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Henri Pouget : Les accords d’Evian

Editorial d’Henri Pouget dit Henri Claude paru dans Economie et politique, n° 93, avril 1962, p. 2-8

La signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, et leur mise en application, ont été considérées, à juste titre, comme une grande victoire du peuple algérien, comme une victoire de la classe ouvrière, du peuple français et des forces de paix dans le monde, comme une grave défaite du système impérialiste français. C’est sur ce dernier point que nous voudrions insister.

Ce qui est à souligner tout d’abord et qui est d’une grande importance pour situer les responsabilités dans la prolongation de la guerre, c’est que cette défaite ne concerne pas seulement une fraction du capitalisme français, le colonialisme agraire, mais le capitalisme industriel et bancaire, les groupes dominants du capital financier. Si le colonialisme agraire, qui ne pouvait survivre dans un Etat algérien indépendant, était plus particulièrement intéressé à maintenir l’Algérie sous la domination politique de la bourgeoisie française, le capital financier propriétaire des mines, du pétrole et du gaz ne l’était pas moins. Commentant en 1957 l’« ampleur de la partie qui se jouait dans les sables du Sahara », l’hebdomadaire financier, « La Vie Française », écrivait que l’Algérie était « la première intéressée » et concluait « il parait inutile de démontrer la nécessité impérieuse de conserver — face aux convoitises et au défaitisme — cette tête de pont si nous voulons tirer parti de notre capital pétrolier » (1). En novembre 1959, un autre représentant du grand capital, M. Dupin, président de l’Aluminium français et vice-président de Péchiney qui préside le groupe de travail « Algérie » au Conseil National du Patronat français déclarait « Le Patronat français ne saurait envisager que l’Algérie soit séparée de la France » (2).

L’Algérie était en effet pour l’impérialisme français une tête de pont d’une importance capitale, d’un triple point de vue : politique, militaire et économique. Conserver ce bastion qui commandait l’Afrique du Nord et le Sahara dans lesquels il détenait par ses investissements de capitaux une position dominante constituait pour l’impérialisme français un impératif catégorique.

« Nous avons, disait Debré à l’Assemblée Nationale au mois d’octobre 1959, en Méditerranée, en Afrique du Nord, au Sahara, des intérêts à ce point fondamentaux que leur respect est une condition de l’avenir national. Intérêts stratégiques, intérêts économiques ; il n’est pas possible d’accepter que la Méditerranée devienne, dans sa partie occidentale, une mer menaçante créant à la France une nouvelle frontière découverte vers le sud : il n’est pas possible de considérer que l’effort inouï accompli d’une manière solitaire depuis des années par la France, ses gouvernements, ses hommes pour tirer du Sahara des richesses destinées à transformer notre économie, celle de l’Afrique du Nord, celle des Etats de la Communauté, puisque demain être remis en cause » (1).

Ainsi s’explique qu’il ait fallu plus de sept années de guerre, l’appui de toutes les forces démocratiques mondiales. au peuple algérien pour qu’il obtienne ce que le premier manifeste du F.LN. réclamait le 1er novembre 1954 : « la reconnaissance de la nationalité algérienne et de la souveraineté algérienne une et indivisible ». Aux raisons stratégiques évidentes pour lesquelles le capital financier français s’opposait à l’indépendance de l’Algérie s’ajoutait un certain nombre de raisons économiques qu’il importe de préciser pour mesurer l’importance du recul effectué par l’impérialisme français et pour connaitre et apprécier les contradictions qui subsistent en Algérie après le cessez-le-feu, afin que la vigilance des forces de paix ne se relâche pas.

