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Louis Janover et Bernard Pêcheur : La trahison permanente

Article de Louis Janover et Bernard Pêcheur paru dans Sédition, n° 1, juin 1961, p. 6-12


« Plus loin que le réveil de l’amour-propre des peuples longtemps asservis qui sembleraient ne pas désirer autre chose que de reconquérir leur indépendance… nous croyons à la fatalité d’une délivrance totale. Plus encore que le patriotisme qui est une hystérie comme une autre, mais plus creuse et plus mortelle qu’une autre, c’est l’idée de patrie qui est vraiment le concept le plus bestial, le moins philosophique dans lequel on essaie de faire entrer notre esprit. »

(« La Révolution d’abord et toujours. »)

« La petite bourgeoisie est-elle capable de jouer aujourd’hui, dans les conditions de la domination mondiale de l’impérialisme, un rôle révolutionnaire dirigeant dans les pays capitalistes, même si ces pays sont arriérés et ont encore à accomplir leurs tâches démocratiques ?

Dans les conditions de l’époque impérialiste, la révolution nationale démocratique ne peut être victorieuse que si les rapports sociaux et politiques d’un pays sont mûrs pour porter le prolétariat au pouvoir en qualité de chef des masses populaires. Et si les choses n’en sont pas encore arrivées à ce point ? Alors la lutte pour la libération nationale n’aboutira qu’à des résultats incomplets et néfastes aux masses travailleuses. »

Cette prédiction de Trotsky dans « La Révolution Permanente », axée essentiellement sur l’analyse des mouvements nationaux hindou et chinois, n’a pas manqué de se vérifier périodiquement et de manière décisive, au cours des dernières années, sans qu’en aient été tirés les enseignements qui s’imposaient. Et cependant, les conditions de la domination mondiale de l’impérialisme se sont aggravées, au point que la lutte entre nations impérialistes s’est progressivement transformée en conflits ouverts ou latents, entre l’impérialisme russe et yankee, chaque conflit local n’étant qu’une manifestation voilée de cette rivalité.

Le fait qu’une bourgeoisie satellite y trouve son compte, au détriment d’une bourgeoisie satellite adverse, ne change rien au rapport des forces entre ces deux systèmes « antagonistes », d’une part, et le prolétariat mondial. Ainsi l’appui « désintéressé » des staliniens à ces mouvements révèle sa nature véritable, comme s’affirme le lien entre les théoriciens du « socialisme dans un seul pays » et des zélateurs des « révolutions nationales ». Et s’écroule tout le fatras de la terminologie anticolonialiste, avec ses chiffons de papier destinés à masquer la « dure réalité » de la lutte de classes internationale.

A quel niveau s’est vue ramenée la pensée révolutionnaire pour que des problèmes auxquels « trois révolutions russes et deux révolutions chinoises ont donné réponse » soient remis en question à propos de ces révolutions avortées… A l’époque de Lénine, il eut été impensable pour un parti ouvrier, même réformiste, de soutenir un mouvement nationaliste au profit d’une bourgeoisie locale qui devait nécessairement devenir l’ennemi irréductible de la révolution prolétarienne. Et sur ce point, jusqu’à Staline, la morale révolutionnaire demeura intransigeante. Ainsi l’idée selon laquelle « la défense véritable des libertés nationales est la lutte de classes internationale contre l’impérialisme » et « la patrie des prolétaires à laquelle la défense de toutes les autres est subordonnée, est l’Internationalisme socialiste », cette idée amenait Rosa Luxembourg à condamner le « droit de libre disposition des nations » car « en ceci justement consiste le caractère petit bourgeois et rétrograde de cette formule nationaliste, que dans la dure réalité de la société à classes, surtout dans un temps d’oppositions accentuées à l’extrême, elle se transforme en un moyen de domination de la classe bourgeoise.

« Sous le règne du capitalisme, il n’y a pas de « libre disposition » de la nation, parce que, dans une société à classes, chaque classe de la nation cherche à « disposer d’elle-même » d’une manière différente et que, pour les classes bourgeoises, les points de vue de liberté nationale s’effacent complètement derrière ceux de domination de classe » (1).

