Article paru dans L’Internationale, n° 1, juin 1962, p. 2
A moins d’un mois du scrutin d’autodétermination, la dernière réunion du CNRA à Tripoli a revêtu une importance toute particulière pour l’avenir du FLN, c’est-à-dire, en fin de compte, pour l’avenir de la révolution algérienne.
En dehors des problèmes qui se rattachent aux combats actuels contre l’OAS, le CNRA avait à discuter de deux points essentiels : le programme et la structure du FLN au lendemain des accords d’Evian.
Sur la question du programme, le FLN, en effet, ne dispose que de la plateforme adoptée au Congrès de la Soummam dans un moment où l’essentiel était de concentrer toutes les forces sur l’objectif de l’Indépendance. Celle-ci virtuellement acquise, il s’agit maintenant de répondre précisément aux besoins de millions de paysans pauvres sans terre, de centaines de milliers de prolétaires des villes.
Comment le CNRA a-t-il répondu ? Quel programme a-t-il adopté s’il en a retenu un ? A cette question, en l’absence d’informations sérieuses, il ne peut être répondu. Seulement, nous avons déjà écrit et répété que la révolution algérienne ne pouvait sans se renier abandonner le mot d’ordre de la réforme agraire et que de celle-ci découlait nécessairement une mobilisation continue des masses à la fois contre les positions de la colonisation française et contre les structures archaïques de l’agriculture, par l’expropriation des gros propriétaires terriens. Cette révolution agraire aura besoin d’un soutien industriel qui ne pourra se créer que sur la base, là aussi, d’une transformation des structures industrielles par la nationalisation des secteurs déterminants de l’économie. A cela bien sûr l’impérialisme français va s’opposer et il rencontrera des alliés en Algérie même, dans les résidus de la colonisation, mais aussi dans certaines couches bourgeoises algériennes soutenues par les bourgeoisies tunisienne et marocaine.
Pour écraser leur résistance, le mouvement de masse devra être organisé, amplifié et là se pose la question des organismes de pouvoir.
Plus important que toutes les formules d’élections de l’Assemblée constituante pour laquelle le Parti Communiste Algérien suivant la bonne tradition « démocratique » de son aîné le P.C.F. vient de mijoter quelques bonnes recettes, seraient les formes d’organisation dans lesquelles les masses exerceront leur pouvoir. Les comités populaires de quartier, les comités ouvriers dans les fabriques, dans la production, sur laquelle ils exerceront leur contrôle les assemblées de paysans qui détermineront les formes d’association dans l’agriculture, voilà les organismes de base qui doivent détenir le pouvoir, voilà la base sur laquelle avec l’A.L.N. armée du peuple, la direction de la révolution doit s’appuyer.
Acquise en principe depuis longtemps la transformation du FLN en parti va clarifier les perspectives du mouvement révolutionnaire en Algérie. De la nature de parti dépendra, en effet, le développement révolutionnaire.
Quel sorte de parti le CNRA a-t-il pris la décision de créer ?
Parti du peuple englobant toutes les tendances idéologiques de la révolution algérienne du « bourguibisme » au « socialisme révolutionnaire démocratique », à structure relâchée, à programme imprécis, sans vie idéologique et politique intense ni contrôle démocratique collectif, ce qui permettrait aux tendances bourgeoises d’exercer une influence prépondérante sans commune mesure avec leurs forces réelles, ou Parti de l’avant-garde des ouvriers, des paysans pauvres et des intellectuels révolutionnaires à idéologie socialiste ?
S’il est improbable qu’à l’étape actuelle de la révolution le CNRA a décidé à Tripoli la création d’un Parti Marxiste-Léniniste, on peut cependant exclure que le FLN devienne un parti de la bourgeoisie nationale algérienne. Le rapport des forces sociales, la profondeur de la révolution, la maturité des cadres et des militants trompés par les huit années de lutte contre l’impérialisme français constituent un tel potentiel d’énergie révolutionnaire qu’aucun appareil bureaucratique ne pourra s’opposer à son développement socialiste.
Déjà la position adoptée de reconnaître d’autres partis en dehors de lui — à l’exception d’un parti des européens qui ne pouvait être que la base d’une organisation contre-révolutionnaire dangereuse pour l’avenir — démontre l’évolution démocratique révolutionnaire du FLN qui admettant dans son sein différentes tendances accepte aussi la concurrence d’autres organisations politiques.
Vraisemblablement le FLN transformé en parti restera durant une période ce qu’il est à l’heure actuelle et c’est en abordant les tâches de sa révolution tel quel, que se fera la différenciation nécessaire entre l’aile pro-bourgeoise et l’aile socialiste.
C’est de cette lutte interne, c’est des développements propres au FLN que naîtra le parti marxiste révolutionnaire d’Algérie.
Et les tentatives présentes du P.C.A. de se présenter comme étant LE PARTI de la classe ouvrière révolutionnaire en dehors du réel processus de création de l’avant-garde communiste de masse dans le FLN ne fait que perpétuer l’attitude de sectarisme organisationnel — et alors d’extrême opportunisme politique — qu’il a adopté au début de l’insurrection lorsqu’il était orienté sur la bonne Union Française. Quant à l’aide que lui apporte l’Humanité dans ce domaine elle touche au ridicule quand Billoux écrit dans un éditorial que : « le Parti Communiste Algérien ouvre la voie au FLN, au GPRA à l’Exécutif provisoire etc… »