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Maghreb : Une victoire provisoire contre le statut personnel

Textes parus dans les Cahiers du féminisme, n° 19, mars-avril 1982, p. 39-40

Après six mois de polémiques et de mobilisations, le gouvernement algérien a été obligé de retirer provisoirement le projet de loi sur le statut personnel, quatrième tentative de ce type depuis l’indépendance en 1962. C’est la réaction collective et massive des femmes parmi lesquelles Djamila Bouhired la « poseuse de bombes » emprisonnée en France du temps de la guerre d’indépendance, qui a obligé le gouvernement de Chadli Benjedid à reculer momentanément.

Mais la lutte n’est pas terminée. Les femmes algériennes ainsi que toutes les femmes en lutte au Maghreb en sont convaincues (cf. l’article ci-dessous du groupe femmes marocaines de Paris). Car la lutte des femmes algériennes pour leur libération ne date pas d’aujourd’hui même si le FLN, puis tous les gouvernements qui ont suivi la proclamation de l’indépendance en 1962 ont feint de croire et ont entretenu l’illusion que l’oppression des femmes algériennes avait été balayée au cours de la guerre d’indépendance contre la France.

Tout le monde sait aujourd’hui (cf. le témoignage de Mohammed Harbi dans le n° 11 de Révoltes logiques) que la plupart des Algériennes qui ont voulu rejoindre le maquis ont été écartées, envoyée par le FLN en Tunisie pour y étudier la couture ou la dactylo. Il n’y a qu’en Kabylie et à Alger qu’elles ont eu un rôle absolument décisif. D’une manière générale, elles furent essentiellement utilisées pour assurer l’intendance (ravitaillement – soins aux blessés) ou servir d’agents de liaison. Aucune femme n’eut de rôle politique dirigeant au sein du FLN.

Au moment de l’indépendance, les choses allaient-elles changer ? On aurait pu le croire ; quinze femmes sur 196 furent élues députés lors de la première Assemblée et en 1963 la première Constitution reconnaissait que « tous les citoyens des deux sexes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs ». En 1964, la Charte d’Alger du FLN proclamait « l’égalité de la femme et de l’homme ».

Extrait de la pétition qui a reçu 10 000 signatures à Alger
(…) Nous protestons vivement contre :
— les modalités d’élaboration de ce Code de la famille en dehors des principales concernées les femmes ;
— l’absence totale d’information quant à son contenu d’autant plus que les avant-projets précédents et les informations officieuses concernant l’avant-projet actuel confirment son caractère rétrograde et discriminatoire à l’égard des femmes : atteinte au droit au travail, à la majorité effective, à la protection de la femme dans le divorce…
Nous refusons que ce Code soit adopté par I’APN sans avoir été au préalable discuté par les femmes et l’ensemble des intéressés.
Nous nous déclarons solidaires des femmes qui ont appelé à un rassemblement de protestation le 28 octobre 1981 et décidons :
— de nous joindre à ce rassemblement ;
— d’appeler d’autres femmes à le rejoindre ;
— de renforcer notre appel par des signatures que nous recueillons autour de cette pétition.
Cela étant, la lutte autour du Code de la famille n’est qu’un masque, important il est vrai, de notre lutte. Celle-ci est une entreprise de longue haleine contre tout ce qui dans cette société fonde et maintient notre oppression. »
Un groupe de femmes
Alger, le 11/10/1981

Mais cela ne changea pas fondamentalement le sort des femmes algériennes et dès 1965 on prétendait leur imposer le port du voile obligatoire ce qui provoqua la plus importante manifestation de femme à Alger le 8 mars 1965. Le coup d’État de Boumedienne en juin 1965 porta un coup d’arrêt brutal non seulement à la révolution algérienne mais aussi à la lutte des femmes pour leur libération.

En 1976, la nouvelle Constitution contient en germe toutes les contradictions actuelle de la société vis-à-vis des femmes, puisqu’elle affirme en même temps

« l’État algérien est socialiste, l’Islam est religion d’État, tous les droits politique, économiques, sociaux et culturels de la femme algérienne sont garantis, le droit de sortie du pays soumis à restriction, le droit au travail est réaffirmé ainsi que son obligation. Parmi les devoirs du citoyen, la femme doit participer pleinement à l’édification socialiste et au développement national. »

La mort de Boumedienne et son remplacement par Chadli Bendjedid n’ont aucunement contribué à la solution des contradictions, au contraire. En effet, le débat sur le quatrième avant-projet de Code de la famille coïncide avec un renforcement du pouvoir et de son caractère répressif, ainsi qu’avec un regain d’activité et d’influence des « frères musulmans ». Le Mouvement des étudiants kabyles en défense des revendications culturelles des Berbères accueillit de nombreuses femmes en son sein. Il fut violemment réprimé en mai 1981 et le président Chadli en profita pour se faire donner les pleins pouvoirs. Rien d’étonnant à ce que, dans ce contexte, les femmes qui refusaient de porter le voile se soient fait agresser au vitriol. Ainsi apparait un lien immédiat entre la lutte des femmes pour leur libération et la lutte pour le respect de tous les droits démocratiques. que ce soit celle des étudiants kabyles pour leurs droits d’expression culturels en langue berbère, ou celle de tous les travailleurs pour un fonctionnement démocratique de leur syndicat.

