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Gérard Lamari : Algérie. Où en est le mouvement social ?

Article de Gérard Lamari paru dans Courant alternatif, n° 99, mai 2000, p. 22-23


Le devant de la scène médiatique est en général pris par les luttes pour le pouvoir que se disputent les courants intégristes d’une part et les militaires d’autre part. On a vu que les affrontements ont dépassé le verbe, pour tourner aux assassinats et même aux massacres collectifs. Cette situation qui dure depuis bientôt dix ans a fait s’enliser les mouvements sociaux.

Le mouvement berbère

C’est le mouvement le plus connu à l’extérieur des frontières algériennes. Il possède en effet des relais dynamiques aux niveau des radios périphériques. Basé essentiellement en Kabylie, ce mouvement est organisé au sein des MCB. Il revendique massivement depuis 1980 les libertés démocratiques et bien entendu son corollaire immédiat : la reconnaissance officielle par l’Etat de l’identité berbère et la prise en charge par celui-ci du développement de la langue tamazight.

L’enjeu capital pour les deux tendances était d’asseoir une hégémonie sur la Kabylie, à travers le MCB pour sa capacité de mobilisation et la légitimation absolue de la cause qu’il défend.

Cette situation a connu son apogée en 1994/95 lors du boycott scolaire qui révéla au grand jour les véritables dissensions et motivations politiques des deux tendances du MCB.

Pour maintenir la pression sur le pouvoir, les deux tendances prolongent dans le temps l’action du boycott scolaire faisant perdre une année de scolarité aux élèves et étudiants. L’année d’après, près de vingt mille élèves étaient exclus définitivement du système éducatif car trop longtemps livrés à la rue.

L’instrumentalisation du MCB

La révélation de l’instrumentalisation de la question berbère se fait au grand jour au mois d’avril 1995. En effet l’aile conciliante du MCB (Coordination Nationale) décrète la fin du boycott suite aux négociations avec la Présidence de la République pour réinstaurer la stabilité en Kabylie et permettre surtout au RCD de participer aux élections présidentielles de novembre 1995.

Par contre les Commissions du MCB s’opposaient à toute reprise scolaire afin de créer une situation propice au boycott des présidentielles prôné par le FFS.

La suite est connue : Saïd Sadi se présente aux élections et Hocine Aït Ahmed boycotte cette échéance électorale.

Puis son déclin

Plus que jamais divisé, le MCB a fini par ne plus susciter l’adhésion populaire. Les jeunes qui en ont notamment payé le pris fort (carrières stoppées, etc.), gardent un goût amer de cette période et désertent depuis le champ des luttes.

Depuis cinq ans, ce mouvement vit une longue hibernation. Toute tentative de le sortir de sa torpeur a fini en queue de poisson.

A l’heure actuelle, le MCB peut tout juste se contenter d’avoir arraché quelques maigres acquis tels que la création d’un Haut-Conseil à l’amazighité (structure du pouvoir mais sans moyens) et la diffusion d’un journal télévisé (trois minutes par jour).

Le mouvement syndical

A l’heure de la globalisation, les privatisations de toutes sortes et les attaques agressives contre les acquis sociaux battent la mesure à travers le monde. L’Algérie ne fait pas exception à la règle.

Pire, le pouvoir, désormais sous la tutelle du FMI, fait du zèle. Les licenciements massifs dans le secteur public passent maintenant plus facilement.

Une mesure parmi tant d’autres : désormais les prestations sociales ne sont plus prise en charge par la caisse de l’Etat mais versées directement par l’entreprise du salarié. Evidemment, l’effet a été immédiat : licenciement en priorité des salariés à famille nombreuse. Tous les candidats à une embauche se déclarent célibataires. Les allocations familiales passent ainsi à l’as.

Par ailleurs, l’incroyable baisse du pouvoir d’achat des salariés n’engendre plus de réactions, sauf parfois de la part des syndicats tels que le SATEF ou le CNES, respectivement représentants les enseignants du primaire et secondaire d’une part et supérieur d’autre part.

Ces deux syndicats, autonomes par rapport au pouvoir, qui ont vu le jour en 1990 suscitaient beaucoup d’espoir. En effet, ils se démarquaient nettement de l’ensemble de la classe politique et syndicale « officielle » telle que l’UGTA. D’autre part, l’encadrement du SATEF et du CNES était assuré par des militants rompus aux luttes. Les plus en vue sont issus des mouvements de masses qu’avaient connu l’Algérie quelques années plus tôt.

Comme pour le MCB, ils ont été laminés par l’évolution de la situation politique du pays. Le SATEF essentiellement basé en Kabylie et dans une partie de l’Algérois s’est brisé sur l’écueil du boycott scolaire cité plus haut. Le SATEF avait en effet soutenu et même participé à l’organisation du boycott. L’absence de résultats palpables a eu raison de ce jeune syndicat qui à l’instar du mouvement social en général est en pleine léthargie. Quelques soubresauts se sont néanmoins fait sentir depuis la fin de l’année dernière…

Le CNES, lui, a une implantation plus « nationale ». Il couvre convenablement tout le territoire sauf peut-être l’Est du pays où il semble moins influent. Plusieurs mouvements de grèves des enseignants du supérieur (dont certaines très longues) avaient comme mots d’ordre : la distribution des logements aux enseignants et non à la mafia politico-financière, révisions des contenus pédagogiques, augmentation des salaires… Les positions différenciées des syndicalistes des universités par rapport à la question de « dualité » pouvoir/intégristes empoisonnent depuis le fonctionnement interne du CNES.

Les associations des « disparus »

La « concorde civile » chère au président Bouteflika accentue le malaise des familles des disparus. Cette loi amnistie les « repentis » terroristes mais aussi leur permet d’être prioritaires pour les embauches dans le fonctionnariat et pour l’acquisition des logements. De nouveaux postes sont d’ailleurs créés uniquement pour eux. Ces derniers demandent en plus une pension permanente d’anciens « Moudjahidines ».

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ils risquent d’avoir gain de cause dans un avenir très proche !

Parallèlement, des associations de « disparus » se montent un peu partout pour retrouver les corps des disparus et dénoncer la complicité du pouvoir vis-à-vis des ex-terroristes.

Des associations comme « Somoud » ont indiqué des charniers intégristes. Son président en grève de la fin a été happé par les services de sécurité qui lui ont « intimé l’ordre de ne plus prononcer le mot charnier ».

Ces associations sont intimidées et menacées par le pouvoir qui veut effacer toutes les traces d’un passé récent.

G. LAMARI

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