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Roberta : Meeting du F.U.A.

Article de Roberta paru dans La Vérité des travailleurs, n° 124, mars 1962, p. 4-5

Jusqu’alors, je n’avais jamais assisté à un meeting étudiant, les horaires de l’usine ne m’en laissant pas la possibilité. Mais je n’ignorais pas pour autant la part importante prise par le Quartier Latin dans la lutte contre la guerre d’Algérie et le fascisme, l’organisation de la riposte de l’université aux attentats et provocations, pour ne pas remonter à ce mémorable 27 octobre 1960, qui avait incontestablement contribué au « dégel » de l’opinion, et ouvert l’ère des manifestations de rues.

L’accueil glacial du P.C.F. à la ligue « d’intellectuels irresponsables qui prétendent régenter la lutte anti-fasciste et la dévoyer vers des ornières aventuristes » ne me surprit guère. Car on sait par expérience que si le P.C. peut accepter beaucoup de compromis — pas toujours des plus honorables — il ne supporte en aucune cas d’être « doublé à gauche », ne serait-ce qu’en paroles. Je n’ignorais pas non plus la répugnance du P.C. à la coordination des comités antifascistes ; c’est dire ma perplexité en constatant l’accueil favorable à un certain « Front Universitaire Anti-fasciste », coordonnant l’action des comités anti-fascistes.

J’aurais voulu en savoir plus à ce sujet que ce qu’en disait l’article de « l’Huma », et l’annonce d’un meeting à la Mutualité, provoqué par ce F.U.A. m’en donna l’occasion (seul un bienheureux hasard me permit d’ailleurs de découvrir le discret entrefilet — 3 petites lignes perdues – dans « l’Huma » du jeudi 22 février, annonçant le meeting pour le lendemain. Vendredi, je cherchai en vain le rappel de cette manifestation…)

Mon envie de voir « à quoi ça ressemble un meeting étudiant », ma curiosité à l’égard de ce F.U.A. firent que je me retrouvai donc à la Mutualité, ce vendredi-là, un peu dépaysé… Première surprise : un service d’ordre, juvénile mais consciencieux, contrôle mon porte-document, car je n’ai pu présenter à l’entrée une carte de l’U.N.E.F. — dont je ne fais pas partie, bien sûr. La salle est d’ailleurs sillonnée de jeunes gars au brassard rouge du F.U.A. qui s’affairent, gardent les issues, la tribune, etc… Aux accès de la salle, tout un échantillonnage de la presse de gauche, de « Tribune Socialiste » à « Clarté », « Vérité-Liberté ». etc… et évidemment la « V.T. ». Les rapports entre vendeurs semblent courtois, et même — surprise ! — amicaux.

La salle du bas est remplie aux trois-quarts, peut-être plus (évaluation du président : 1.500 personnes, ça parait assez juste), public jeune, très jeune parfois, bruyant avant la séance et soudainement attentif, parfois passionné quand les orateurs s’enflamment. Sous la présidence du jeune Marc-André Schwartz, une demi-douzaine de jeunes, représentant diverses facultés et grandes écoles et lycées se succéderont à la tribune, éclairant les questions de la guerre d’Algérie et de la lutte anti-fasciste sous des angles différents.

Le danger fasciste n’est sous-estimé par aucun, mais plusieurs orateurs insistent sur la complicité du pouvoir gaulliste, tirant la conclusion que l’ennemi réel, c’est en définitive ce régime, et qu’il convient donc de lutter contre lui. Moins nombreux ceux qui évoquèrent la perspective de son remplacement par un gouvernement réellement populaire.

La lutte du peuple algérien fut saluée chaleureusement par tous (le représentant des étudiants algériens recueillit une véritable ovation, la salle dressée unanimement). Le caractère révolutionnaire de sa lutte fut particulièrement mis en évidence par le représentant des lycées, dont l’intervention déchaîna l’enthousiasme. Les victimes de la répression (dont les quelques Français courageux, détenus pour leur solidarité active envers la révolution algérienne) furent associées dans un même hommage. Il fut déploré que les massacres d’Algériens du 17 octobre et des jours suivants n’aient pas entraîné la même protestation massive que la tuerie du 8 février.

L’organisation proprement dite de la lutte anti-fasciste fut au centre de plusieurs interventions, et le rôle du F.U.A. défini dans ce contexte. Tous se montrèrent d’accord pour estimer que l’annonce de la paix prochaine ne devait pas interrompre, ni même atténuer l’action des comités anti-fascistes. L’accent fut mis sur L’UNITE, enfin réalisée au Quartier Latin, au sein même du F.U.A. DANS L’ACTION ; cette action fut définie comme ne devant pas se limiter à la défensive (riposte aux attentats, dénonciation des fascistes), mais PRENDRE L’OFFENSIVE, pour détruire. physiquement si nécessaire, tous les embryons fascisants du Quartier Latin. Le problème de la « violence nécessaire » m’a semblé ne poser aucun problème. « Avec le fascisme, on ne discute pas, on l’écrase ». La conséquence naturelle de cette constatation : il faut s’ORGANISER EN GROUPES D’AUTO-DEFENSE, ne pas s’offrir en victimes, les bras nus, mais être prêts à la riposte, et ne tolérer aucun agissement fasciste. Ces thèmes constituèrent l’essentiel des interventions. Certes, un étudiant (médecine) s’inquiéta, en passant, des « droits » des minorités européennes, au lendemain de l’indépendance (au fait, quels sont ces « droits » ?), ce à quoi un autre étudiant répondit en remarquant que si les « garanties » aux minorités européennes sont prises à cœur dans certains milieux, y compris de la gauche française, on semble s’y soucier beaucoup moins d’exiger de semblables garanties pour les travailleurs algériens résidant en France.

On ne peut que déplorer le black-out total de la presse sur ce meeting ; « l’Humanité » ne publia pas le moindre compte-rendu (alors que la moindre réunion de quartier est montée en épingle…). Ceci confirme que, bien que jouissant d’un accord de principe tant du P.S.U. que du P.C. (dont les représentants ont d’ailleurs pris la parole au meeting, à titre d’invités) le F.U.A. est en fait, plus « toléré » qu’admis — tolérance imposée par son audience, sa capacité à mobiliser les étudiants anti-fascistes (et peut-être la crainte d’un éclatement spectaculaire à l’U.E.C., en cas de sabotage trop apparent du P.C.).

Cette réticence à l’égard du F.U.A. ne saurait nous étonner, car c’est la condamnation des thèmes opportunistes et légalistes du P.S.U. et du P.C.F.

J’ai retiré de cette réunion le sentiment encourageant que quelque chose est en train de changer dans la jeunesse, et qu’il ne sera pas facile de « canaliser » ce courant qui cherche sa voie en dehors des sentiers battus de l’opportunisme, dans la lutte.

ROBERTA.

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