C. B.


COMMUNIQUE
Montpellier

« (…) En octobre 1981, l’Assemblée populaire algérienne a été saisie d’un projet de loi sur le « statut personnel », plus généralement désigné sous le nom de « Code de la famille ». Ce texte ne fait l’objet d’aucune diffusion officielle mais des copies en ont circulé sous le manteau… Il a suscité de nombreuses réactions et, en trois mois, les femmes ont manifesté à quatre reprises à Alger, contre l’élaboration de cette loi et de son contenu. En effet, la femme est traitée, dans son projet, en perpétuelle mineure, passant de la tutelle de son père à celle de son mari ou fils…

— La polygamie est autorisée ;

— La répudiation jouant au seul bénéfice de l’homme est légalisée ;

— Interdiction est faite à une musulmane d’épouser un non musulman alors qu’un homme musulman peut épouser une non musulmane ;

— L’adoption complète est interdite…

Ce projet de loi rétrograde n’améliore en rien le statut de la femme, il porte atteinte à ses libertés fondamentales en la maintenant sous la tutelle de l’homme.

Nous, femmes algériennes de Montpellier et d’autres villes, demandons à tous les hommes et femmes sensibilisés par ce problème de participer à la dénonciation de ce projet. Nous sommes conscientes que la lutte menée par les femmes algériennes rejoint les luttes menées depuis toujours pour la liberté et le respect des droits de l’individu.

Nous n’accepterons plus jamais que notre avenir soit décidé en dehors de nous. »

Les femmes algériennes en lutte


Encore des réactions…

(…) Il est certain que sans la mobilisation massive de toutes les femmes au niveau national et international, et celle de toutes les forces progressistes, le projet de 1982 ne manquera pas d’être adopté.

A l’heure actuelle, le gouvernement a marqué un recul, en retirant le projet, sous la pression d’un ensemble de mobilisations.

• 28 octobre 1981

• 14 novembre 1981 : rassemblement devant l’APN

• 23 décembre 1981 : rassemblement devant la grande poste avec participation des anciennes Moujahidates

• 13 janvier 1982 : meeting à l’université d’Alger, dépôt d’une pétition portant dix mille signatures

comme il avait déjà reculé en 1966 et en 1972 sous l’ampleur des protestations des femmes.

Des mobilisations ont aussi eu lieu dans l’émigration sous forme de rassemblements, de création d’un comité de refus du Code de la famille en Algérie…

Cependant, ce projet n’est qu’ajourné, et risque de ne pas subir des changements fondamentaux.

C’est pourquoi, dès à présent, les femmes marocaines à Paris (groupe) se joignent à côté de toutes les femmes algériennes qui luttent pour un réel changement de leur situation, d’autant plus que le projet du CSP est de même nature que celui en vigueur au Maroc (mariage, polygamie, tutelle, répudiation…).

Nous affirmons qu’il ne peut y avoir de projet qui statue sur la vie des femmes sans y associer les principales intéressées.

— Ainsi par le fait d’autoriser la polygamie et d’en faire un acte légal.

— Par le fait de refuser aux femmes le droit au travail sans une stipulation express dans le contrat de mariage.

— Par le fait d’avoir toujours recours à un wâli (tuteur) et d’instituer la minorité juridique et pratique pour l’ensemble des femmes.

— Par le fait de leur interdire le choix d’un conjoint (impossibilité du mariage mixte pour les femmes musulmanes)

— Par le fait de rétablir la répudiation et toute une série d’autres mesures non moins légales et islamiques.

Le pouvoir algérien (comme celui du Maroc) aura tout à fait décidé du choix et de l’avenir du pays.

Privées du droit élémentaire de régir leur vie comme elles l’entendent, privées de celui de participer d’une manière légale à la sphère économique et sociale comme les hommes, les femmes ne pourront plus échapper à leur oppression, tout étant organisé pour les y maintenir.

Nous, les femmes marocaines à Paris, protestons contre l’enfermement des femmes dans le secteur traditionnel de la famille, le seul légal que toutes les sociétés leur reconnaissent.

Nous protestons contre le fait de vouloir faire des femmes une machine de reproduction et des êtres à mentalité d’assistées, corvéables et malléables à merci.

Nous demandons la possibilité pour toutes les femmes d’accéder à toutes les sphères économiques, sans aucune condition.

— L’égalité de tous les droits avec les hommes.

— L’interdiction de la polygamie.

— La socialisation des tâches domestiques.

— L’allégement de l’éducation privée des enfants par l’installation de crèches.

— La levée de toute tutelle sur les femmes.

— Le rétablissement du divorce judiciaire pour la femme comme pour l’homme, et sans compensation.

— Et l’association massive de toutes les femmes, projet du CSP.

La solidarité de toutes les femmes au Maghreb s’impose pour essayer de démonter tout le dispositif d’exploitation et d’oppression des femmes.

Vive la libération des femmes !

Groupe femmes marocaines de Paris
46, rue de Montreuil 75011 Paris

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