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Karim Thaghest : Algérie. « L’heure des oublis »

Article de Karim Thaghest paru dans Courant alternatif, n° 49, mai 1995, p. 22-24


Dimanche 9 avril 1995, nous avons pu assister une nouvelle fois à une farce dont le sujet était l’Algérie. En effet, l’invité de l’émission « l’heure de vérité », présentée par le Vicomte Henri de Virieu était Khalida Messaoudi. Celle-ci y a dressé un tableau très complet de la condition féminine en Algérie. Cependant, le reste de son discours amène de nombreuses questions.

Ainsi, on se demande avec force pourquoi les démocrates algériens ne disent pas la vérité sur la situation algérienne ?

Cette heure de vérité est apparue avant tout comme l’heure des oublis. Pour être plus clair, nous sommes intrigués par ce qui suit : comment peut-on parler de l’Algérie depuis Paris pendant une heure, sans évoquer la politique des visas de Charles Pasqua ? Comment peut-on prétendre expliquer la montée de l’intégrisme sans rappeler la misère du peuple algérien engendrée par les plans du FMI et de la Banque Mondiale ? Comment peut-on enfin suggérer des solutions au drame algérien sans analyser les accords de Rome ?

En d’autres termes, ces émissions ne sont-elles pas le fruit d’un comportement qui n’a rien de démocratique ? Encore une fois, les ennemis de la démocratie (fut-elle bourgeoise) ne se pareraient-ils pas des habits de démocrates ?

LA FRANCE COMPLICE DE LA POLITIQUE ALGÉRIENNE …

Mais revenons à Pasqua et ses comparses. En 1994, la France n’a délivré que 100 000 visas aux Algériens contre 800 000 en 1989. 90 % des demandes sont rejetées par les services du Ministère des Affaires Etrangères installé à Nantes (quelle commodité pour les Algériens) ! Plus grave, les Algériens menacés par la violence des militaires et/ou des intégristes armés qui désirent se réfugier en France ont 1,5 chance sur 100 d’obtenir l’asile. En 1994, sur 2 303 demandes, 18 ont été acceptées.

Khalida Messaoudi n’a pas dit un mot à ce sujet. La manifestation de Nantes du 25 mars dernier a, elle aussi, été rayée de la carte. L’obligation de réserve imposée par Henri de Virieu, compte tenu des élections présidentielles, n’explique pas tout !

Khalida Messaoudi est un membre important du Rassemblement Culture et Démocratie. Ce parti représentant principalement la petite bourgeoisie urbaine s’est prononcé pour l’arrêt du processus électoral de décembre 1991. Il est vrai qu’avec ses 2,54 %, ces élections avaient été pour lui un véritable échec. Plus récemment (hiver 1994/95), son président le docteur Saïd Saadi a rencontré à plusieurs reprises à Paris même, Charles Pasqua. Ce proche de l’armée algérienne a donc de curieuses fréquentations. On ne s’étonnera pas que Simone Veil qui a en commun avec Pasqua d’avoir le même candidat aux présidentielles et d’appartenir au même gouvernement, ait été présente sur les plateaux de France 2 le 9 avril.

Au demeurant, Khalida Messaoudi, en se déclarant inquiète concernant les agissements intégristes dans l’immigration algérienne de France n’a fait que rentrer dans le jeu de Pasqua. En demandant à l’Etat Français de prendre en main cette question, elle légitime le renforcement du dispositif raciste et réactionnaire que subissent quotidiennement les immigrés.