La première de ces raisons tient à la faiblesse relative de l’impérialisme français qui n’a pu entreprendre avec ses seules forces l’exploitation des richesses énergétiques du Sahara à cause de l’insuffisance de ses ressources financières et de l’étroitesse de son propre marché. Il a été par conséquent obligé d’associer à ses entreprises d’autres groupes capitalistes qui lui apportent à la fois des capitaux et des débouchés. C’est ainsi que pour l’extraction du pétrole saharien, la part du capital « étranger » , d’après le ministre des Finances, dans les sociétés de recherche exerçant leurs activités au Sahara, atteignait 40,6 millions de NF sur 164,5, soit 21 % du capital ; la part « étrangère » dépassant 49 % dans huit cas. Au 1er octobre 1961, vingt-huit sociétés « étrangères », toujours d’après la même source, avaient reçu des autorisations de prospection dans le cadre d’accords « joint venture », avec des compagnies françaises ; parmi elles, on décomptait 13 sociétés à capitaux américains, 6 à capitaux italiens, 3 à capitaux allemands, 1 à capitaux suisses (1). Cela en plus des sociétés communes constituées avec des capitaux anglais et américains. Il en a été de même pour le transport et le raffinage de ce pétrole. L’achat et la pose des tubes qui amènent le naphte d’Hassi Messaoud à Bougie ont été financés en partie par un prêt de 50 millions de dollars dont la moitié a été fournie par la Banque Lazard de New-York. La raffinerie d’Alger qui doit commencer sa production en 1962 appartient à une société dans laquelle la Compagnie française des pétroles possède seul-ment 31,13 % du capital, le reste étant aux mains des groupes anglais (Shell et British Petroleum) et américains (Standard Oil et Mobil Oil). La conduite de pétrole qui va mener le pétrole saharien débarqué à Lavera, de l’étang de Berre à Strasbourg et Carlsrühe, pour alimenter les marchés de l’est de la France et de la Bavière, va être construite et exploitée par un consortium qui rassemble autour de trois sociétés françaises, une société hollandaise, une société belge, deux sociétés anglaises, quatre société américaines et quatre allemandes.

La conséquence de tout cela c’est que, pour pouvoir traiter d’égal à égal avec les autres groupes capitalistes et ne pas être réduit à la portion congrue dans le partage des profits, le capital financier français était poussé à maintenir sous une forme ou sous une autre le peuple algérien dans son obédience politique.

La deuxième raison et la plus importante qui poussait le capital financier français à s’opposer à l’indépendance politique de l’Algérie, c’était la contradiction entre ses intérêts et l’intérêt national du peuple algérien, contradiction que l’existence d’un Etat national algérien mettrait au grand jour.

Le problème crucial que le peuple algérien devra affronter une fois sa libération politique conquise, est celui de son développement économique, c’est-à-dire de son industrialisation. Or cet impératif national se heurte aux intérêts des monopoles cosmopolites déjà installés ou en voie d’installation en Algérie.

Si, pour des mobiles surtout politiques, mais aussi économiques, ceux-ci envisageaient une certain industrialisation de l’Algérie (plan de Constantine), cette industrialisation se situait dans des limites étroites fixées par les nécessités du profit capitaliste. Les monopoles miniers et pétroliers sont en effet opposés à une industrialisation poussée de l’Algérie. Pour plusieurs raisons.

Ils veulent d’abord pouvoir maintenir une forte immigration algérienne en France, immigration qui met à leur disposition une main-d’œuvre, à bas prix confinée dans les travaux les plus durs, les plus insalubres et les moins qualifiés. L’existence de ce prolétariat étranger surexploité au milieu du prolétariat français est un élément très important du maintien de leur domination sur la classe ouvrière et le peuple français : élément qui disparaîtrait si cette main-d’œuvre trouvait un emploi en Algérie.

Ensuite, ils ne veulent pas financer la création d’industries qui concurrenceraient leurs entreprises métropolitaines. Et ceci ne vaut pas seulement pour l’industrie de transformation. Bien que les bases matérielles d’une puissante industrie sidérurgique et chimique existent en Algérie, puisqu’on y trouve du gaz, du pétrole, du minerai de fer et des phosphates en abondance, le capital financier français est peu disposé à s’engager dans cette voie parce qu’il a déjà investi des capitaux considérables dans l’usine sidérurgique de Dunkerque prévue pour produire quatre millions de tonnes d’acier, dans les usines chimiques créées autour de Lacq et dans les complexes pétrochimiques de l’étang de Berre et de la Basse-Seine. Aussi, au lieu d’utiliser sur place le minerai de fer de l’Ouenza et le gaz d’Hassi R’mel, préfèrent-ils les exporter. En 1960, la Compagnie de l’Ouenza a ainsi exporté 2.902.182 tonnes de minerai qui sont allés pour la plus grande part en Angleterre et en Allemagne. Cette compagnie a pour cela été très réticente lorsqu’il s’est agi de construire l’usine sidérurgique de Bône et n’a fini par s’y associer qu’à la condition d’y pouvoir écouler le minerai non exportable (5).

