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Un appel d’Henri Alleg

Appel de Harry Salem alias Henri Alleg paru dans La Nouvelle Critique, n° 171, décembre 1965-janvier 1966, p. 1-3


à la Rédaction de La Nouvelle Critique

Chers amis,

Vous-mêmes, comme les lecteurs de La Nouvelle Critique, connaissez bien les noms de Hocine Zahouane, membre du Bureau politique du F.L.N., de Mohammed Harbi, membre du Comité Central, qui tous deux ont apporté une contribution remarquable à l’élaboration de la Charte d’Alger, et de Bachir Hadj Ali, ancien dirigeant communiste dont votre revue a, plus d’une fois, publié des articles et des poèmes.

C’est là une des raisons qui me poussent à vous écrire. Il s’agit aujourd’hui d’arracher ces hommes à leurs tortionnaires. Il s’agit de les sauver, car c’est bien leur vie qui est en danger au moment où j’écris ces lignes.

Depuis plus de trois mois, en effet, ils sont avec huit autres Algériens entre les mains de la sécurité militaire du Colonel Boumedienne. Par d’autres qui sont passés par là et aujourd’hui détenus à la prison d’El Harrach (ex Maison-Carrée), on sait que les tortures les plus bestiales sont infligées aux personnes arrêtées.

Les témoignages ne manquent pas. Ceux du Docteur Marot et des Français expulsés ont réduit au silence ceux qui prétendaient qu’il ne s’agissait que d’inventions malveillantes pour déconsidérer le nouveau pouvoir issu du Coup d’état du 19 juin.

Parmi les militants arrêtés et actuellement détenus à la prison d’El Harrach, se trouve la secrétaire de direction d’Alger républicain, Gilberte Taleb, une femme de cinquante ans, veuve de maquisard tué au combat en 1958. Torturée déjà sous Vichy, elle a vécu à nouveau le calvaire, 25 années après. Pour elle comme pour ses compagnons, ce fut l’humiliation du déshabillage, la baignoire, l’électricité. Pire encore, ce fut le spectacle auquel on la força d’assister, du supplice de Jacques Salort, administrateur d’Alger républicain, arrêté et torturé déjà en 1940 et en 1955 et deux fois condamné à 20 années de travaux forcés pour son action anticolonialiste.

Ainsi resurgit en images bouleversantes un passé odieux qui déjà paraissait incroyable. Les nouveaux tortionnaires n’ont rien inventé. Ils ont repris aux anciens leurs méthodes et jusqu’à leurs locaux. C’est dans une villa du Chemin Poirson, à El Biar, où exerçait autrefois la police coloniale, que Hocine Zahouane, Mohammed Harbi et Bachir Hadj Ali ont été séquestrés pendant des semaines, jusqu’au 20 novembre, croit-on savoir. A celle date, ils auraient été extraits des locaux où ils étaient détenus et dirigés vers Lambèse, au sud de Constantine. De source très digne de foi, on sait que tous les prisonniers se trouvaient dans un état physique lamentable au moment de leur transfert. Zahouane et Harbi devaient être soutenus pour marcher, de même que William Sportisse, ancien secrétaire général d’Alger républicain. Harbi présentait de graves brûlures aux mains.

Ce que l’on sait aussi sûrement, c’est que les tortionnaires se sont acharnés avec une sauvagerie particulière sur Bachir Hadj Ali. Sans doute incarne-t-il, avec ses compagnons, à leurs yeux, cette résistance qu’il faut briser pour consolider un régime qui n’arrive pas à trouver d’assise populaire. Sans doute encore la haine particulière qu’ils semblent lui témoigner provient-elle de ce que sa vie de militant et sa conduite politique tendent à détruire les mensonges des hommes du putsch sur l’action des militants révolutionnaires issus des rangs du P.C.A. dans la lutte de libération nationale et depuis l’indépendance.

Aux calomniateurs d’aujourd’hui qui font de l’anticommunisme leur « argument » essentiel et qui osent dire que les communistes algériens étaient absents dans la lutte d’indépendance, on pourrait répondre pour Bachir Hadj Ah qu’il n’a pas quitté Alger de 1954 à 1962 et que, durant sept ans et demi, il y a pris toute sa part au combat clandestin. Aux mêmes qui prétendent mettre en cause l’algérianité des communistes, on peut répondre que peu de dirigeants révolutionnaires algériens ont autant lutté pour défendre et développer les valeurs et les meilleures traditions nationales algériennes, convaincu que c’est seulement en s’enracinant profondément dans le sol et la civilisation du pays que la révolution socialiste pourrait triompher et progresser. Tous ses écrits politiques comme ses essais critiques ou ses poèmes, vibrant de sensibilité nationale et d’amour pour son peuple, témoignent de ce constant souci.

Enfin, sa présence dans l’Organisation de la Résistance Populaire aux côtés de dirigeants et de militants du F.L.N., fidèles à la Révolution, montre aussi les progrès réalisés dans la liquidation des préjugés mutuels entre hommes issus de formations politiques différentes, mais décidés à s’unir dans un seul Parti de la Charte d’Alger. Ce sont ces préjugés que tentent de faire renaître les maîtres de l’heure, aux applaudissements de la réaction, et c’est pour cela qu’ils s’acharnent sur des hommes comme Zahouane, Harbi et Bachir Hadj Ali.

Les putschistes du 19 juin n’hésiteront pas à commettre le pire. Ils n’ont pas hésité à séquestrer, à torturer. Si la vigilance de l’opinion internationale se relâche, si sa pression ne s’accentue pas, ils tueront.

C’est ce crime qu’il faut empêcher.

C’est aujourd’hui la tâche de tous les vrais amis de l’Algérie d’obtenir pour les détenus politiques les garanties que leur accordent la Constitution Algérienne et la Déclaration Internationale des Droits de l’Homme.

Je sais que les lecteurs de La Nouvelle Critique joindront leurs voix à celles, déjà nombreuses, qui se sont élevées en France pour dire leur solidarité avec les victimes des nouveaux tortionnaires et obtenir des autorités algériennes le respect des règles élémentaires de justice.

Avec mes plus amicales salutations.

Henri ALLEG.


Le Comité de défense de Ben Bella et des autres victimes de la répression reçoit les adhésions chez M. Maurice Jardot, 27, quai de Bourbon, Paris-4e. La participation aux frais du comité est reçue à la même adresse : C.C.P. Paris 4039-04 avec la mention Comité Ben Bella. — H. A.

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