Ainsi, cette démocrate, dirigeante du RCD, s’en remet à Pasqua, c’est-à-dire l’homme qui en France symbolise le plus l’autoritarisme liberticide actif. En protégeant Pasqua, c’est également le gouvernement algérien qu’elle couvre. Dans C.A. (n° 47 chez les « saigneurs »), nous avions évoqué la réunion du 23 février à Tunis entre les ministres de l’Intérieur algérien, français, tunisien, italien, espagnol et portugais. Le droit d’asile y était durement mis à mal. La politique de Pasqua a donc l’accord du pouvoir algérien. Khalida Messaoudi en taisant cette vérité ne peut plus prétendre comme elle l’a fait, parler au nom des démocrates algériens et encore moins au nom du peuple algérien. En effet, elle est la complice de Pasqua.

F.M.I. ET BANQUE MONDIALE VÉRITABLES MAÎTRES DE L’ALGÉRIE

Si certains, comme le journaliste Arezki Metlef, ont assez de cynisme, voire de courage, pour affirmer sans honte que le rééchelonnement de la dette algérienne était inévitable, ce n’est pas le cas de Khalida Messaoudi. Elle s’est également tue sur ce sujet. Pourtant, l’heure de vérité du 9 avril 1995 correspondait par un curieux hasard au premier anniversaire de l’engagement formel du gouvernement algérien de mettre en oeuvre un plan de stabilisation de son économie sous la houlette du F.M.I. ainsi, le 9 avril 1994, le directeur général du F.M.I., M. Candessus avait jugé « solide » et « très apprécié » le programme élaboré par le gouvernement algérien. En effet, ce programme a pour objectif la réduction du déficit budgétaire de 5,9 % du PIB à 0,3 %, du déficit du trésor de 9,2 % à 3,3 % du PIB. Pour se faire, privatisations, licenciements, destruction des services publics (notamment de Santé, d’Education, de Transports), blocage des salaires furent entrepris. Une dévaluation du Dinar de 40,7 % eut même lieu le 10 avril 1994 !

Si cette politique a permis un rééchelonnement de 5 3 milliards de dollars, elle a également entraîné une dégradation de la situation sociale. A tel point que pour limiter la casse, le gouvernement a instauré un filet social de 1800 dinars (la viande est à 250 dinars le kilo). Comme le note un rapport de l’organisation social du travail, lorsqu’on met un filet, c’est que des gens tombent.

Totalement dépendant du F.M.I., le pouvoir est aujourd’hui contraint d’accélérer le processus d’aliénation de la souveraineté algérienne. Sur ce sujet, le Monde Diplomatique déclare à raison que face à la persistant impasse militaire en Algérie, le F.M.I. vient au secours du régime. Ainsi, dans la semaine qui précédait l’heure de vérité du 9 avril, le ministre de l’Intérieur algérien relevait dans un communiqué la création de zones d’exclusions autour des champs et installations en hydrocarbures. Il s’agit ici de défendre ni plus ni moins des intérêts des 118 compagnies pétrolières étrangères exploitant les ressources algériennes. Derrière cette mesure se cache la volonté de préserver cette Algérie utile et nécessaire au remboursement de la dette. Elle constitue un instrument supplémentaire de spoliation des richesses appartenant au peuple algérien. Ces zones ne sont pas sans rappeler la région angolaise dite Cabinda où les intérêts pétroliers américains sont très présents. Même au plus fort de la guerre civile, elle ne fut pas touchée par les combats. Aujourd’hui, au nom de la lutte contre le terrorisme, le pouvoir s’engage sur la voie de la privatisation des hydrocarbures algériens. Au demeurant, depuis l’accord de 1991 avec la Banque Mondiale (au moyen des statuts de cette dernière), l’Algérie ne maîtrise plus le devenir de son secteur « hydrocarbures ». Le silence de Khalida Messaoudi sur ce sujet en dit long. Il en va de même avec les accords de Rome.

LES ACCORDS DE ROME

Khalida Messaoudi ne se contente pas de travestir la réalité. Elle la nie quand celle-ci la gène ! La réunion de Rome casse la logique du discours qu’elle développe devant les caméras. En effet, le 13 janvier 1995 se sont réunis à Rome sous la coupe de la communauté catholique (!!!) Sant Egidio des principaux partis de l’opposition algérienne : la Ligue algérienne des Droits de l’Homme, le FLN, le Front des Forces Socialistes, le Front Islamique du Salut, le Mouvement Démocratique Algérien, le Parti des Travailleurs Algériens, Annahda.