De même les groupes sidérurgiques métropolitains n’ont consenti a la construction de l’aciérie de Bône qu’a certaines conditions : la capacité de production serait limitée A 500.000 tonnes et ils auraient la direction de la Société Bônoise de Sidérurgie (6), et surtout l’Etat français verserait une partie des fonds et garantirait les investissements privés (7).

Quant au gaz d’Hassi R’mel, les compagnies exploitantes ne se posent pas la question de savoir comment il pourrait être utilisé au maximum en Algérie; pour elles le problème est de savoir s’il est préférable de l’évacuer par une conduite de gaz qui traverserait la Méditerranée et l’Espagne pour aboutir dans la Ruhr, ou de l’exporter sous forme de méthane liquéfié transporté par bateaux en Angleterre et en Europe occidentale (8). A aucun moment, dans ces calculs, l’intérêt du peuple algérien n’est entré en considération.

Il est évident qu’il n’en irait pas de même avec un Etat algérien réellement indépendant dirigé par des hommes exprimant les intérêts du peuple algérien tout entier.

Ainsi s’expliquent les efforts opiniâtres du pouvoir gaulliste qui ont prolongé la guerre pendant près de quatre ans pour empêcher le peuple algérien d’accéder à une véritable indépendance et ses tentatives successives de trouver au problème algérien une autre issue que celle de l’indépendance : ce fut d’abord l’« Algérie française », puis la conception de l’« Algérie algérienne associée à la France » les projets de regroupement des Algériens d’origine européenne et la partition de l’Algérie, la tentative ultime de détacher le Sahara de l’Algérie.

Au moment où les compagnies pétrolières Creps et Cie des Pétroles d’Algérie transféraient leurs sièges d’Alger à In Amenès et Ouargla, en prévision d’une séparation du Sahara de l’Algérie, en mars 1961, de Gaulle « se montrait très ferme sur sa volonté de ne pas laisser mettre en cause la souveraineté politique de la France au Sahara » (9).

A la veille de la signature des accords d’Evian, en janvier-février 1962, la Vie Française faisait encore campagne pour la « partition ». Le fait que de Gaulle ait été finalement obligé en mars 1962 de reconnaître à l’Algérie la qualité d’Etat souverain et indépendant, l’intangibilité de ses frontières et l’intégrité de son territoire, montre l’étendue du recul auquel a été contraint l’impérialisme français et l’ampleur de la défaite qu’il vient de subir.

Le peuple algérien ne doit donc son indépendance et le peuple français ne doit la fin de la guerre contre le peuple algérien qu’à l’action qu’ils ont menée l’un et l’autre. Ils ne doivent à aucun moment par conséquent verser dans l’illusion que la signature des accords d’Evian suffit a leur assurer la paix et l’indépendance. L’indépendance et la paix, ils ne les doivent et ne les devront qu’a eux-mêmes. Telle est la vérité historique que ne doit pas cacher le fait que les intérêts pétroliers aient conclu les accords d’Evian et se soient heurtés à l’opposition du capitalisme agraire. Opposition, qu’ils essaient d’utiliser aujourd’hui devant l’opinion publique afin de passer pour des partisans de la décolonisation et de la paix. Mais les contradictions qui se sont développées au sein de la bourgeoisie française ne peuvent, en aucune façon, éluder leurs responsabilités. Sans la lutte héroïque du peuple algérien pour l’indépendance, ils seraient toujours partisans de l’« Algérie française ».

Le compromis (10) devenait inévitable à partir du moment où s’avérait impossible de vaincre militairement le F.L.N., et de trouver une base de masse parmi la population musulmane pour soutenir un Etat algérien doté d’une certaine autonomie, mais soumis politiquement la France ; à partir du moment où il s’avérait que la « troisième voie » entre l’intégration de l’Algérie à la France et la création d’un Etat national indépendant était une voie sans issue.

Poursuivre la guerre dans ces conditions et laisser le problème algérien sans solution, devenait dangereux pour les intérêts mêmes du capital financier qui risquait de perdre les chances qu’il gardait encore d’exploiter le pétrole saharien, et pour l’existence même du régime gaulliste, étant donné la protestation grandissante du peuple français. L’échec du « plan Challe » (1959-60) et de la politique de « pacification », les puissantes manifestations de masse qui se sont produites en Algérie en décembre 1960 et qui ont prouvé l’autorité du G.P.R.A. sur l’ensemble des Algériens ; la faillite du Plan de Constantine, complément du plan Challe dans le domaine économique (11), ont contraint de Gaulle à envoyer Pompidou, le directeur de la Banque Rothschild en Suisse, reprendre contact avec le G.P.R.A. (20-22 février 1961) ; ensuite, après avoir échoué dans sa tentative d’imposer des conditions inadmissibles (première conférence d’Evian, 20 mai-13 juin 1961 et de Lugrin, 20-28 juillet 1961, il devra reprendre la négociation à l’automne de 1961 dans des contacts secrets puis officiels (10 février 1962 à la frontière suisse) et Evian (7-18 mars) et reconnaître finalement ce qu ’il s’était jusque là refusé d ’admettre : l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’unité politique de la nation algérienne.

