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A bas toute oppression culturelle en Algérie !

Articles parus dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 41, 1er mai – 1er juin 1980, p. 10-14


A près de trois mois d’agitation des étudiants « arabisants », qui revendiquent l’utilisation systématique de l’arabe comme langue officielle, a succédé en Kabylie un mouvement populaire pour la reconnaissance de la langue berbère. C’est à la suite de l’interdiction d’une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle que se sont développées ces manifestations qui ont abouti, après une répression policière, à la visite du Ministre de l’enseignement supérieur Bererhi puis finalement, le 20 avril dernier, à l’investissement de la faculté de Tizi Ouzou par les flics, le quadrillage policier de la ville, l’arrestation d’un certain nombre d’étudiants et de travailleurs, et la répression féroce des manifestations, à Alger comme en Kabylie. La grève générale du 16 avril paralysant toute la Kabylie, atteignant Alger et même Annaba, montre s’il en est besoin le soutien populaire rencontré par ces revendications culturelles.

LES PROBLEMES LINGUISTIQUES ET CULTURELS EN ALGERIE.

Si en Algérie, la langue majoritaire est l’arabe parlé utilisée couramment dans les milieux populaires, une très forte minorité d’Algériens – environ trois millions sans doute – est berbérophone, en particulier à Tizi Ouzou, la plus grande ville de Kabylie. Pourtant les langues officielles ne sont ni le berbère, ni l’arabe courant, mais l’arabe littéraire et surtout encore aujourd’hui la langue héritée de la colonisation : le français. Cette situation est évidemment héritée, non seulement de toute l’histoire de l’Algérie, mais de la domination impérialiste qui n’a jamais manqué d’essayer d’attiser la division entre Arabes et Kabyles.

Pour sa part, le régime nie l’existence de ces problèmes et sa propagande dénonce dans toutes les revendications linguistiques et culturelles la main de l’impérialisme qui chercherait à détruire l’Union Nationale de l’Algérie. El Moudjahid parle ainsi chaque jour des « ennemis de la révolution » qui cherchent à fomenter des manifestations, et les « organisations de masse », syndicats, associations d’anciens combattants, etc. (ou du moins leurs dirigeants) multiplient les déclarations de soutien au régime contre ces menées.

Pourtant ces problèmes sont bien réels : il est indéniable que une partie de la population – quand elle a affaire avec l’administration, pour les problèmes les plus courants de la vie quotidienne se trouve en présence de papiers officiels rédigés dans une langue qui n’est pas la sienne, face à des fonctionnaires souvent hautains et méprisants.

Il est indéniable également que, parmi la jeunesse scolaire, ceux qui ont la plus forte chance, non seulement d’obtenir un diplôme, mais après le diplôme un emploi, sont ceux qui possèdent bien le français.

Cette situation s’explique très simplement : la langue des anciens maîtres reste celle utilisée pour conclure les contrats commerciaux avec la France qui continue à occuper une part prépondérante des échanges commerciaux avec l’Algérie ; la plupart des dirigeants ont été formés dans les universités françaises ou ont vécu en France. Ils ont pris l’habitude d’utiliser cette langue. De plus, même si la classe dominante se présente comme partisan farouche de l’indépendance et de l’identité culturelle, le phénomène est bien connu selon lequel le valet singe le maître jusqu’à imiter son langage et ses mœurs…

Une bonne partie des « élites » nationales passent leurs vacances en France, cultivent le snobisme de la mode française.

On comprend donc que ceux qui ne possèdent bien que l’arabe littéraire (difficilement utilisable pour de telles fonctions commerciales internationales) soient défavorisés et se sentent brimés.

LE DROIT DES PEUPLES A DISPOSER DE LEURS LANGUES ET DE LEUR CULTURE.

Face à ces problèmes, les révolutionnaires communistes ont un principe fondamental qui est le droit des peuples à leur identité culturelle, c’est-à-dire le droit de parler leur langue, de l’utiliser pour les actes administratifs, de disposer de leur presse rédigée dans cette langue, d’observer leurs coutumes (dans la mesure où celles-ci ne s’opposent pas aux intérêts des travailleurs, ni des femmes, etc., bien sûr).

C’est cette position qui fut défendue au début de la révolution russe par les Bolcheviks qui cherchèrent ainsi à gagner l’appui des peuples opprimés par le tsarisme. Pour affirmer cette position, lors de la conférence internationale de Bakou, il fut décidé de traduire les différentes interventions dans toutes les langues minoritaires afin de souligner le respect pour les diverses cultures nationales.

Bien sûr, cette position de principe, face à une revendication démocratique élémentaire, ne donne pas de solution face à chaque problème concret, mais il est important de la rappeler, ne serait-ce que face à l’attitude de nos gouvernants ou des staliniens du PAGS qui, tout en se revendiquant du socialisme, refusent dans la pratique ce droit aux minorités d’Algérie.

Il faut rappeler égaleront qu’en Russie, c’est avec la contre-révolution stalinienne que le chauvinisme russe et l’oppression des minorités d’URSS.

QUELLE EST LA NATURE DES MOUVEMENTS ACTUELS ?

La propagande du pouvoir a voulu faire passer les événements survenus en Kabylie pour un mouvement « manipulé de l’extérieur ». Pour ce faire, elle a ressorti un avocat algérien exerçant à Paris, prétendument à la tête des manifestations populaires qui se sont déroulées en Algérie.

De même, pour minimiser le mouvement, la presse a présenté ces luttes pour le droit à la langue berbère comme un mouvement marginal, concernant exclusivement une minorité d’étudiants excités, totalement coupés et désapprouvés par la population .