Comme le note Louisa Hanoun du PT, « une telle démarche est la conséquence de l’absence dans le pays des conditions politiques nécessaires au libre débat, à la participation de l’ensemble des partis politiques dans la recherche de solutions. (…) Le pays s’enfonce dangereusement dans la guerre et la décomposition. Un parti responsable, attaché aux intérêts du peuple et de la Nation se doit de tout faire pour empêcher le pire, pour soulager les souffrances qui n’ont que trop durées ». Au-delà de ces belles phrases, quelle est la représentativité des participants de Rome, quelles sont leurs stratégies, quel est le contenu de la plate-forme ?

Concernant la représentativité, les partis et organisations présentes à Rome rassemblent la quasi totalité des courants idéologiques algériens :

– Nationalistes : FLN, MDA.

– Islamistes : FIS, Annahda.

– Gauches : PT, FFS, (Berbéristes).

– Droits de l’Homme : Ali Yahia, président de la LDH.

Plus concrètement, à eux seuls, le FLN, le FIS et le FFS représentent 80 % des suffrages exprimés au premier tour des législatives de 1991. Et ce chiffre doit être relativisé : les trois partis ne regroupent en fait que 34,5 % des électeurs algériens. L’Algérie de 1995 n’est plus celle de 1991. Le FLN n’a plus ses 730 000 adhérents et ses 90 millions de dinars de fonctionnement. Le FIS est dissout et divisé en une myriade de groupuscules, le FFS est divisé sur le front berbère ; Aït Ahmed est fortement contesté.

Au demeurant, chaque organisation présente à Rome est travaillée par sa propre stratégie. Pour les représentants du FIS, il s’agit de reprendre le jeu en main. En effet, la situation sur le terrain leur échappe totalement. Il leur faut donc relancer leur propre machine politique. Pour le FLN, il s’agit d’accentuer la lutte contre le pouvoir militaire. Dans ce cadre, toute alliance est bonne à prendre. Le FFS, pour sa part, est engagé dans une grève scolaire en Kabylie. La concurrence y est dure avec le RCD. Aït Ahmed espère à travers cette initiative faire taire les contestations internes. Quant à Ben Bella, il compte préserver son image de présidentiable. Pour finir, le PT et Ali Yahia de la LDH sont fidèles à eux mêmes, c’est-à-dire à une orientation condamnant le Régime et la violence en général.

Le pouvoir n’est d’ailleurs pas en reste dans ce ballet politique. Plusieurs de ces émissaires étaient présents de façon fort discrète dans la salle de la communauté Sant Egidio.

Pour résumer, les acteurs romains se présentent ainsi :

– Trois partis issus de la même matrice historique et idéologique, la guerre de Libération Nationale et caractérisés tous les trois par une tendance à l’autoritarisme ; le FLN, le FFS, le MDA,

– Deux partis intégristes : l’un représentant le courant dur, le FIS, l’autre étant plus modéré Ennahda,

– Deux protagonistes ayant des activités dans la mouvance des droits de l’Homme et les milieux féministes : le PT de Louisa Hanoun et Ali Yahia de la LDH.

Que de contradictions ! il n’était donc « pas question de dégager un projet de société commun, mais uniquement de se mettre d’accord par échanges de points de vue sur les garanties et conditions permettant la concrétisation d’une solution politique au drame algérien » (dixit Louisa Hanoun). C’est ce à quoi correspond la plate-forme de Rome.

On comprend difficilement que Khalida Messaoudi ait gardé le silence sur un tel projet. Quand bien même elle se serait prononcée contre cette plateforme, au moins elle n’aurait pas fait la preuve de sa collusion avec le régime.