Les puissantes manifestations populaires qui se sont déroulées à Paris et dans toute la France depuis novembre 1961 et qui ont culminé dans la démonstration de masse du 13 février 1962 ont précipité le décrochage. C’est finalement ce qu’a dû reconnaître Debré :

« Du fait de cette communauté (la communauté de souche européenne), du fait de ses intérêts, du fait aussi des nombreux musulmans attachés à la France, nous avions gardé l’espoir de maintenir, avec les transformations nécessaires et qui étaient profondes, l’Algérie dans le cadre de la République. La prolongation de la rébellion, la prise de conscience de sa personnalité, notamment par la jeunesse musulmane, ont imposé un réexamen ». (Discours prononcé à Loches le 1er avril 1962.)

Les monopoles auront beau essayer de faire passer pour le fruit d’une politique décolonisatrice délibérée le « réexamen » qu ’ils ont été contraints d’opérer à leur corps défendant ; et pour un don de leur part ce qui leur a été arraché par la force, ils ne parviendront pas à modifier la réalité des choses. Et la vérité objective c’est que l’application des accords d’Evian marque le début d’une nouvelle phase de la crise du système de domination impérialiste en Afrique : une époque du colonialisme est définitivement révolue, celle de l’aliénation totale des peuples soumis ; une autre commence qui sera la dernière étape d ’une crise commencée en octobre 1917 ; dans cette phase où l’aliénation politique a pris fin mais où l’aliénation économique subsiste, les monopoles s’efforceront de garder leur mainmise sur les richesses et les marchés des pays qui viennent d’accéder à l’indépendance politique. La contradiction principale dans ces pays opposera les intérêts des monopoles étrangers aux intérêts nationaux des populations : et en Algérie l’intérêt du peuple tout entier y compris les Algériens de souche européenne non colonialistes, aux monopoles capitalistes français. Dans le cours de l’évolution historique, Evian marque ainsi le début de la phase de reflux final où l’impérialisme français sera chassé définitivement de l’Afrique. Cette perspective (qui découle du contenu de l’époque présente) permet d’apprécier l’ampleur de la défaite subie par la grande bourgeoisie française et qui a été, de manière plus ou moins confuse mais profondément, ressentie par ses représentants à l’Assemblée nationale. Car à Evian, les cercles dirigeants de l’impérialisme français ont été contraints — après s’y être solennellement refusé pendant plus de sept ans — de traiter non pas comme il l’avaient voulu avec un Houphouet Boigny ou un Fulbert Youlou, mais avec un mouvement populaire, national et révolutionnaire, qu ’ils ont été obligés de reconnaître comme le futur gouvernement du nouvel Etat. Et leur crainte c’est que l’Algérie ne devienne un nouveau Cuba. « L’Algérie de demain, gémit Fabre-Luce, risque de ressembler à un Cuba où un Fidel Castro se ferait financer par les Etats-Unis » (12). A Evian, les forces antagonistes de la nouvelle phase de l’impérialisme, celles de l’émancipation définitive qui mettront fin à l’aliénation économique et celles du néo-colonialisme, se sont ouvertement trouvées face à face et ont conclu un compromis sur la base du rapport des forces actuel, compromis qui est à l’avantage incontestablement du mouvement national algérien, mais qui n’est qu’une étape vers l’indépendance réelle.

« Tout en permettant à notre peuple d’arracher sa revendication politique principale, déclare le Parti communiste algérien (13), les accords d’Evian ne donnent pas satisfaction immédiatement à la totalité de nos aspirations.

» L’indépendance qui en découle n’est pas totale. L’impérialisme français conserve encore sur notre sol des positions stratégiques : bases militaires à Mers-El-Kébir et dans le sud du pays ; notre peuple sait très bien que ces bases sont destinées à servir les desseins agressifs et impérialistes des gouvernants français et de l’O.T.A.N. contre les pays frères et amis, africains et socialistes, et qu’en cas de guerre mondiale elles constitueraient une menace mortelle pour la vie de la nation.