Les révolutionnaires ne peuvent donc défendre que le droit d’une classe à disposer d’elle-même : il ne s’agit pas de perpétuer, sous une forme à peine moins anachronique, l’exploitation séculaire mais de tout mettre en œuvre pour transformer la lutte pour l’indépendance des pays coloniaux et semi-coloniaux en mouvements révolutionnaires, ceci avec d’autant plus de chance de succès que la politique ultra-réactionnaire des colonisateurs et la faiblesse des bourgeoisies nationales peuvent permettre de dresser contre eux l’ensemble des masses exploitées.

Or il et évident que le prolétariat, depuis le Thermidor russe, étendu à l’échelle mondiale par les partis staliniens, a purement et simplement abdiqué toute responsabilité historique au sein de ces mouvements et que le soin d’organiser, à son profit, la lutte anticolonialiste aux côtés du bloc oriental ou occidental, selon les nécessités du moment, est revenu à la seule bourgeoisie.

La « révolution » algérienne recouvre les mêmes conflits d’intérêts bourgeois, cristallisés autour du pétrole saharien et utilisant à leurs fins propres une insurrection privée de toute direction authentiquement révolutionnaire. Avec l’appui de tout le « monde arabe », un parti politique de structure bureaucratique a pris la tête du mouvement d’indépendance algérien, en éliminant ses adversaires de toutes tendances. La direction du F.L.N. a réussi, de l’extérieur, à canaliser l’insurrection dans un contexte exclusivement nationaliste, écartant toute revendication révolutionnaire, tant sociale qu’idéologique, de son programme. Cette direction échappe, dans une grande mesure, au contrôle des maquis, cependant que sa peur de devoir mettre certaines revendications sociales à l’ordre du jour l’amène à refuser toute indépendance aux militants syndicalistes, ce qui aboutit à des déclarations de cet ordre : « Est-il possible… de se préoccuper de revendications matérielles quand son pays n’est pas libre ? » (2). Dans le même esprit, elle a, tout récemment en abandonnant à la répression les manifestations qui se déroulaient dans les villes algériennes, laisser entrevoir qu’elle saurait utilement collaborer avec les forces colonialistes pour écraser tout mouvement « extrémiste » dans le cadre même d’une Algérie indépendante.

En France, le mouvement ouvrier se scinde en deux fractions. Fidèle à sa vocation, la social-démocrate se met purement et simplement service de la bourgeoisie, cautionnant « à gauche » un des plus sanglants génocides de l’histoire mondiale, tandis que de son côté le parti stalinien fait également confiance à De Gaulle et au G.P.R.A. dans la mesure où un accord entre ceux-ci constitue une garantie quant aux risques d’une solution révolutionnaire apportée au conflit par les combattants algériens. Derrière eux, dans sa majorité, la classe ouvrière accepte tacitement la situation, entérinant ainsi l’abandon de toute position internationaliste dans la lutte anticolonialiste.

L’instauration en France d’un crypto-fascisme gâteux incarné par celui qui fut jadis, lui aussi, l’apôtre de certaine « libération nationale » a déterminé un regroupement des intellectuels de gauche qui, dans le manifeste dit « des 121 », ont condamné le colonialisme, et ont mis en avant une justification morale du soutien au nationalisme algérien et au mouvement d’insoumission. Alors que l’instant semblait propice à un réveil de la classe ouvrière sur la base du défaitisme révolutionnaire, Sartre et ses épigones ont replacé la lutte dans son contexte purement nationaliste, avec ses inévitables corollaires appui à la politique du F.L.N., limitation des revendications à la paix immédiate et, par là même, appui à De Gaulle s’il venait à s’engager dans cette voie. La bourgeoisie éclairée pouvait ainsi apporter une caution prudente au « manifeste », et !es staliniens, loin d’être contraints de se prononcer pour ou contre le défaitisme révolutionnaire, se consacrer, après une agitation dérisoire, à la « préparation » du référendum gaulliste dont le triomphe ne faisait d’ailleurs de doute pour personne.

