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Après Tizi-Ouzou

Dossier paru dans Sans Frontière, n° 16, 24 juin 1980, p. 16

Photo : Am Brahim

Depuis plusieurs numéros, nous avons ouvert nos colonnes à l’information et au débat sur le mouvement de Tizi Ouzou. Les contributions publiées ont suscité ici et là, réactions et controverses. Il en ressort que le débat loin d’être épuisé, est tout juste amorcé, et nécessite un approfondissement. Nous proposons de le réaliser à la rentrée : en organisant une réflexion dont le thème sera la vie quotidienne dans nos pays, et d’une table ronde sur les mouvements populaires actuels.


Définir l’arabo-islamisme

J’aimerais répondre à certains articles parus dans la revue à propos de la langue arabe, de l’arabo-islamisme, sujets qui ont été traités dans le cadre des événements en Algérie. Mon but n’est pas de défendre aucun des régimes arabes en place, mais je répondrai en tant que militante arabe qui lutte pour la libération et l’indépendance des peuples arabes. Je reprendrai certaines phrases qui ont paru dans certains articles : « l’arabo-islamisme ne peut déboucher que sur la répression culturelle et l’étouffement de l’esprit critique » (Mohammed Harbi). Ali Sayad parle de l’islam originel « qui est absolument différent de l’islam algérien parce que celui-ci rend compte des croyances populaires. L’islam maghrébin n’est pas l’islam originel. » Dans l’article de R. Sadi, il est fait mention de « l’impérialisme arabo-islamique, en tant qu’idéologie basée sur deux notions douteuses : la race et la religion ». Il y a d’autres phrases pareilles qui vont dans le même sens mais ce que j’en tire, c’est la méconnaissance totale des auteurs de ce qu’est l’islam. Est-ce que les auteurs de ces articles qui ont la même phobie (l’arabe et le musulman) savent que plus de 90% des peuples arabes (du Maghreb au Machreq) croient en leur arabisme et en leur islamisme ? Les luttes contre le colonialisme ont été menées sur ces bases idéologiques et politiques. Avez-vous oublié les Moujahidines algériens qui criaient « Allahou Akbar » lors des attaques contre les colons ? Je ne citerai que l’Algérie car si on prend tous les pays arabes, cela a été et reste encore le même phénomène. Etre progressiste, croire en la démocratie et la justice ne signifie pas rejeter sa propre culture car l’arabo-islamisme que vous semblez rejeter et haïr est la culture populaire des millions d’arabes de l’Euphrate à l’Atlantique.

Si les régimes en place, de l’Euphrate à l’Atlantique, se réclament de cette culture, il suffit de les voir agir pour voir que ce n’est qu’une caricature : c’est eux qui font tout pour étouffer l’esprit critique, qui répriment, emprisonnent, assassinent. Ce n’est pas parce qu’ils se réclament de l’arabo-islamisme, que c’est cela l’arabo-islamisme. Car il faut voir ce qui se pense en Syrie, en Irak aujourd’hui pour voir la caricature, des villes entières sont réprimées alors que celles-ci. qui se réclament de l’arabo-islamisme, luttent pour une réelle indépendance de ces pays et contre la tyrannie des régimes « progressistes » du Proche-Orient.

C’est au nom de l’Islam et de ses valeurs que le Chah d’Iran a été [chassé] d’Iran. L’islam est-il, à vos yeux, réactionnaires ? Nos peuples arabes ne différent pas du peuple d’Iran, sauf qu’il n’a pas encore trouvé la direction politique capable de le guider dans sa révolution.

Est-ce au nom du modernisme que vous voulez rejeter l’arabo-islamisme, ou tout simplement la culture arabe, la langue arabe qui devient, d’après certains articles, aussi étrangère pour vous, sinon plus, que la langue française ? Si c’est au nom du modernisme, vous faites la même chose que vos dirigeants, mais eux n’osent pas l’avouer aussi crûment, car ils dirigent.

Il y a aussi le problème de la langue arabe. Voua prétendez et vous vous êtes exprimés assez nombreux dans SF que la langue arabe vous est inconnue, mais vous connaissez à la rigueur ce qui s’appelle « l’algérien populaire ». J’ai été en Algérie ainsi que plusieurs amis et nous avons écouté certains parler d’ « algérien populaire » qui n’est que du franco-arabe. Ce que j’écris peut choquer certains d’entre vous, mais je ne comprends pas tellement pourquoi vous tenez tant conserver les résidus de français dans votre langage alors que vous avez, comme nous d’ailleurs, une langue si riche ? Je ne m’exprimerai pas ici sur la langue Kabyle qui existe, je n’en doute pas et qu’il faut préserver !

Mais « l’algérien populaire » me rappelle malheureusement le « libanais populaire » que voulait instituer il y a une dizaine d’années un des idéologues du parti fasciste Al Kataëb au Liban. Lui aussi disait qu’il y a eu conquête arabe, que l’arabe n’a pas été parlé par le peuple, car il y a l’arabe écrit et l’arabe parlé qui est différent (au fond pas tellement) et qu’il fallait renouveler la langue parlée, « le libanais populaire » et même l’écrire en lettres latines. Cela parait-il, fait plus chic ou moins arriéré !

Une remarque encore : vous semblez, dans ces articles, penser que l’arabe algérien populaire est spécifique à l’Algérie, en ce sens que à partir de cette démonstration, vous voulez montrer la spécificité de l’Algérie par rapport aux pays arabes. Rassurez-vous : dans tous les pays arabes, la langue écrite diffère (peu ou prou) de la langue parlée et cela a toujours été ainsi, depuis la « conquête arabe » comme vous l’appelez ! Et cela ne nous a pas causé beaucoup de maladies car c’est ainsi que, de notre petite province du Machreq, nous avons pu découvrir les grands auteurs, poètes, militants ou non, bref la pensée arabe, qui existe au Maghreb. Et c’est ce qui fait notre force face à l’impérialisme culturel.

