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H. Duparc : Après le cessez-le-feu

Article de H. Duparc paru dans La Vérité des travailleurs, n° 124, mars 1962, p. 2-4

Le cessez-le-feu est maintenant proche. Une première phase de la lutte armée s’achève par la conquête de l’indépendance de l’Algérie.

Quelle que soit la procédure suivie et la durée de la phase transitoire, c’est maintenant un fait acquis. C’EST UNE GRANDE VICTOIRE DE LA REVOLUTION ALGERIENNE.

La mission de de Gaulle est maintenant de faire « avaler la couleuvre » au pays. Malgré son souci de faire en sorte que « cette douloureuse épreuve se termine de façon humaine, honorable et digne pour la France », il lui sera difficile de transformer la défaite en victoire. Les faits sont têtus. Malgré ses efforts de persuader l’armée qu’elle est victorieuse sur le terrain, et les Européens qu’ils ont toutes garanties, il aura beaucoup de difficultés à faire entendre raison aux uns et aux autres contraints de transporter leurs « pénates » en France.

Il s’agit, bien sûr, d’une paix de compromis dont beaucoup d’éléments constituent une menace pour le développement de la révolution algérienne (troupes et bases françaises dont le mouvement ouvrier français doit exiger l’évacuation immédiate) Après plus de sept ans d’une guerre atroce dont le peuple algérien a subi tout le poids quasiment seul, il serait malséant de reprocher quoi que ce soit au F.L.N.

C’est dans l’hostilité, l’indifférence, la passivité du peuple français à l’égard de la révolution algérienne, dans son impuissance à surmonter l’effroyable carence du P.C.F. et la trahison de la S.F.I.O. qu’il faut chercher les raisons au fait que ce compromis ne soit pas plus favorable au peuple algérien.

Une victoire totale de ce dernier n’eût été possible que si le mouvement ouvrier français s’était considéré solidaire de la révolution et aurait lié son action organique avec la lutte du F.L.N.

Cette paix sera d’ailleurs le thème principal de la propagande gouvernementale pour redorer la popularité de De Gaulle. C’est l’éternelle histoire des patrons contraints de lâcher quelques miettes en 1936 et qui s’en vont partout en Europe clamer la supériorité des avantages sociaux en France.

La victoire des Algériens se mesure aux nombreux ralliements. Le plus notable et déjà prévisible depuis novembre 1960, celui de Thorez. Sans pudeur et sans retenu il n’hésite même pas à revendiquer les militants emprisonnés (en taisant les mesures d’exclusions prises contre certains). Il fait référence à l’esprit internationaliste pour proclamer que le P.C.F. a été « solidaire de ses frères algériens au combat » (Sorgues-sur-Louveze, 25-2-62), esprit, il est vrai, mis au service de la défense des intérêts de la France.

Un autre ralliement : Mendès-France. Ce dernier oublie qu’il était chef du gouvernement au 1er novembre 1954 de triste mémoire, à l’époque où, lui aussi, croyait que l’Algérie c’est la France. Il est acquis, lui aussi, à la cause de l’indépendance algérienne encore que son enthousiasme soit mitigé en raison des « impatiences, parfois aussi des imprudences des jeunes nationalismes » (Rennes, février 1962).

Bref, la paix c’est leur œuvre à tous et la confirmation de leur politique.

Ce sera le thème de la campagne électorale à venir, de l’U.N.R. au P.C.F. : cette mouture d’union nationale dont on peut trouver les prémisses dans le vote des pouvoirs spéciaux du 12 mars 1956 (même unanimité) fera sans doute rêver Garaudy.

Un fait a balayé toutes les prévisions : la résistance héroïque et l’acharnement de la révolution algérienne surmontant toutes les manœuvres.

La première conclusion est qu’il est maintenant trop tard pour que le régime sorte consolidé de l’épreuve du cessez-le-feu. C’est la rançon de cette trop longue attente de De Gaulle mettant près de quatre ans à franchir le cap de l’Algérie française et de la paix des braves, à l’indépendance d’aujourd’hui.