Il faut ici insister sur les positions politiques des « intellectuels » qui, par une interprétation intéressée du manifeste, ont rendu possible cette triste mystification. Sartre, en son langage de concierge « progressiste », nous apprenait récemment (« Voix Communiste », février 1961) que « l’ensemble des révolutions qui se font dans les pays sous-développés s’accompagne de nationalisme parce que, par rapport aux impérialisme, c’est un progrès ». Il est vrai qu’ « après la révolution russe, l’internationalisme s’est transformé parce que la révolution avait les frontières d’un pays. Pour soutenir la Révolution russe, les partis communistes et progressistes ont dû contrebalancer l’internationalisme par un nationalisme. C’est une dialectique fatale. »

Cette « Fatalitas » digne de Chéri-Bibi amène Sartre à une brillante conclusion : « Il est bien évident que le moment actuel est avant tout le moment du combat et, de ce fait, peu favorable pour créer des plans détaillés. Pendant la résistance, on n’avait pas de plans parce qu’on aurait risqué (!) d’opposer les gens aux autres. »

Simone de Beauvoir découvre d’ailleurs en toute candeur le fond du problème lorsqu’elle écrit dans « La force de l’âge », que les révolutionnaires espagnols n’avaient pas compris « qu’il fallait gagner la guerre avant de faire la révolution ». Les staliniens et leurs complices petits-bourgeois, dont on sait comment ils s’imposèrent à Barcelone en exterminant les militants d’avant-garde qui avaient le tort de juger indissolubles la Révolution Socialiste et la lutte armée contre le fascisme, salueront au passage de telles déclarations dont la misère intellectuelle et le caractère criminel indiquent assez les origines. Ainsi, conscients ou dupes, sous les dérisoires prétextes, si chers aux staliniens, « d’efficacité immédiate » et de « fatalité historique », ces intellectuels ont une fois de plus rendu vaine une tentative pour retrouver les bases d’un internationalisme authentique s’affirmant toujours « contre le courant », tant du patriotisme bourgeois que du national-stalinisme.

Que ceux qui se bercent encore d’illusions sur la signification réelle de « l’indépendance algérienne » jettent un coup d’œil sur les pays récemment libérés de la tutelle coloniale : sur ses ruines s’est édifiée partout la dictature féroce d’une bourgeoisie nationale qui, sous une démagogie anticolonialiste, dissimule mal sa nature de classe exploitante. Qu’il s’agisse de Bourguiba, de Mohammed V (Dieu ait son âme !), de Ferhat Abbas ou de Nasser, bourreau des « communistes » égyptiens mais protégé du Kremlin, on retrouve cette même volonté de créer un front bourgeois panarabe, sur !es bases d’un développement des forces de production sans doute encore très limité, mais qui pourrait se trouver facilité par un leu de surenchère « neutraliste » entre l’Est et l’Ouest. Par ailleurs, comment s’étonner que le soutien d’une politique nationaliste bourgeoise n’ait abouti qu’à démoraliser davantage la classe ouvrière, à produire au sein de la jeunesse des mouvements sporadiques du type « objecteurs de conscience », réseaux de « jeune résistance », tous, à de très rares exceptions, chrétiens progressistes ou stalinisants, en tous les cas prêts à rentrer dans le giron de notre sainte mère patrie si un mouvement révolutionnaire authentique venait à se manifester.

Demain, pour n’avoir pas su défendre une politique indépendante, pour s’être laissé enfermer dans le dilemme Algérie française ou algérienne, le prolétariat français se trouvera isolé de la révolution dans les pays sous-développés, livré pieds et poings liés par les staliniens et les sociaux-démocrates, aux délices d’un régime présidentiel qui seul aura su « faire la paix », c’est-à-dire l’imposer au nom de l’impérialisme, autrement dit, contre les peuples algérien et français.

Répétons-le, on a trompé le peuple algérien, et partant tous les peuples, en le persuadant que la fin de son esclavage résidait essentiellement dans la conquête de son indépendance, que sa « révolution nationale » (jamais accouplement de termes ne fut plus délirant) était une fin en soi. On l’a trompé en remettant les solutions réelles, c’est-à-dire révolutionnaires, à un avenir indéterminé ; et c’est à ce seul prix que l’insurrection a pu trouver l’appui de la bourgeoisie libérale et des staliniens.

Que demain le prolétariat français et les révoltés algériens se prononcent contre la France à De Gaulle et l’Algérie de Ferhat Abbas, alors l’insurrection algérienne deviendra la Révolution Socialiste et le combat des Algériens (qu’ils le livrent ou non par les armes), le combat tous les peuples pour leur indépendance véritable.

