Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 86, septembre-octobre 1967, p. 22
FILM DE PETER WATKINS AVEC PAUL JONES ET JEAN SHRIMPTON.
« Un film qui se situe en Angleterre en 1970. On va croire que c’est un film gentil, aimable et amusant parce que c’est un film sur les chanteurs yéyé, mais là encore j’ai essayé de montrer le conformisme d’une nation entière, d’une civilisation qui est l’esclave des loisirs, des distractions, des vedettes publicitaires qu’on lui a imposés et dont tout le comportement moral et social est déterminé par l’extérieur, par des gouvernements qui sont les maîtres de cet univers endormi.
Au début du film, le grand chanteur qui en est le héros, a un personnage et un répertoire d’une grande violence, et ses apparitions permettent à la jeunesse de se défouler. Mais les patrons qui le manipulent décident un jour d’en faire l’instrument d’une nouvelle croisade pour l’unité de la nation autour de l’Église, et le voilà devenu une sorte d’idole bénie qui chante la bonne parole. Tout le film est une sorte de cauchemar qui montre le formidable engourdissement des gens à l’heure actuelle. C’est ça pour moi avant tout le cinéma ; une machine à réveiller les gens ».
On peut douter, comme Watkins lui-même le dit d’ailleurs, que le cinéma puisse être une machine à réveiller les gens ; on ne peut qu’adhérer pleinement à cette volonté de démystification, à cette colère de Watkins contre le conformisme ambiant.
Dans « Privilège », le chanteur sert d’abord à canaliser la violence des jeunes, qui se détournent ainsi de la rue et de la politique. Plus tard, lorsque le succès du chanteur Stève est assuré, il est transformé en apôtre du conformisme moral avec la bénédiction de l’Église. En fait, tout au long de cette trajectoire ce sont les financiers qui tirent les ficelles, avec le profit comme unique mobile et qui manipulent ainsi le chanteur et le public. Avec la découverte de l’amour, Stève trouve le courage de crier sa haine pour ses fans comme pour ses maîtres. En une nuit sa popularité disparaît. Tout le monde le rejette.
On est cependant en droit de croire que la volonté affirmée du réalisateur de faire une sorte de « social-fiction », la caricature, à gros traits, l’invraisemblance des situations comme des caractères, l’image choc ne nuisent au propos initial du réalisateur. Pas un instant on arrive à croire que cette chiffe molle qu’est Stève soit capable d’une prise de conscience aussi nette et de sa révolte finale. L’amalgame réalisé entre le yéyé, l’Église et le nazisme dans cette scène grandiose où Stève chante son repentir sur un stade, en présence des foules anesthésiées, dans un décorum évoquant les manifestations nazies, est difficilement acceptable. Bien sûr l’important est ailleurs : c’est la description du processus d’aliénation des foules et du chanteur qui ne trouvent une catharsis que dans des activités sans danger pour l’ordre régnant, et qui sont manipulés par des businessmen âpres au gain. Mais de telles vraisemblances conduisent tout droit à critiquer et à refuser le message en bloc, c’est dommage ! Le tort principal de Watkins est de ne pas avoir choisi la voie du réalisme critique qui ne lui aurait pas permis des effets aussi percutants, mais certainement plus efficaces. Que l’on songe qu’un court métrage comme « Lonely boy » sur Paul Anka est infiniment plus révélateur et plus effarant quant au comportement des jeunes spectateurs face à leur idole, et il n’y a aucune thèse ! Les figurants peu enthousiastes de Watkins ont triste mine face à la réalité.
Film sympathique donc, mais qui me paraît bien plus discutable que ses prédécesseurs, « plus dure sera la chute » de Robson (sur la boxe), « le moment de la vérité » de Rosi (sur le torero) ou « This sporting life » d’Anderson (comment on fabrique un rugbyman).