Article paru dans La Voix du peuple, mai 1962, p. 2
La situation en Algérie, le chaos et l’anarchie qui y règnent permettent toutes les spéculations possibles sur l’avenir algérien. Aussi les commentateurs ne se gênent-ils pas pour lancer toutes sortes d’hypothèses. Parmi ces dernières, celle d’un partage de notre pays. Cette idée n’est pas nouvelle, elle fut d’abord soutenue par le cabinet Debré, puis reprise par le général de GAULLE dans son discours du 5 février 1962 et enfin abandonnée après la signature des accords d’Evian.
A l’époque, une offensive en règle fut déclenchée autour de cette idée de partage et M. Peyrefitte, alors simple député U.N.R., était devenu spécialiste en la matière puisqu’il a même consacré tout un ouvrage à la question. Les observateurs politiques déclaraient alors que le jeune parlementaire ne faisait qu’exprimer la pensée tant de Matignon que de l’Elysée. Son entrée aujourd’hui au ministère de l’information le confirme amplement.
Cette campagne avait été menée, l’on se souvient, au moment où se déroulaient des contacts secrets entre le gouvernement français et le F.L.N. Son objectif était clair : faire peur aux Algériens et les amener à se montrer conciliants et « sages » par la suite à Evian. Le contenu des accords signés dans cette ville nous démontrent que le Gouvernement français ne se trompa pas.
Il y a quelques jours, cette idée de partage est revenue à la surface sous la plume de plusieurs journalistes spécialistes du chaud et froid. Que se passe-t-il ? Voyons cela d’un peu plus près. L’on sait que les accords d’Evian signés par l’équipe Ben Khedda furent difficilement avalisés par le C.N.R.A. du F.L.N. qui les vota à deux voix de majorité. Ensuite, il y a eu la libération de Ben Bella qui entreprit aussitôt une tournée au Moyen-Orient et au cours de laquelle il fit des déclarations fracassantes qui étaient, pour le moins, contraires à l’esprit des accords d’Evian. L’A.L.N. du F.L.N., stimulée par les écarts de langage de celui qu’elle veut considérer comme son chef, lui emboita le pas et, c’est de Ghardimaou qu’elle diffusa ses communiqués à la presse sans en référer à son « Gouvernement ». Les divergences de vue étaient devenues à ce point évidentes que le F.L.N. ne songeait même plus à les nier.
Il est vraisemblable que c’est en raison de l’incertitude dans laquelle le plongeait cette situation particulièrement trouble que le Gouvernement français ressortit l’épouvantail du partage. La mollesse dont il fit preuve dans la répression contre l’O.A.S. était également inspirée par l’incertitude quant à la possibilité du F.L.N. de contrôler ses rouages et d’appliquer sur le terrain les accords signés à Evian.
Il a fallu attendre le discours de Ben Khedda, qui a mis ses amis en demeure d’arrêter leur obstruction, pour voir le Gouvernement français annoncer la mise en place d’un dispositif de sécurité et des mesures contre les partisans de l’O.A.S.
A ce sujet, M. Serge Bromberger a écrit clans le « Figaro » du 11 mai 1962 :
« Il est bien évident que rien n’était possible sans que ce langage fût tenu par le G.P.R.A. et que des directives concrètes fussent ainsi transmises au peuple algérien peut-être, mais plus encore à l’A.L.N. et aux structures politico-administratives du F.L.N, pour l’application stricte des accords d’Evian.
… « Que les accords soient appliqués sur le terrain et tout peut changer très rapidement. »
Voilà qui est clair pour ceux qui connaissent Mr. Bromberger et ses attaches avec les milieux gouvernementaux.
Aujourd’hui, après ces manœuvres et de nouveaux contacts secrets, le Gouvernement français et le F.L.N. semblent être d’accord, Pour combien de temps et à quel prix ? Il est bien évident que c’est le peuple algérien qui fait les frais de ces opérations de chantage.
Le caractère précaire des accords d’Evian est d’ores et déjà manifeste, tout comme l’incapacité de ceux-ci d’assurer la sécurité et le bonheur des Algériens hâtivement replâtrés aujourd’hui en raison de l’approche du référendum de l’autodétermination, ils se révéleront demain incapables de résister aux réalités.