Mais une paix négociée entre bourgeoisies rivales (compte tenu d’ailleurs des possibilités d’émancipation sociale qu’elle découvrira, ne serait-ce qu’en mettant directement les masses en contact avec « leur » classe exploitante) ne fera, en elle-même, que livrer les Algériens à de nouveaux maîtres et à une illusion supplémentaire, illusion « plus creuse et plus mortelle qu’une autre », et plus difficile à dissiper, parce qu’édifiée dans le sang.

A l’heure où la névrose nationaliste semble trouver écho dans tous les partis ouvriers corrompus par le stalinisme ou l’intégration à l’Etat bourgeois, il est nécessaire d’affirmer sans relâche que seul l’internationalisme prolétarien peut apporter une solution véritable à la cause des colonisés, que toute solution nationaliste demeure rétrograde et contient en germe les véritables conflits entre les cadres bourgeois ou bureaucratiques du « Maghreb uni », et les masses arabes exploitées et asservies avec l’aide du capitalisme mondial.

Comme le déclarait le deuxième congrès de l’I.C. (1920) : « Il est nécessaire de dévoiler inlassablement… la duperie par les puissances impérialistes avec l’aide des classes privilégiées, dans les pays opprimés lesquels font semblant d’appeler à l’existence des Etats politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux aux points de vue économique, financier et militaire. »

Toute la vermine « pacifiste » qui sortira de sa tanière pour hurler de joie dès que De Gaulle aura mis fin à la guerre d’Algérie, ne nous fera pas oublier qu’ « il existe dans les pays opprimés deux mouvements qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste, qui a un programme d’indépendance politique et d’ordre bourgeois, l’autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres, pour leur émancipation de toute espèce d’exploitation… Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. » (2e congrès de l’I.C.).

Et Trotsky l’a réaffirmé dans « La Révolution Permanente » : « Non seulement la question agraire, mais aussi la question nationale assignent à la paysannerie, qui constitue l’immense majorité de la population des pays arriérés, un rôle primordial dans la révolution démocratique. Sans une alliance entre le prolétariat et la paysannerie, les tâches de la révolution démocratique ne peuvent pas être sérieusement posées. Mais l’alliance de ces deux classes ne se réalisera pas autrement que dans une lutte implacable contre l’influence de la bourgeoisie nationale libérale. »

Dans cette perspective on est évidemment amené à voir sous un tout autre jour les « nécessaires rapports » entre la France et l’Algérie « indépendante », en lesquels nos théoriciens de « gauche » mettent tous leurs espoirs paternalistes.

L’idée, foncièrement internationaliste, exprimée par le deuxième congrès de selon laquelle « les masses des pays arriérés… arriveront au communisme sans passer par les différents stades du développement capitaliste », mais ceci à la seule condition d’être « conduites par le prolétariat conscient des pays capitalistes développés », trouve tout son sens dans les thèses de la révolution permanente. « Un pays colonial ou serai-colonial dont le prolétariat n’est pas suffisamment préparé pour grouper autour de lui la paysannerie et pour conquérir le pouvoir est, par ce fait même, incapable de mener à bien sa révolution démocratique. Par contre, dans un pays ou le prolétariat arrivera au pouvoir à la suite d’une révolution démocratique, le sort futur de la dictature et du socialisme dépendra moins, en fin de compte, des forces de production nationale, que du développement de la révolution socialiste internationale ». Appliquée à ces pays, cette théorie signifie en d’autres termes que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et nationales libératrices n’est concevable que par la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée et, avant tout, de ses masses paysannes ».

C’est ici que Trotsky, prisonnier de l’exemple russe, ne peut résoudre de manière satisfaisante la question fondamentale de la révolution permanente, à savoir le « problème du passage de la révolution démocratique à la révolution socialiste ».

La contradiction, jadis dénoncée par Rosa Luxembourg, réside en ce que le pivot de la révolution nationale démocratique, la réforme agraire, « … non seulement… n’est pas une mesure socialiste, mais (elle) coupe le chemin qui y mène, (et) accumule, devant la transformation des conditions de l’agriculture dans le sens socialiste, des difficultés insurmontables ».

D’autant que « le résultat du partage de la terre n’est pas de supprimer, mais seulement d’accroître l’inégalité sociale au sein de ta paysannerie et d’y aggraver les oppositions de classes… toujours au détriment des intérêts socialistes et prolétariens ».