La Ve République n’évitera pas plus que les précédentes les états de crise. Premièrement, parce que la classe ouvrière a surmonté l’état d’abattement où l’avait précipité la défaite de 1958.

Deuxièmement, parce qu’à l’extrême-droite, au sein de l’appareil d’état, de l’armée et d’une partie des groupements de la droite traditionnelle, une force, l’O.A.S., s’est constituée qui postule à la succession de De Gaulle.

LES PERSPECTIVES DE L’O.A.S.

La victoire des Algériens ne peut manquer d’avoir des incidences importantes sur le comportement des tenants de l’Algérie française quand même.

De la proclamation du cessez-le-feu au scrutin d’auto-détermination s’ouvre une période transitoire dans laquelle les deux armées (française et A.L.N.) resteront sur pied de guerre.

C’est sur l’exécutif provisoire disposant d’une force locale que reposera la tâche essentielle de « maintenir l’ordre » au cours de cette période. Cet exécutif, comme la force locale, seront entièrement dominés par l’Algérie indépendante naissante. Leur avenir est conditionné par leur comportement à l’égard du F.L.N., la future dominante de la situation. Ce facteur va peser très lourdement dans la bataille contre les ultras.

Ce « sens de l’histoire » va également peser très lourd dans la minorité européenne. Aucun espoir n’est plus permis d’échapper à cette inéluctabilité de l’indépendance. Une ligne de partage parmi les pieds-noirs va s’ensuivre et la décantation s’opérer. Combien de pieds-noirs sont, aujourd’hui, décidés à se suicider pour la cause perdue de l’Algérie française ? La réponse à cette question influera sur le rythme du processus de « dégagement » mais ne peut, en tout état de cause, tout remettre en question.

C’est pourquoi les perspectives de l’O.A.S., de ses dirigeants surtout, sont davantage inspirées par leur avenir en France.

Le retour d’une grande partie des Européens et d’une armée frustrée de sa victoire vont poser les termes de la constitution d’un courant pour un fascisme en France disposant pour la première fois depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, d’une certaine base de masse. Nous ne sommes évidemment pas à la veille de 1933 en Allemagne. D’autres conditions sont nécessaires pour un tel déferlement dont un des facteurs défavorables, et il n’est pas des moindres, est constitué par l’inexistence d’un chômage et d’une situation économique encore relativement peu inquiétante, au moins dans l’immédiat.

LE MOUVEMENT OUVRIER

Nous avons dit, plus haut, qu’il est sorti du « trou noir » de 1958-59. Cette réanimation est, dans une grande mesure, conditionnée par la résistance prolongée du peuple algérien dont l’action a culminé à Paris même, le 17 octobre 1961. Elle fut aussi largement influencée par les actions d’avant-garde de jeunes et d’intellectuels. Sans les actions des réseaux d’aide au F.L.N., des 121, des insoumis et déserteurs, sans les manifestations des Algériens, sans la réaction spontanée et salutaire des masses consécutive aux attentats de l’O.A.S., qu’en aurait-il été des manifestations du 27 octobre 1960 et de celles du 1er novembre au 8 février dont le million de Parisiens présents aux obsèques du 13 février marque le sommet ?

La part d’initiative des directions ouvrières y est très minime.

La direction du P.C.F., déterminante pour le mouvement de masse, a été contrainte d’infléchir sa ligne sur la guerre d’Algérie, accentuer son opposition à de Gaulle, procéder à une mobilisation limitée de la classe ouvrière. Mais son refus de lier l’action des niasses à la Révolution algérienne, comme son refus d’ouvrir une perspective révolutionnaire et socialiste pour le renversement du régime gaulliste freinent la maturation de la classe ouvrière.

Le 13 février, contre la volonté des directions nationales SFIO, FO et CFTC, le PCF et la CGT ont réussi à entraîner un million de personnes.

Mais les limites comme les potentialités de la situation sont tracées par ce que nous avons vu ce jour-là : un front unique à la base, mais un front unique du silence et de la dignité. Une retombée du mouvement de masse s’en est suivie comme au lendemain du 27 octobre 1960.