RAJA


Nous avons communiqué la lettre de Raja et Mohammed Harbi nous a transmis cette réponse.


Réponse de M. Harbi

Quand je parle d’arabo-islamisme, je me réfère à l’attitude de ceux qui confondent, langue, culture et Etat ou qui croient que la langue arabe et l’Islam sont à jamais inséparables. Ceux qui souhaitent l’unité des peuples arabes doivent savoir trois choses.

a) Toue les Arabes ne sont pas musulmans. L’unité n’est donc pas possible sur une base religieuse.

b) Il y a des minorités ethniques ou culturelles dans le monde arabe qui tiennent à préserver leurs identités. Vouloir faire l’unité sans elles est une dangereuse illusion. Il faut donc les respecter et les laisser libres de développer leurs cultures.

c) Tous les ressortissants du monde arabe n’ont pas les mêmes intérêts. Il y a des bourgeois, des prolétaires, etc.

Il n’y a donc d’unité viable que si on tient compte des différences de classe. Ni les bourgeois, ni les bureaucrates ne peuvent réaliser l’unité. Le nationalisme parle de l’unité pour respecter la différence et sans tenir compte des divergences d’intérêts. La lettre de votre lectrice est un bréviaire des idées reçues. Elle ne fait en rien avancer le débat sur les problèmes culturels de l’Algérie. On peut très bien s’opposer aux gouvernements comme elle le fait et reproduire leurs systèmes d’idées à commencer par l’intolérance, la tendance à se poser en seul dépositaire de l’Islam.

Mohammed HARBI


Arabe dialectal et arabe littéral

Ta réponse que j’ai eu l’occasion de lire en passant à SF me paraît, ya Raja révélatrice d’une certaine façon d’aborder le problème de la langue arabe propre aux Onentaux et de l’appréhension qu’ils ont, en général de la réalité linguistique au Maghreb.

En effet, parmi les préjugés qui ont cours chez vous relativement à ce problème, et qui témoignent d’un certain refus d’admettre la différence culturelle du Maghreb, il est communément admis que le dialecte arabe Maghrébin et plus particulièrement algérien (ta lettre en est éloquente) est tellement « abâtardi, avili par les influences étrangères » (« l’algérien po-populaire n’est que du Franco-Arabe ») qu’il ne serait pas digne de figurer dans le registre des langues arabes. D’autre part, en Algérie et même en Occident on a vu, à l’occasion des derniers événements de Kabylie, d’éminents journalistes faire chorus sans en comprendre la signification, à la dénonciation de l’ « orientalisation » de la culture en en Algérie. Il est en effet courant d’entendre affirmer que le dialectal égyptien libanais diffusés au Maghreb à travers les films (que nos pays achètent malheureusement au Kg) serait l’arabe classique.

Or, le phénomène dialectal, constitué lui-même de faits structuraux constants, tant au niveau syntaxique que grammatical, a toujours été, et ce jusque dans l’Arabie ante-islamique parallèle à l’existence d’une langue littéraire commune aux diverses tribus. C’est en cette langue que s’exprimaient les poètes de la Jahiliya (période ante-islamique). C’est cette même langue (aux structures et au vocabulaire d’une grande richesse) qui sera choisie pour la Révélation (le prophète Moharned ne se défendait-il pas d’être poète ?) la langue coranique déclarée inimitable, immuable et sacrée elle restera longtemps figée, fermée aux influences étrangères, donc privée d’une évolution propre qui en ferait une langue vivante.

Vouloir préserver une prétendue pureté de la langue arabe, comme ce fut le but légitime des ulémas algériens en réaction à la volonté de déculturation des colonialistes, c’est la priver d’un développement bénéfique à sa survivance, c’est la maintenir dans un état où elle reste inefficace, étrangère à la vie réelle d’un pays et d’un peuple, inadaptée aux nécessités du monde moderne.

Il apparaît de plus en plus évident que le discours qui s’ordonne autour de la notion de pureté, est né d’un blocage d’ordre essentiellement religieux.

cette idée, outre le fait qu’il procède de conceptions relativement malsaines quant à [sic].

Les dialectes, facteurs de divisions ? Certainement pas. Les Maghrébins arrivent en général à comprendre les orientaux. Le contraire n’est pas vrai. Serait-ce en raison de la prétendue bâtardise de ces dialectes ? Ou bien plutôt d’un certain mépris inconscient de nos frères d’Orient pour une langue et une culture différentes des leurs et qui les empêche de fournir l’effort nécessaire à une bonne compréhension… ces cours d’arabe à Vincennes où Égyptiens, Tunisiens, Syriens, Algériens et Marocains communiquaient chacun dans son propre dialecte. L’unité arabe ne sera plus un beau mythe lorsqu’on aura permis de l’est à l’ouest du monde arabe au génie de l’expression de chaque peuple de s’exprimer au-delà de la division. Et lorsque l’on se sera, en orient comme en occident arabe, décomplexé par rapport à des notions normatives, facteurs de blocages de la créativité populaire.

Faïza


Droit de réponse (suite à la lettre de Raja). Il y a beaucoup d’amalgames dans cette lettre, mais en fin, concernant l’existence de la « langue kabyle », merci pour le doute et le… préservatif (ben c’est du joli, ndlc).

R. S.

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