Appel paru dans La Vérité des travailleurs, n° 126, mai 1962, p. 16
En 1955-56, après dix ans de guerre coloniale, la jeunesse française a été appelée à participer directement à la répression contre le peuple algérien. Elle s’y opposa d’emblée par des comités contre l’envoi du contingent et des manifestations de rappelés, soutenues par une partie de la population. Après l’insuccès de ces mouvements collectifs, les jeunes militants ne purent choisir qu’entre plusieurs solutions individuelles :
— Certains, comme Jean MULLER, pensant qu’il y avait une action à mener dans l’année, acceptèrent de partir. Mais il apparaissait au contraire à d’autres que sur le plan des résultats, l’aspect positif de leur rôle en Algérie était de beaucoup inférieur à son aspect négatif, à cause de l’engrenage dans lequel ils se trouvaient irrémédiablement jetés.
— Certains alors, comme Alban LIECHTI et Jean LE MEUR, préférèrent l’emprisonnement volontaire.
— D’autres, voulant utiliser la liberté d’action laissée par l’insoumission et la désertion, choisirent cette solution afin de mener une lutte plus concrète contre cette guerre.
Dans cette perspective, un certain nombre d’entre eux, comme Gérard MEIER et Louis OHRANT, actuellement détenus à Fresnes, ou les signataires de cet appel, comprirent que le combat du peuple algérien et celui du peuple français se rejoignaient : leur ennemi était commun et les mêmes obstacles empêchaient l’aboutissement de leur revendications respectives. Ils en tirèrent comme conclusions pratiques :
— de soutenir la révolution algérienne en aidant la lutte quotidienne des militants du F.L.N. en France et à l’étranger,
— d’inciter et d’aider les jeunes Français à refuser collectivement de partir combattre en Algérie,
— de renseigner l’opinion française et internationale pour lui faire prendre parti dans le sens de notre engagement et susciter des prises de position conséquentes, comme, par exemple, celle du Manifeste des 121.
Par cette action, ils voulaient contribuer à abréger la guerre, à soutenir la lutte pour l’indépendance du people algérien, à enrayer le fascisme menaçant, à libérer leur propre peuple de l’aliénation dans laquelle le maintenaient les guerres coloniales interminables et à imposer une véritable démocratie.
Pour cet engagement, nous avons été poursuivis et condamnés. Or, le droit à l’indépendance de l’Algérie a été reconnu par le gouvernement français. Le cessez-le-feu a été conclu entre lui et le G.P.R.A., la lutte contre les fascistes (dirigés par certains des chefs même sous les ordres desquels nous aurions dû combattre) est menée par les autorités françaises, la gauche et le F.L.N.
Cette nouvelle étape doit logiquement amener la révision totale et immédiate de notre situation juridique actuelle.
Mais, si les formes qu’a revêtues l’action de tous les militants anticolonialistes ont pu être diverses, notre combat était, et reste le même. C’est pourquoi, dans le cadre de cette révision juridique, nous demandons que ne soit pas dissocié le cas de ceux qui militent en France et en exil, des réfractaires et des militants des réseaux de soutien au F.L.N., de Jeune Résistance, du Mouvement anticolonialiste français, etc.
Nous voulons recouvrer nos droits civiques pour :
— contribuer ouvertement à la lutte pour l’instauration d’une démocratie réelle en France.
— participer, dans la paix, à une vraie coopération avec le peuple algérien en nous efforçant de lui donner sa véritable signification qui va dans le sens de l’internationalisme prolétarien.