Le P.C.F. est aujourd’hui lancé dans la bataille du respect des accords, nouvelle ligne stratégique de la Gauche française respectueuse, comme l’était naguère la bataille de la négociation. Comme la S.F.I.O., avec le P.S.U. et P.M.F., c’est l’affirmation de la solidarité des « intérêts nationaux », de la « communauté nationale », c’est l’alignement et l’acceptation du compromis conclu par de Gaulle. C’est encore une fois poser les termes de politique de façon statique, comme si les masses algériennes n’allaient pas tenter, dans la vie et au-delà des textes de l’accord, de pousser plus loin les positions de la Révolution algérienne. Cette adaptation à l’immobilisme maintenant de tradition va peser sur la crise future du P.C.F. Pour l’instant, le succès du 13 février consolide la position de la direction Thorez. Le parti recrute et ce facteur joint à l’activisme électoral des prochains mois va jouer dans le sens d’une atténuation de la crise. Les prolongements du 13 février se mesureront dans quelques mois. Comme le 28 mai 1958, chant du cygne de la IVe République, le 13 février prépare le Réveil des critiques

LE REGIME

Cette nouvelle pause des directions ouvrières jointe à la faiblesse relative du fascisme français expliquent la stabilité relative du pouvoir bonapartiste. Les ministres changent mais Debré et de Gaulle restent. Parce que le pouvoir n’est pas encore confronté, dans l’immédiat, avec le danger de son renversement, parce qu’il devra, de toutes façons, maitriser les effets désagrégateurs de la défaite, il lui faudra renforcer les traits répressifs au détriment de ses traits paternalistes. Le 8 février est à cet égard symptomatique.

Si ce durcissement du régime s’avérait insuffisant pour arrêter le réveil du mouvement ouvrier, si aucune autre combinaison telle le remplacement éventuel de Debré et la recherche d’une assise plus large du régime vers une Union Nationale type Pinay-Mollet, voire même une opération P.M.F. ne permettait une stabilisation, la bourgeoisie pourrait alors subir la tentation de l’O.A.S. De Gaulle serait mis en question.

C’est cette situation que le mouvement ouvrier doit affronter.

LES PERSPECTIVES ET LES TACHES

Toutes les forces en présence (G.P.R.A. de Gaulle – O.A.S.) s’appuient sur leurs armes pour régler leurs problèmes.

Face aux brutalités policières du 8 février, des jeunes ouvriers et étudiants se sont spontanément retournés contre les forces de maintien de l’ordre malgré les appels au calme.

Les jeunes étudiants du Front Universitaire antifasciste montrent également sur le pavé de Paris comment la lutte physique contre les fascistes doit être entamée. Ce sont les traits dominants de la situation. Les problèmes du Front Unique sont extraordinairement compliqués. La voie de l’action semble plus simple.

IL FAUT DONC S’Y ENGAGER RESOLUMENT

La lutte contre le fascisme est physique. Elle doit opposer la violence des masses à celle de l’O.A.S., celle du pouvoir gaulliste. Manifestations et grèves sont insuffisantes. La question de l’armement des travailleurs est posée. Les ouvriers commencent à être acquis à l’idée de s’armer. C’est pourquoi les comités antifascistes doivent répercuter cette exigence dont s’inspireront les militants marxistes-révolutionnaires.

Sous la bannière de la lutte anti-O.A.S. ils exigeront la réalisation de la lutte en commun avec les combattants algériens, pointe avancée de la révolution, du Front Unique de leurs comités anti-fascistes et du F.L.N. Pour cela, il est nécessaire de fraterniser avec nos frères algériens.

En France, la libération des 30.000 détenus algériens est une exigence et un besoin. Leur protection contre les menaces d’assassinat en est une autre.

Dans le camp impérialiste, le camp français, les travailleurs œuvrent pour faciliter la tâche à la révolution algérienne. C’est notre ligne stratégique. Elle passe par le rapatriement du corps expéditionnaire, par l’indépendance inconditionnelle de l’Algérie.

le 13 mars 1962

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