Article de Guy Martin suivi d’un manifeste du Mouvement libertaire nord-africain parus dans Le Libertaire, n° 255, 9 février 1951, p. 1 et 4
Les bateleurs s’agitent sur les tréteaux électoraux. Sur les journaux, le dernier discours de Truman ou de Staline, et le crime du jour se sont rétrécis pour faire place aux promesses mirobolantes des charlatans en quête d’une banquette à l’Assemblée algérienne dont sonne l’heure du renouvellement partiel. L’Algérie va voter ; quand ces lignes paraîtront, les jeux seront faits… Et tout continuera comme par le passé. Les Agrariens au pouvoir, vinassiers et céréaliculteurs continueront de défendre leurs intérêts de maîtres de la glèbe. Avocats et professeurs en rupture de barreau ou de chaire auront trouvé un nouvel auditoire. Quelques échantillons staliniens — il faut de tout pour faire un monde — défendront les intérêts du prolétariat et de la hiérarchie réunis. Quelques nationalistes bourgeois ou maraboutiques, passés, Allah sait comme, au travers des urnes à double fond, continueront de bercer leurs rêves de République algérienne, fromagère, à l’imitation des grandes sœurs française ou égyptienne.
Et le mineur de Kenadza, le docker d’Alger ou d’Oran, le fellah de la Mitidja continueront de peiner en proie aux flics et au minimum vital. Entrepreneurs et architectes pomperont dans les misérables crédits destinés aux constructions scolaires, leur dîme redoutable. Le Proconsul ira discourir et plastronner, d’inauguration en inauguration à seule fin de permettre aux actualités françaises de parler de « mission civilisatrice de la mère, patrie ».
Quel bilan présenteront les membres sortants ? Il est bref : les communes mixtes des territoires du Sud maintenues sous l’arbitraire militaire, la Sécurité sociale sabotée du fait de sa non-application aux travailleurs agricoles (1/4 de la population algérienne, 2/3 du prolétariat), la scolarisation de 90 % des illettrés compromise par d’insuffisants crédits, et tout à l’avenant.
Projets : par la voix autorisée du président Flinois, retour de France où il était allé aux ordres, nous apprenons que l’Algérie devra participer à l’effort de « Défense de l’Occident » en comprimant les dépenses sociales du budget au profit de celles militaires.
D’ailleurs, qu’est cette Assemblée ? Son pouvoir : Le gouverneur général est responsable de ses actes devant le gouvernement de la République (article 4 du Statut). Ses initiatives : sous peine de dissolution, l’Assemblée est dans l’obligation de voter le budget établi par le G. G. sous contrôle du ministère de l’intérieur (art. 46 et 21).
Son mode d’élection : basé sur la discrimination raciale : deux collèges : un musulman, un européen ; des élus : préfabriqués par la conjugaison des urnes truquées, des comptes rendus maquillés, des pressions et répressions policières.
Ainsi, tarée comme les Parlements nationaux, de plus, étroitement limitée en ses attributions, élue par fraude et corruption, dominée par une majorité agrarienne (70 délégués totalisent 200.000 ha), l’Assemblée algérienne est une caricature de Parlement, comme le Parlement est une caricature de « démocratie »)
Le nombre des abstentions nous apprendra peut-être que, si les Algériens n’ont pas encore compris que leur émancipation ne devra rien aux politiciens démagogues, nationalistes staliniens ou arabes, ils ne sont pas dupes, et ils démontreront à leurs élus qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes, pâles valets aux ordres du capital.
Martin (M.L.N.A.).
A L’HEURE DES ELECTIONS
ALGERIENS NE VOTEZ PAS !
L’émancipation des travailleurs ne sera l’oeuvre que des travailleurs eux-mêmes.
L’émancipation des peuples coloniaux ne sera l’oeuvre que des colonisés eux-mêmes.
Ne confiez pas vos droits à des arrivistes en quête de fauteuils, à des traîtres qui oublieront leurs promesses sitôt élus, à des féodaux, à des agrariens.
VOTER C’EST CAPITULER
Le parlementarisme est une duperie sur le plan international (O.N.U.), national et algérien. Sur le plan national :
LE PARLEMENT AMERICAIN accentue sa position belliciste (votes demandant de désigner la Chine comme agresseur. Chine agresseur = guerre.
LES SOVIETS russes ont vécu ; leur essence populaire est tout entière perdue au profit d’une bureaucratie totalitaire et de son chef, le tyran Staline, qui fournit à l’Amérique le chrome et le manganèse des armes pour de futurs massacres.
LE PARLEMENT FRANÇAIS entérine toutes les lois de misère et de répression ou anti-ouvrières, vote les écrasants budgets militaires et se fait le servile laquais de l’Amérique en guerre.
Les Parlements italiens, anglais, belges, etc…, slovaques, polonais, hongrois, etc…, ne sont que les échos de la voix de leurs maîtres d’occident.
C’EST TOUJOURS PAR LA LUTTE QUE FURENT ARRACHEES LES REFORMES IMPORTANTES DE STRUCTURE
LE PARLEMENT CROUPION ALGERIEN aumône du statut impérialiste, concentre en lui tous les vices ci-dessus énumérés aggravés par sa tare colonialiste.
« Le Gouverneur est responsable de ses actes devant le Gouvernement de la République » (article 5 du statut de l’Algérie).
« L’Assemblée algérienne est libre, après homologation, d’étendre la loi métropolitaine en Algérie, soit purement et simplement, soit après ADAPTATION (article 14).
Nous avons vu comment l’A.A. a adapté la Sécurité sociale agricole en la sabotant, comment les Communes mixtes ont été supprimées sans l’être. Comment en serait-il autrement ? 70 délégués totalisent plus de 200.000 ha. Flinois veut réduire le budget social au profit de l’armée ; et l’A.A. votera.
De plus, les urnes truquées, les pressions policières, les maquillages, feront de « vos élus », non ce que vous auriez voulu qu’ils soient, mais ce que les aura faits le Proconsul de l’Empire…
Et vous savez cependant quels résultats écœurants donnent ailleurs les votes libres.
NON. Faites comprendre aux futurs exploiteurs qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes. Ne donnez pas mandat en blanc à ceux qui, demain seront les agents serviles du Capital privé américain ou d’Etat russe fauteurs de guerre, de l’exploitation nationaliste ou colonialiste.
Mais travaillez à l’avènement d’une organisation égalitaire et/libre dans laquelle les travailleurs (devenus propriétaires des moyens de production) et tes consommateurs, géreront eux-mêmes la production, la répartition, la distribution, par leurs syndicats et coopératives, et dans laquelle la Commune sera gérée par tous et au bénéfice de tous.
Une organisation qui se fera de bas en haut, par la libre association et fédération des travailleurs dans leurs associations, dans les communes, les régions, les nations et dans une grande fédération internationale des travailleurs, réalisant l’ordre de la liberté et du bonheur général, affirmant et mettant d’accord les intérêts des individus et de la société.
MOUVEMENT LIBERTAIRE NORD-AFRICAIN,
6, rue du Roussillon, Alger