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Errico Malatesta : Révoltes et révolutions

Article d’Errico Malatesta paru dans Le Réveil communiste-anarchiste, n° 544, 31 juillet 1920


Le Congrès anarchiste de Bologne fut indigné de voir, à un moment où les esprits étaient surexcités par les nouvelles venant d’Ancône, renvoyer à une époque indéterminée une réunion que les circonstances rendaient urgente et nécessaire pour s’entendre entre subversifs sur l’action à entreprendre. Il accusa les organismes, qui étaient cause du renvoi, de ne pas vouloir susciter des embarras au gouvernement.

L’organe de la Confédération générale du Travail, Battaglie sindacali, proteste… et nous le comprenons en somme. D’ailleurs, il pourrait bien avoir raison pour ce qui est des intentions, personne ne pouvant sonder le tréfonds des consciences.

Mais, peu importe l’intention ; il est certain que la Confédération intervient toujours en temps utile pour déprécier et refréner tout mouvement qui menace l’ordre établi et rend ainsi des services au gouvernement que la presse bourgeoise récompense avec des éloges mérités.

Et cette fois-ci encore, la Confédération, fidèle à ses traditions, au lieu d’expliquer le renvoi à une époque indéterminée d’une réunion d’où il pouvait sortir un accord pratique entre les forces subversives, juste au moment où cet accord était le plus nécessaire, nous fait dire dans Battaglie sindacali :

Avec autant de mauvaise foi nous pourrions accuser les anarchistes de servir inconsciemment la cause de la contre-révolution bourgeoise avec leurs incitations à des révoltes isolées qui provoquent, comme c’a été précisément le cas à Ancône, les plus horribles répressions de la part des sbires, contre lesquels nous n’avons pas la possibilités d’insurger efficacement !

Nos incitations à des révoltes isolées !

C’est une calomnie qui pourrait paraître une dénonciation. Mais ces messieurs de la Confédération sont toujours d’habiles diplomates et moyennant un conditionnel disent la chose, tout en se donnant l’air de ne pas la dire. Ne nous occupons donc pas de Battaglie sindacali, et profitons de son insinuation sotte ou calculée pour préciser encore une fois notre pensée sur cette question toujours plus brûlante des révoltes isolées.

Nous voulons la révolution — la révolution victorieuse ; donc, toutes les révoltes qui demeurent isolées et par cela même impuissantes, nous déplaisent en tant qu’elles représentent un gaspillage de forces qui pourraient être mieux utilisées dans un mouvement définitif que tout fait prévoir proche. Et si cela était possible,nous voudrions que tout le monde se tint coi, fît le mort, pour s’insurger ensuite, soudainement, d’une extrémité à l’autre de l’Italie, ou même du globe, et abattre d’un seul coup gouvernement et bourgeoisie. La victoire serait sûre et coûterait peu ou point de sang de part et d’autre.

Mais les révoltés éclatent quand même, que cela nous plaise ou non. Et il arrive aujourd’hui en Italie ce qui est arrivé à la veille de toutes les grandes révolutions : une série de protestations, de tentatives, de conflits avec la force publique, d’attentats contre la propriété, d’émeutes, de révoltes, qui deviennent toujours plus fréquents et qui aboutiront à un mouvement général et définitif.

Tout cela prouve que désormais la révolution en Italie n’est plus l’aspiration, plus ou moins utopique, d’un groupe, d’un parti, qui la désire, la propage et la prépare dans la conviction qu’elle est le seul moyen d’abattre un régime détesté. C’est la masse de la population qui aujourd’hui ne veut plus se résigner, et la tension des esprits du prolétariat est telle qu’à tout instant, à toute occasion, avec ou même sans prétexte, l’impatience se traduit en faits.

Quel est le devoir des révolutionnaires conscients, le devoir des socialistes, anarchistes et républicains en face d’une telle situation ?

Nous recommandons aux travailleurs de se préparer, de se tenir prêts. Mais tandis que l’on gagne quelque chose en préparation, on perd autant et plus à chaque insuccès, et on court le risque de fatiguer la masse ou de voir toute la tension actuelle s’épuiser en de petits mouvements.

Nous ne pouvons, aucun parti ne peut agir comme agirait le haut Commandement d’une armée, qui prépare silencieusement ses forces et les met en mouvement toutes ensemble, au moment qu’il juge opportun.

Renvoyer toujours le mouvement à plus tard, c’est aujourd’hui une erreur telle qu’elle équivaut, dans les résultats pratiques, à une trahison.

Les mouvements éclatent spontanément : il faut de suite les faire valoir, les appuyer, les étendre. A chaque mouvement d’une certaine importance — Turin, Viareggio, Bari, Ancône — il faut répondre par la grève, générale en toute l’Italie, grève générale qui peut débuter, pour des raisons tactiques, comme un mouvement calme de simple protestation ; mais qui doit viser à se transformer rapidement en mouvement insurrectionnel.

Voilà ce que nous demandons aux camarades, aux socialistes, à tous les travailleurs. Et c’est dans cette solidarité d’action avec tous les révoltés, toutes les victimes, dans ce devoir librement accepté d’agir de suite, de façon à avoir les avantages de la simultanéité, les bénéfices de l’entente saris les dangers de l’entente préalable, que nous faisons consister la discipline.

Car si l’on attend pour se mettre en branle l’ordre des « organismes centraux », cet ordre ne viendra jamais. Un peu parce que les nouvelles arrivent en retard et le gouvernement cherche à en empêcher la diffusion ; un peu aussi parce que, normalement, les « chefs » ont peur des responsabilités.

Errico Malatesta.

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