En réalité, cette version des faits, colportée par les journaux bourgeois, a sans doute eu du mal à passer auprès des travailleurs. Un grand nombre parmi les masses laborieuses est concerné par cette oppression quotidienne . Par ailleurs, les manifestations de soutien à Alger, violemment réprimées, la grève générale de Kabylie qui a touché les principales entreprises de la région (SONELEC, hôpital de Tizi Ouzou, etc.), ainsi que les petits commerçants qui avaient fermé leurs magasins pour l’occasion, tout cela nous montre qu’il ne s’agit pas d’un mouvement marginal, mais d’un mécontentement profondément ressenti par les travailleurs.

Tous les groupes minoritaires berbérophones d’Algérie sont concernés également par ses revendications culturelles : Touaregs, Chaouias, etc.

De plus, même si la révolte était partie de l’exigence du droit à la reconnaissance à la langue berbère, il faut dire que les manifestations ont été certainement aussi provoquées par le mécontentement contre l’oppression tout court, l’exploitation subie par les travailleurs (la Kabylie a toujours fourni le contingent le plus gros d’émigrants) et exercée quotidiennement par le capitalisme d’Etat algérien. La misère, le manque dramatique d’entreprises et d’emplois dans la région, une réforme agraire en faillite complète qui forcent les paysans à se rabattre sur les villes, tout cela n’a sans doute fait qu’attiser la colère des travailleurs contre une administration et un pouvoir locaux qui ne parlent pas leur langue et leur interdisent même de l’utiliser.

QUELLE POSITION POUR LES REVOLUTIONNAIRES ?

En tout cas, ces événements montrent la voie de la lutte contre la bourgeoisie algérienne.

Il convient donc pour les révolutionnaires :

– de rappeler le principe du droit des peuples à leur culture.

– de dénoncer la répression et la démagogie du régime. Quelle que soit la nature de ces mouvements, nous ne reconnaissons pas le droit aux bourgeois algériens de réprimer les manifestants, d’interdire la tenue de réunions, conférences, etc. La lutte pour les libertés démocratiques et contre la répression fait partie de la lutte pour le socialisme.

– nous devons exposer enfin inlassablement que seule la révolution socialiste, – non seulement en Algérie mais mondiale – permettra de régler harmonieusement les problèmes entre les différentes communautés héritées du colonialisme, même si ces problèmes ne se régleront bien sûr pas tous soûls.

L’avenir de ces mouvements dépendra sans doute de l’ampleur réelle du mécontentement en Kabylie, comme des possibilités du régime à faire quelques concessions aux « arabisants » et aux berbérophones. Il est cependant douteux que ceux-ci parviennent à changer la situation actuelle : les langues dominantes sont toujours celles des classes et fractions de classes dominantes, et la haute bourgeoisie et technocratie qui tient le dessus du panier en Algérie n’a certainement pas envie d’écarter ses enfants pour faire une place à ceux de la petite bourgeoisie traditionnelle. De plus, l’abandon du français par exemple nuirait sans doute aux relations commerciales avec l’impérialisme ou au moins les gênerait.

Si des mesures sont adoptées par le régime, il y a de fortes chances qu’elles soient superficielles. Quant aux problèmes des langues qui seraient officiellement parlées sous le pouvoir, des travailleurs, dans une période de transition au socialisme, il ne nous appartient pas de le résoudre : ce serait aux ouvriers et paysans d’en décider dans le cadre d’un vaste débat démocratique, qui sera toujours impossible sous la dictature de la bourgeoisie.

Nous devons cependant nous montrer attentifs à ces problèmes qui peuvent jouer un rôle important dans l’avenir des luttes ouvrières en Algérie.


Les Touaregs aussi…

L’Etat algérien opprime la minorité des Touaregs dans le sud algérien. Tamanrasset est la ville d’Algérie où sont concentrés la majorité des Touaregs sédentarisés ou semi-sédentarisés.

Dans la ville, où les habitations sont construites en dur, vivent essentiellement quelques milliers d’Algériens du nord, Algérois, Oranais, etc., qui forment la bureaucratie privilégiée de la région. Quant à la population Touareg, elle vit dans des tentes usées à deux kilomètres de la ville (village de Soro, etc.) loin de la vue de ces messieurs…

Les Touaregs survivent pour la majorité d’entre eux des dons de la Croix-Rouge. Une partie d’entre eux travaille dans les multiples chantiers de construction de Tamanrasset dans des conditions désastreuses, pour un salaire bien au-dessous du SMIC, pour lequel ils doivent fournir plus de 50 heures par semaine (en 1976 un travailleur percevait en moyenne 550 DA pour 50 heures de travail).

Le principal Bar-Hôtel de la ville est réservé à l’élite locale, les gendarmes, les militaires de la caserne, les bureaucrates de l’administration, ainsi qu’aux touristes. A l’exception des employés de cet, hôtel qui sont originaires de Tamanrasset, l’accès est interdit, de fait, aux Touaregs !

Bien entendu, l’apprentissage du Tamahak, leur langue, leur est interdit, et les bureaucrates considèrent en général que c’est une honte de côtoyer les Touaregs ! Mis à part les nobles, à qui le régime a laissé quelques privilèges…

A Tamanrasset, à Tizi Ouzou et partout ailleurs, c’est contre cette oppression des minorités nationales, qu’elle soit une oppression nationale (politique, économique, linguistique et culturelle) ou qu’elle soit seulement une oppression culturelle par l’interdiction de l’apprentissage de leur langue, que les travailleurs et les masses populaires devront, quelle que soit leur langue et leur origine, lutter implacablement.

Ce doit être en tout cas dès aujourd’hui le combat des révolutionnaires !

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