclusion que l’on peut tirer, c’est qu’il existe quelque part une volonté précise de profiter des circonstances actuelles pour tenter de jeter la confusion dans les esprits.
Pour compléter ce tableau, voilà que le pouvoir à son tour, se lance dans la mêlée, et tout un éditorial du « Djeich » réaffirme « la détermination du pouvoir à faire triompher définitivement le socialisme en Algérie ». La manœuvre est classique : pour ne pas se laisser déborder, le pouvoir crée une diversion en faisant de la surenchère à gauche, afin de court-circuiter le puissant courant populaire et de le couper de l’opposition de gauche. Et il est troublant de constater que certaines oppositions – ou considérées comme telles – par leurs propos et leurs références, se prêtent à ce jeu et fournissent au pouvoir les arguments supplémentaires pour amalgamer les spéculateurs et l’opposition révolutionnaire.
Depuis trois ans et demi, le CNDR-PRS n’a pas varié d’un point dans son orientation politique qui a été rendue publique à maintes et maintes reprises, dans toutes les circonstances, de même qu’il n’a pas cessé un seul instant son activité. Aussi, est-il en droit de s’opposer – et de dénoncer – avec la plus extrême vigueur à toutes les tentatives confusionnistes, non par sectarisme, mais parce qu’il s’agit de défendre le fruit de plusieurs années d’explications au sein des masses, à travers les difficultés les plus graves, afin de leur faire reprendre confiance en elles-mêmes – confiance fortement ébranlée par les trahisons de toutes sortes.
Au moment où ce travail – le seul possible et le seul souhaitable – commence à donner des résultats tangibles, il est impossible d’admettre les manœuvres, d’où qu’elles viennent. A titre d’information, étant donné que la presse étrangère ne parvient pas en Algérie, nous reproduisons ici quelques coupures de presse, ainsi que la mise au point adressée au journal « LE MONDE » et qui explique clairement notre position.
Lettre adressée au journal « le monde » le 14 février 1966
A Monsieur le Directeur du journal « LE MONDE ».
Monsieur le directeur,
Nous avons l’honneur de vous adresser la mise au point suivante avec prière d’insérer :
« LE MONDE » daté du 13-14 février contient en page six, sous le titre : « l’instabilité du régime algérien a des causes à la fois politiques et économiques », un paragraphe dans lequel il est dit : « Pour ajouter à la confusion, (…) et le P.R.S. (Parti Révolutionnaire Socialiste de M. BOUDIAF) ».
Le Comité National de Défense de la Révolution, organisation de l’opposition révolutionnaire algérienne – et qui a succédé le 6 juillet 1964 au Parti de le Révolution Socialiste (P.R.S.) – déclare n’avoir jamais eu connaissance d’un tel tract et encore moins, en avoir été l’un des signataires.
En vue d’éviter la confusion que votre correspondant particulier déplore dans l’article en question, nous tenons à préciser :
1°) Notre opposition au régime militaire d’Alger a été affirmée sans aucune équivoque et publiquement, à maintes reprises, depuis le 19 juin, notamment dans le « lettre ouverte aux algériens de Mohammed BOUDIAF, du 20 juillet 1965 et dans les différents articles de notre bulletin mensuel et dont un service régulier est fait à la presse.
Mus par des considérations d’ordre politique, notre opposition s’est manifestée avec vigueur dès l’installation du régime de Ben Bella dont elle a dénonce, bien avant tout le monde et sans jamais faiblir, les carences, les incuries et le caractère démagogique et mystificateur. Notre but étant d’éclairer les masses algériennes et de mieux les armer pour le défense de leurs droits et de leurs intérêts. Le coup d’Etat du 19 juin, conclusion logique de l’accumulation de contradictions au sein du régime et des classes dominantes, a confirmé notre analyse et justifié, si besoin en était, notre action. L’armée au pouvoir depuis huit mois n’a apporté aucun changement à la situation du pays, bien au contraire, avec les mêmes hommes et le même absence de politique, elle n’a pu que continuer les mêmes errements. De ce fait, notre attitude et notre action sont demeurées inchangées.
2°) Le P.R.S., et par la suite le C.N.D.R., ont accordé la priorité à l’unification des forces révolutionnaires et ont mené une action résolue dans ce sens. Aussi serons-nous en droit de dénoncer publiquement toutes les manœuvres qui tendront à faire croire que l’ère des intrigues et des alliances sans principes a recommencé. Ceci dit, nous sommes toujours décidé à persévérer dans nos efforts en vue de regrouper les militants révolutionnaires et de dégager l’opposition dont le pays a besoin et qui s’imposera en tant qu’alternative au pouvoir d’Alger, et ce, dans la plus grande clarté et sur des bases politiques. Les progrès réalisés aujourd’hui dans cette voie nous commandent la plus grande vigilance.
Pour toutes ces raisons, le C.N.D.R. affirme, si le tract incriminé a réellement existé, qu’il s’agit d’une manœuvre de diversion et de provocation de ceux – au pouvoir ou non – qui ont intérêt à brouiller les cartes au moment même où les patients efforts de clarification et d’explication commencent à donner leurs fruits et alors que le pouvoir chancelle et que les masses bougent, comme viennent de le prouver admirablement la manifestation et la grève victorieuse des étudiants d’Alger.
Veuillez agréer, … etc…