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Gugus : Le sport

Article de Gugus paru dans Tankonalasanté, n° 14, mars 1975, p. 13


Si on n’entend pas parler de sport à Corbeil, c’est qu’il n’y a rien à dire, s’il n’y a rien il dire, c’est qu’il ne se passe rien. On a juste le droit de se vanter d’avoir de beaux complexes sportifs : piscine, stade, etc… Les activités ont l’air d’être tombées dans les catacombes. Il n’y a pratiquement que du foot dont on entend parler, l’activité sportive la plus populaire et la plus soutenue financièrement. Même là, les résultats sont nuls ! Corbeil est une « petite bourgade fragile de la rubrique sportive ».

On a trouvé un type, dans un troquet, sympa, comme il en existe à Corbeil. D’ailleurs, les bistrots sont plus accueillants que les stades, un type qui nous a parlé de la gloire, la plus haute marche, l’apogée de sa carrière sportive ! Il en peut plus… il éclate :

« J’étais l’meilleur » qu’il dit. Il explique qu’après la gloire, il ne savait pas ce qu’il allait faire. Il ne pensait pas qu’on l’oublierait. De temps en temps, même rarement, il participe à une émission de T.V. dans le genre :

« Les bons athlètes du passé ». Et le soir, il se regarde sur la deuxième chaîne, pas couleur, en compagnie de ses enfants et de sa femme flic (parce qu’en plus, il a eu une chance de pigeon !)

Le lendemain ses voisins parlent de lui, et se sentent fiers. Comment a-t-il fait pour devenir poivrot, solitaire, perdu parmi des gens qui l’ont lâché et achevé ; des incapables qui lui demandaient la gloire mais qui ne tolèrent pas la défaite. Gloire aveugle, défaite douloureuse et brutale. Il a entendu dire que le sport est plus humain de nos jours, qu’on étudie et qu’on enseigne mieux grâce à la pédagogie. On prend le sportif, plus jeune, mais on fait attention à son cœur ; son cœur, il paraît que c’est important, qu’il ne faut pas qu’il se déforme. Il pense pourtant, qu’aujourd’hui c’est quand même plus dur de devenir champion, faut vraiment avoir un cœur d’acier. Tout cela demande du temps, aussi maintenant, le sport est obligatoire dans les lycées (et encore faut voir la façon dont c’est enseigné ! (Passons).

Lui, de son temps, il n’y avait pas de gymnastique à l’école. Mais, ça ne l’a pas empêché de gagner des médailles ; déjà à l’armée, c’était lui qui sautait le plus haut, et il était le meilleur sur le parcours du combattant.

Il a avoué qu’il en parle de temps en temps avec ses camarades des anciens combattants quand il va porter une gerbe au monument du sportif inconnu. Il a quitté la fanfare, oui, il jouait de la grosse caisse, avec sa patte folle, il a la cadence… Gauche gauche. Oui, parce c’est un héros, lui aussi un héros de la plus belle, la dernière, la guerre des chauvins. Après il se rappelle les Jeux Olympiques : le grand défilé ce qu’il y a de plus beau dans les jeux, chacun dans son groupe, nation après nation. Pendant une heure, ils défilaient sous les bravos. Et, après, c’était plus de la rigolade, fallait y aller. Comme ça, il a vu du pays, il a visité deux ou trois grandes villes, il les connaît bien. Y’a que les « bordels » qu’il n’a pas visités. Fallait pas abuser de cette chose là : en haute compétition on ne gaspille pas son énergie. Y’a que les organisateurs qu’ont le droit de mener une vie normale. Les champions, on les castre. En compensation, ils s’amusaient bien entre eux : dans l’ensemble, il y avait une bonne entente. Y’avait un bon public et des supporters enthousiastes. II dit qu’il court pour la gloire plus comme maintenant. Il ne comprend pas que des amateurs fassent la grève, pour être mieux, payés. Tous des « fils à papas » qui jouent de la raquette ou qui essayent de danser sur des patins à glace. Faut être « maso » : c’est pas plus simple d’aller au bord non ? Et puis, au moins, on peut embrasser sa cavalière.

Il a avoué qu’il aimait bien Zitrone, qu’il a la voix cérémonieuse, et qu’il trouve toujours de beaux mots pour dire les choses simplement. Voilà ce qu’il reste d’un champion qui, en fait, n’a fait que subir une volonté supérieure : l’orgueil des autres, les responsables. L’alcool le soutient.

A l’heure actuelle, on essaie d’imposer à un gamin qui fait du sport, l’activité dans laquelle il est le plus apte. Même s’il est réticent, on lui apprend à avoir de l’ambition, et on lui tend la carotte de la gloire. Le futur champion ne doit pas être apte que physiquement ; il faut qu’il encaisse tout ce qu’on lui demande ; on le dépersonnalise. Après, on pousse la machine… Les Nazis étaient bons en la matière !

Si on commençait déjà par apprendre à l’enfant à se sentir à l’aise, à contrôler son corps… Si on le laissait, dès qu’il le veut, comprendre le sens des actes qu’il pratique…

Le sport devrait provoquer chez lui un éveil qui faciliterait une évolution physique et intellectuelle.

Il n’est ras question de transformer des êtres humains en robots, de fabriquer des champions obéissants comme des chiens de cirque. Pas question non plus de prendre exemple sur certains pays de l’Est qui conditionnent il rond les individus. On en fait des tarés.

Une Municipalité n’accepte pas de formation sportive qui ne se présente pas sous l’étiquette d’une Fédération. A Corbeil même, si vous vous pointez en réclamant un local pour pratiquer le « Ju’t Ji D’ssus », on regardera d’abord si vous êtes solvable sur le plan compétitif (médailles), sinon on vous refuse tout net. Il y a un club, bien connu dans la région, qui a les moyens de substituer un jeune sportif d’un club avoisinant, en offrant tout simplement une mobylette à celui-ci.

On tombe dans le système : effort = récompense. Ça marche, à condition que l’athlète tienne ses promesses, sans quoi, on le renvoie chez lui. C’est la chute prématurée.

Qu’on ne vienne pas non plus reprocher à certains jeunes leur comportement vis-à-vis de la société, si on ne leur permet pas, entre autres choses, d’accéder plus facilement aux installations sportives. On ne leur laisse que le bitume des parkings pour s’exprimer. Parfois, ils se défoulent violemment par instinct, souvent avec agressivité. On se défoule comme on peut.

Y’a p’t’être moyen d’s’organiser… ou alors c’est le bordel et on casse tout pour reconstruire et on n’en finit plus de recommencer.

GUGUS.

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