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« Les Versets sataniques » doivent être traduits et publiés !

Article paru dans Le Bolchévik, n° 91, mars 1989, p. 5

24 février – La mobilisation réactionnaire autour du roman de Salman Rushdie, les Versets sataniques, jugé « blasphématoire » par Khomeiny, est devenue en quelques jours un monstrueux délire meurtrier. A peine les derniers soldats soviétiques partis d’Afghanistan, les intégristes islamistes se sont senti le vent en poupe. L’imam Khomeiny avait déjà préparé le Xe anniversaire de son régime obscurantiste par le massacre de milliers d’opposants iraniens dans ses prisons. Aujourd’hui, le maître de Téhéran vient de lancer l’ordre ahurissant de traquer et tuer Salman Rushdie et ses éditeurs, avec en prime un à trois millions de dollars et la promesse d’être élevé à la condition de « martyr »… « La flèche est déjà lancée vers son objectif », déclare un de ses lieutenants. Et ces fous de dieu ne plaisantent guère !

L’écrivain britannique Salman Rushdie, originaire d’une famille d’Indiens musulmans et féru d’histoire islamique, est connu pour avoir reçu en 1981 le prix Booker pour son livre, traduit en français, les Enfants de minuit qui traite de la partition entre l’Inde et le Pakistan. Son livre, les Versets sataniques, publié en septembre dernier à Londres, a reçu aussi, l’année dernière, le prix Whitbread des œuvres de fiction. Ce roman onirique décrit l’expérience douloureuse des immigrés arrivant du sous-continent indien dans la Grande-Bretagne de Thatcher ; il s’attaque à toutes les formes de racisme, au fanatisme religieux et à l’intégrisme – dénonçant particulièrement la condition épouvantable faite à la femme sous la charia.

La triste ironie, c’est que ce livre a été au début vilipendé par tous les torchons de la presse britannique parce qu’il s’en prend au racisme qui sévit dans ce pays. Mais l’hideuse campagne déclenchée par les intégristes islamistes ne peut que provoquer un retour de flamme de terreur raciste dirigée contre les communautés musulmanes dans les métropoles impérialistes. Déjà en France, l’abbé Aulagnier, chef des fascistes en soutane de Lefebvre, s’est jeté dans la mêlée en proclamant que l’« islam est une religion satanique » (Libération, 23 février). Chez ces autres fous de dieu – de la secte catholique – une telle déclaration est un appel à une croisade sanglante pour purifier l’Occident chrétien de ses immigrés !

En France toujours, c’est le sieur Decourtray, cardinal de son sinistre état, qui vient de verser de son huile sainte sur le feu du bûcher allumé par ses acolytes intégristes musulmans pour brûler les œuvres de la pensée humaine échappant à leur emprise moyenâgeuse : « Une fois encore, des croyants sont offensés dans leur foi. Hier les chrétiens, dans un film défigurant le visage du Christ. Aujourd’hui les musulmans, dans un livre sur le Prophète » (Ibid.) Émouvante solidarité des trafiquants d’opium du peuple ! Le « primat des Gaules » (sic) n’avait certes pas appelé à une chasse à l’homme contre Scorsese, mais le bilan de la campagne lancée contre son film, la Dernière tentation du Christ, par les dignes successeurs des inquisiteurs et autres massacreurs de la Saint-Barthélémy, et reprise en mains par les fascistes, s’élève néanmoins à des cinémas incendiés, à des dizaines de blessés et à un mort. « Si on ne respecte pas le sacré, on déchaîne le diable » (le Monde, 25 octobre 1988), avait alors jésuitement conclu Lustiger, archevêque de Paris reconverti en Ponce Pilate !