» Le gouvernement français conserve également, au profit des grands monopoles qu ’il représente, des positions économiques importantes, notamment dans l’exploitation des richesses de notre sous-sol, et des privilèges financiers. Il dresse des obstacles pour retarder et pour limiter une profonde réforme agraire, besoin vital pour notre pays et pour notre paysannerie, dont elle est l’aspiration profonde.

» Enfin, les impérialistes français espèrent utiliser la minorité européenne comme moyen de pression politique au sein de l’Algérie libérée.

» Le P.C.A. a conscience des entraves ainsi dressées pour freiner notre développement politique et économique indépendant. »

Mais parce qu ’ils sont une étape décisive vers la paix et vers l’indépendance totale, le peuple français et le peuple algérien doivent imposer au gouvernement français l’application loyale des accords d’Evian et ne relâcher ni leur vigilance ni leur action.

Les luttes menées par chacun des deux peuples n’ont d’ailleurs pas fini de converger : il s’agit aujourd’hui pour l’un et pour l’autre d’exterminer l’O.A.S., de barrer la route au fascisme, et d’empêcher le sabotage des accords d’Evian. Par la suite la lutte de la classe ouvrière et du peuple français contre le capitalisme monopoliste d’Etat et la lutte du peuple algérien contre la domination économique d’un capitalisme étranger s’exerceront contre le même adversaire : les groupes monopolistes qui exploitent les richesses et les hommes des deux côtés de la Méditerranée. En France, la lutte pour l’instauration d’une démocratie rénovée et la nationalisation des monopoles de fait apportera une aide particuliérement précieuse au peuple algérien. En prenant en mains son destin, en limitant les empiètements de l’impérialisme français, en s’engageant dans la voie d ’un développement éconimique national qui conduira inévitablement à l’éviction des monopoles étrangers, le peuple algérien de son côté facilitera la lutte du peuple français pour la démocratie et le socialisme.

La fin de la guerre d’Algérie et la constitution d’un Etat national algérien indépendant et souverain marqueront déjà par elles-mêmes un pas important dans cette voie. En dépit des efforts et des manœuvres du pouvoir gaulliste dont l’activité essentielle consiste à tenter d’empêcher que la défaite subie par les monopoles français en Algérie ne se répercute sur le plan intérieur. Par sa façon de présenter les accords d’Evian et par la forme et le contenu qu ’il a voulu donner au référendum du 8 avril, le général De Gaulle vient de montrer à nouveau quel rôle lui-même et son régime jouent au service des monopoles. Une des raisons d’être principales, aux yeux de la grande bourgeoisie française, de l’instauration du régime gaulliste en 1958 avait été de lui permettre de traverser sans catastrophe la crise de son système de domination coloniale ; de surmonter les contradictions que provoquait en son sein l’impossibilité de maintenir l’ancien état de choses et surtout d ’éviter que le mouvement ouvrier français ne soit le bénéficiaire principal des succès que pourrait remporter le mouvement d ’émancipation des peuples africains.

Elle n’ignorait pas que tout recul de sa part sur le plan des rapports de domination colonialiste en Afrique était par lui-même une victoire des forces démocratiques en France ; toute défaite des éléments les plus rétrogrades, un succès de la classe ouvrière française qui, guidée par son Parti communiste, ne restait pas à l’écart des conflits qui divisaient la bourgeoisie sur la manière de poursuivre l’exploitation coloniale. C’est pour éviter que ces mouvements de repli auxquels ils étaient contraints ne se transforment en débâcle et pour surmonter les contradictions qu ’ils soulevaient à l’intérieur même de la bourgeoisie, que les cercles dirigeants du capital financier français ont fait appel à De Gaulle au mois de mai 1958 et ont eu recours au régime de pouvoir personnel.

Le temps est loin où, pour une bourgeoisie française en pleine ascension, Lazare Carnot était « l’organisateur de la victoire » ; Charles De Gaulle est réduit, par un ordre économique et social périmé, au rôle sans lendemain et sans gloire de l’organisateur de la retraite. Il tente maintenant de faire passer aux yeux de l’opinion la défaite subie par l’impérialisme français pour « un recul stratégique sur des positions préparées à l’avance ». Avec un sans-gêne méprisant pour le peuple français, il cherche à faire passer les reculs successifs auxquels il a été contraint comme des marches en avant en se présentant comme le champion de la décolonisation. Il essaie en même temps de frustrer la classe ouvrière, le peuple et le Parti communiste français de la victoire qu’ils ont remportée et de renforcer encore son pouvoir personnel.