L’adoption du programme paysan de la révolution nationale démocratique ne peut donc être considérée comme une étape, mais comme une ruse « forcée » du prolétariat qui doit en éviter l’application radicale, comme constituant un obstacle majeur au développement de sa propre révolution.

Au contraire, dès son arrivée au pouvoir, il doit « prendre des mesures qui soient dans le sens (des) conditions préalables fondamentales pour une réforme socialiste ultérieure de l’agriculture ; il doit pour le moins éviter tout ce qui lui barrerait la route conduisant à ces mesures ».

La tâche immédiate d’un pouvoir prolétarien est donc, non de mener à bien, mais de transformer la révolution nationale démocratique en sa négation dialectique, la révolution socialiste, liée essentiellement à un éventuel « développement de la révolution socialiste internationale ». Les petits bourgeois « marxisants », qui bavent d’admiration devant le « réalisme » d’une collectivisation accélérée, effectuée au prix de sacrifices en tous points dignes de l’esclavagisme, ne voient plus qu’impossibilités et délire utopique quand le problème est posé dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien. Alors le « sous-développement » apparaît comme un obstacle insurmontable, cependant qu est niée, au profit d’une « élite » bourgeoise « progressiste », l’existence dans ces pays « archaïques », d’un noyau révolutionnaire capable de mener une action indépendante au sein des masses exploitées et s’orienter au besoin vers la prise du pouvoir.

Cette conception mécaniste de l’histoire, qui fait dépendre les solutions révolutionnaires uniquement de l’état des forces de production nationales ne tend à rien moins qu’à mettre sous le boisseau la lutte des classes pour promouvoir une politique d’union nationale, de front commun contre un impérialisme étranger supposé sans liens avec la bourgeoisie nationale. (Il est révélateur de voir l’abstraction « peuple » se substituer à la notion de classe, la chasse aux « ennemis du peuple » offrant toujours aux apprentis dictateurs prétexte à de séduisants amalgames.)

A l’opposé, la théorie de « la révolution permanente, au sens que Marx avait attribué à cette conception, signifie une révolution qui ne veut transiger avec aucune forme de domination de classe ne s’arrête pas au stade démocratique mais passe aux mesures socialistes et à la guerre contre la réaction extérieure, une révolution qui ne finit qu’avec la liquidation totale de la société de classes. » (L. Trotsky.)

Pareille vue n’est évidemment pas près d’être admise par les « penseurs » de la gauche française : quelle que soit la tendance de ces derniers, qui importe finalement assez peu, on peut dire qu’ils sont, aujourd’hui plus que jamais, mus par une haine commune de la « vieillerie marxiste », dont ils annoncent périodiquement, souvent sous l’hypocrite prétexte d’un « retour aux sources », le « dépassement », la « mise en question », « ouverture », etc. pour la plus grande joie des misérables écrivains à gages du P.C. Disons-le une fois pour toutes : nous n’avons rien de commun avec ces messieurs.

Entre la « libération nationale » et la Révolution mondiale, entre l’avènement de nouvelles formes étatiques « progressives » et l’émancipation immédiate des travailleurs par leur propre initiative, entre la conquête d’une patrie et la négation définitive de l’idée inhumaine de patrie, entre la création d’une culture nationale (3) et la prise de possession par l’homme de l’héritage spirituel qui est celui de l’humanité, un choix s’impose avec lequel aucun accommodement n’est possible.

C’est pourquoi nous avons voulu, ici et sans équivoque, prendre parti.

Louis JANOVER et Bernard PECHEUR.


(1) Rosa Luxembourg : « La Révolution russe ».

(2) « L’Ouvrier algérien », organe de l’U.G.T.A.

(3) En filigrane des luttes politiques et sociales, nous assistons aujourd’hui, sous le patronage des maîtres du « réalisme socialiste », à la « fabrication » d’une telle culture. Le marché littéraire est envahi par cette pseudo « poésie résistante » qui, à quelques heureuses exceptions près, au demeurant très discutables (« Complainte des mendiants de la Casbah », d’Aït Djafer) possède la même caractéristique fondamentale que sa sœur aînée française, à savoir la tentative d’exhumation de l’idée de patrie, jadis dénoncée par Benjamin Péret dans l’admirable « Déshonneur des Poètes ». Pour notre part, nous ne pouvons que souhaiter à ce nouveau courant de « poésie militante » de rejoindre, au « panier de l’Histoire », ses illustres prédécesseurs.

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