L’Eglise catholique, en tant qu’institution vivant matériellement de l’ignorance, de la superstition et des préjugés, n’a rien abandonné de sa mission historique réactionnaire. Bien au contraire, la campagne antisoviétique des impérialistes – et principalement autour de la Pologne de Solidarnosc – l’a enhardie, elle et tout ce que la planète compte de créatures les plus hideuses et les plus enragées contre le moindre progrès social. Roman de Rushdie, film de Scorsese, pilule abortive, enseignement du catholicisme à l’école publique, droit à l’avortement, préservatifs, etc. – c’est tous azimuts qu’aujourd’hui elle s’affirme ouvertement comme l’avant-garde de l’ « ordre moral » dans ce pays. Et de la loi Savary à la campagne sur le SIDA, les divers gouvernements « de gauche » lui ont fait concession sur concession dans le but de se ménager ce puissant instrument du maintien des exploités et opprimés dans l’obéissance servile au capitalisme. Curés hors des chambres à coucher ! Séparation complète de l’Eglise et de l’Etat !

Suite à l’affaire Rushdie, le gouvernement français a rappelé son ambassadeur à Téhéran. Belle hypocrisie ! Il y a deux semaines encore, Rocard – à la recherche de marchés en Iran, après avoir joué les marchands de canons dans l’interminable boucherie entre l’Iran et l’Irak osait déclarer à Genève à propos du régime khomeinyste : « Le sens de la pente est plutôt ascendant, même si nous ne sommes pas au sommet en matière de droits de l’homme » (le Monde, 8 février). Et ce, juste après plusieurs mois de massacres d’opposants politiques en Iran ! Mais qu’attendre d’autre du représentant d’un impérialisme qui, dans l’Histoire, s’est couvert aux quatre coins du monde du sang des ouvriers et des peuples coloniaux ?

Il y a également quelque chose d’écœurant dans les cris outragés de l’establishment français se parant de termes tels que « tolérance », « démocratie », etc., alors que les mêmes se taisent généralement quand ce pays interdit régulièrement à l’affichage des revues sous couvert de « protection de la jeunesse », censure un livre comme l’Os de Dionysos pour « pornographie » ou que la police des frontières arrête des publications étrangères qui ont le malheur d’aller à l’encontre des bonnes relations qu’entretient « la France» avec les dictatures néo-coloniales africaines. Ces mêmes « libéraux » et sociaux-démocrates sont aussi ceux qui, parce qu’elles combattent l’URSS, applaudissent la réaction cléricaliste antisémite polonaise ou la réaction islamiste afghane qui ne rêve que de plonger l’Afghanistan au moins dans la même barbarie obscurantiste que l’Iran ! Et, bien sûr, ces héros afghans de l’Occident n’ont pas manqué, comme le rapporte le Monde du 17 février, d’exprimer leur « haine » à l’égard du roman de Rushdie…

Comme le déclarent nos camarades américains du Partisan Defense Committee et de la SL/US dans un texte diffusé au cours de la manifestation du syndicat national des écrivains à New-York le 22 février :

« On peut lire aujourd’hui, au mémorial aux victimes du camp de concentration de Dachau, l’avertissement du poète radical juif allemand Heinrich Heine : « Dès lors qu’ils brûlent des livres, ils finiront par brûler des gens. » Afin de préserver un système social qui a survécu à sa mission progressiste épuisée avant même la fin du XIXe siècle, les classes dirigeantes capitalistes sont obligées de faire revivre l’obscurantisme religieux, la superstition et la terreur, le pogrom est industrialisé, l’inquisition utilise le dernier cri de la technique et l’Apocalypse est nucléaire. On ne peut pas séparer la défense de l’oeuvre accomplie en matière culturelle, scientifique et sociale par la Renaissance, par les grandes révolutions démocratiques bourgeoises, y compris la Guerre civile américaine, des conquêtes de la révolution d’Octobre en Russie – de la libération de la conscience à la libération du joug de l’exploitation. En défense des droits démocratiques fondamentaux et de la décence humaine élémentaire, nous exigeons : Laissez les Versets sataniques être lus ! »

3 réponses sur « « Les Versets sataniques » doivent être traduits et publiés ! »

C’est étonnant. J’avais toujours pris les militants du bolchévik pour des demi-fous… Ils apparaissent là beaucoup plus sensés que beaucoup d’autres.

La conclusion sur la liberté de conscience et l’émancipation de l’exploitation est vraiment bien.

Tout à fait ! Dans mes recherches sur l’affaire Rushdie, j’ai été agréablement surpris par les textes publiés par Le Bolchévik. D’autres suivront sur mon site, histoire de rappeler quelques principes, sans sectarisme.

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