Mais aucune ruse politicienne ne parviendra à faire en sorte que la défaite subie par les monopoles français ne soit objectivement une défaite du régime et de l’homme qui sont à leur service.

Désormais, le caractère réactionnaire et le contenu de classe du pouvoir gaulliste apparaîtront plus clairement ; la nocivité du régime de pouvoir personnel deviendra plus patente ; l’augmentation des charges de toutes sortes et des dépenses militaires plus insupportable aux masses qui attendent de la paix en Algérie une amélioration de leurs conditions d’existence et qui seront ainsi à même de mieux comprendre la nécessité de restaurer la démocratie sur des bases neuves. Le peuple français ne saurait oublier que ce sont ses propres monopoles capitalistes qui portent l’entière responsabilité des sept années de guerre d’Algérie. Il y a à un compte à régler qui s’ajoute aux précédents et qui exige leur nationalisation.


(I) La Vie Française, 29 novembre 1957.

(2) L’Usine Nouvelle, 12 novembre 1959.

(3) L’Information, 16 octobre 1959.

(4) Réponse à une question écrite, Journal Officiel, 10 novembre 1961.

(5) C’est ce qu’a reconnu et précisé le Président de la Société Bônoise de Sidérurgie, M. Henri Vicaire, qui a déclaré en septembre 1960 : « La Bônoise apportera à la Société de l’Ouenza la possibilité d’écouler une qualité de minerai qu’elle ne vendrait pas et n’aura recours à son minerai de type international que dans une mesure telle qu’elle ne peut en rien influencer les relations de l’Ouenza avec sa clientèle internationale traditionnelle ».

(6) Elle est présidée par Henri Vicaire, directeur général de la Société des Forges et Ateliers du Creusot, et administrée par les dirigeants des établissements de Wendel, de Lorraine-Escaut, d’Usinor, de la Compagnie des Forges de la Marine, de Firminy et de Saint-Etienne.

(7) Le capital de la société souscrit par les banques et entreprises sidérurgiques et l’Ouenza se monte à 140 millions de NF alors que l’Etat français fournit 240 millions de primes d’équipement dont 40 seulement sont remboursables.

(8) La Cie algérienne du méthane liquide, CAMEL, a été créée à cet effet le 20 décembre 1961. 50 % du capital est aux mains d’un groupe anglo-américain, la Coach International Methane Ltd, constituée par la Continental Oil of America, la Stock Yard de Chicago et la Shell canadienne.

(9) Le Monde, 14 mars 1981.

(10) « Pour le pétrole saharien écrit la Vie Française du 14 avril 1961, on discerne beaucoup plus de raisons de coopération avec une Algérie algérienne que de rupture ». « Même en cas de rupture complète, poursuit ce même journal le 9 juin 1961, le F.L.N. serait loin d’avoir toute liberté d’action pour se passer du concours français et plus encore du débouché métropolitain… Dans ces conditions et, à moins de pratiquer systématiquement la politique du pire, il y regarderait à deux fois avant de détruire le régime actuel… ». « Les Français, précise encore ce même journal le 15 décembre 1961, sont les mieux qualifiés pour poursuivre l’exploitation des puits du désert ; la France est le seul pays qui puisse, dans l’état actuel du marché pétrolier, offrir un débouché assuré au brut saharien. Cette constatation inspire les responsables de notre politique pétrolière. En 1962, à côté de 170 millions de NF investis dans la recherche en métropole, quelque 400 millions seront consacrés au Sahara à la prospection de nouveaux gisements. Nous démontrons ainsi notre résolution de ne pas abandonner l’œuvre entreprise ».

(11) « Jusqu’ici, écrit l’Usine Nouvelle du 9 mars 1962, le Plan de Constantine manifeste surtout l’échec de la politique d’industrialisation privée ». En trois ans sur 250 entreprises agrées, 140 seulement ont vu le jour. Le nombre des agréments n ’a cessé de diminuer, il n’y en a eu qu’une soixantaine en 1961 et les investissements privés ont diminué de 30 % la même année.

(12) La Vie Française, 16 mars 1962.

(13) Document du Comité central du P.C.A., publié dans France Nouvelle du 4 avril 1962.

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