Pour notre part, le « Contrat National de Rome » contient plusieurs éléments nous incommodant :

La référence aux principes de l’Islam du paragraphe 2 qui pose comme base de départ la déclaration du premier novembre 1954, la restauration de l’Etat Algérien Souverain, Démocratique et Social dans le cadre des principes de l’Islam. Cette référence empêche toute volonté d’avancer vers un Etat Laïque. On s’étonne que le PT et le FFS aient signé ce texte.

Les Partis s’engagent à respecter la Constitution du 23 février 1989. L’acceptation de ce cadre politique par les Partis de Rome s’inscrit dans une stratégie de retour à la légalité constitutionnelle, c’est-à-dire dans le souhait de restaurer l’Etat de Droit. Cependant, la Constitution de 89, par de nombreux aspects, n’est qu’une mauvaise réplique de celle de 1958 du coup d’Etat permanent français. Qui plus est, elle nie la réalité culturelle algérienne. Elle autorise l’infâme Code de la Famille.

Ainsi donc, la double référence à l’islam et à la Constitution de 89 nous incite à rejeter les accords de Rome.

Mais pour employer une formule banale, l’arbre ne doit cacher la forêt. Le Contrat National de Rome, à travers ses cinq feuillets réclame :

– L’ouverture du champ politique et médiatique, l’annulation de la décision de dissolution du FIS, le plein rétablissement des activités de tous les Partis.

– La levée des mesures d’interdiction et de répression des journaux, des écrits et des livres, prises en application du dispositif d’exception.

– La liberté de l’information, le libre accès aux médias et les conditions du libre choix du peuple doivent être assurés.

– Le rejet de toute dictature, quelle que soit sa nature et sa forme.

– La garantie des libertés fondamentales, individuelles et collectives, quelles que soient la race, le sexe, la confession et la langue, etc.

Pour synthétiser, le discours de Louisa Hanoun de retour de Rome est le plus clair :

« Le peuple algérien a trop souffert. Il a besoin de souffler. Il est grand temps que l’exercice de la politique, par le libre débat, se substitue au langage des armes (…) Tourner le dos à une possibilité de rétablissement de la paix équivaudrait à préparer la dislocation de la Nation Algérienne ».

Mais de cela, Khalida Messaoudi ne veut en entendre parler. Elle préfère donner comme conseils « français, ne vous laissez pas aveugler par votre ardeur pour la tolérance ». Il ne fait aucun doute que Pasqua se servira de cette déclaration.

Lors de son « Heure des Oublis », Khalida Messaoudi a fait la démonstration suivante : l’éradication suggérée par les démocrates algériens dont fait parti Khalida Messaoudi et réalisée par les militaires, la politique économique du gouvernement algérien qualifié un temps d’économie de guerre imposée par le F.M.I., la violence des groupes islamistes armés tendent toutes vers un but unique: le génocide du peuple algérien.

A la vice présidente du Mouvement Pour la République qu’est Khalida Messaoudi, et à tous ses fidèles, nous leur opposons ce que Maître Ali Yahia, avocat, président de la LDH déclarait le 22 mars 1995 en tant que porte parole de la conférence de Rome :

« Toutes les critiques formulées par le Régime à l’encontre de la plate-forme sont injustes et sans fondement. Le régime utilise dans ces assauts médiatiques un jargon similaire à celui des régimes staliniens totalitaires en traitant de traîtres les personnes qui ne partagent pas sa politique. C’est le principe de toutes les dictatures »

La vérité est un mot dont on a assez abusé ! L’émission du 9 avril s’est transformée en heure des oublis. Et encore une fois, le mensonge s’est mis au service des fausses autorités.

« Exprimez aux opprimés la vérité de leur situation, c’est leur ouvrir la voie de la Révolution » disait un homme politique russe cher à Louisa Hanoun.

Karim Thaghest

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