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Jean Léger : Le procès Kalandra

Article de Jean Léger paru dans Socialisme ou Barbarie, n° 7, août-septembre 1950, p. 110-111

Dans les premiers jours de juin s’est déroulé à Prague le procès des Treize, premier grand procès politique que connaisse la Tchécoslovaquie.

Les condamnations prononcées le 8 juin ont révolté de nombreux intellectuels en France, en Autriche, en Norvège. Des télégrammes ont été adressés au Président de la République tchécoslovaque pour qu’il renonce à exécuter la sentence frappant le principal accusé : Kalandra.

Pourquoi la peine de mort qui frappe Kalandra est-elle totalement inadmissible ? Pourquoi Kalandra fait-il figure de principal accusé ? Qui a lu la lettre ouverte de Breton à Eluard parue le 14 juin dans « Combat » comprend l’émotion soulevée par la condamnation à mort de Kalandra. Mais il ne suffit pas de savoir que Kalandra était un historien révolutionnaire de valeur, un intellectuel particulièrement ouvert, un déporté remarquablement courageux, il faut s’efforcer de comprendre le sens politique de ce procès. Il apparaît très clairement dès que l’on sait que la « Pravda » à la veille du procès, couvrait d’injures et de calomnies le « trotskyste Kalandra ».

Cette intervention flagrante du parti communiste russe laissait prévoir
que le procès de Prague serait une réédition tchèque des procès de Moscou. En effet, les coaccusés ont été soigneusement choisis pour montrer qu’un révolutionnaire s’opposant à l’U.R.S.S. devient rapidement un agent de toutes les puissances réactionnaires. Six des accusés au moins sont d’anciens membres du parti de Bénès qui ont reconnu être en liaison avec les ex-ministres socialistes nationaux émigrés ; un autre serait l’espion d’une centrale internationale sise en Allemagne occidentale et l’on trouve même un militant du parti populiste, agent stipendié du Vatican. Allemagne occidentale et ses occupants, Vatican, émigrés tchécoslovaques, il ne manque, que la Yougoslavie ; pour la représenter dignement, les policiers staliniens. ont trouvé un actionnaire de sociétés minières marié à une citoyenne yougoslave. Cela complète l’amalgame, et, comme les bureaucrates l’ont jugé réussi, ils s’en sont servis pour se débarrasser de deux sociaux-démocrates assez courageux pour s’opposer ouvertement à leur politique.

Ces douze co-accusés n’ont jamais rien eu de commun avec Kalandra, mais chacun d’eux est indispensable pour étayer un acte d’accusation soigneusement étudié en fonction des besoins de la politique stalinienne, et comme on craint de ne pas faire assez bien les choses dans les pays satellites, le procureur général a conclu avec une belle lourdeur que la critique de l’U.R.S.S. conduisait à l’espionnage aux dépens de sa patrie.

L’insistance mise à « démontrer » ce postulat prouve que la classe ouvrière tchécoslovaque murmure trop haut contre les exigences de Moscou. Il faut à tout prix effrayer les opposants les moins décidés, et pour cela on ne pouvait mieux trouver que Kalandra ; fondateur de la section tchèque de la IVe Internationale, il avait rapidement abandonné la position trotskyste traditionnelle à l’égard de l’U.R.S.S. Ayant compris le processus de bureaucratisation de l’Etat soviétique, il le caractérisait comme un bureaucratisme d’Etat. L’isolement relatif dans lequel vivait la Tchécoslovaquie ne lui avait pas permis de préciser complètement ses positions, mais il comprenait que les U.S.A. s’étaient engagés, eux aussi, dans la voie de la bureaucratisation et que seule la lutte révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière pouvait apporter une solution aux problèmes mondiaux. Il apparaissait donc, dans le domaine théorique, comme l’opposant le plus résolu à l’U.R.S.S. Comme il était épuisé physiquement pat six années de camp de concentration en Allemagne, il était relativement facile de lui faire avouer tous les crimes imaginables. Il constituait donc une belle prise pour la police stalinienne et il n’est pas étonnant que le tribunal suprême de Prague ait condamné à mort Kalandra.

Jean LEGER.

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