Article paru dans Réalités Algériennes, n° 23, juin 1962, p. 1-2
Le.drame algérien touche-t-il vraiment à sa fin ? Les Algérois respirent mais les Oranais et les Constantinois pas encore. L’accord intervenu entre le F.L.N. et l’O.A.S. d’Alger, a été rendu public, sur les antennes de Radio-Algérie, par la voix du Dr. Mostefaï, se présentant comme délégué du F.L.N. au sein de l’Exécutif provisoire, le 17 juin 1962 à 13 heures. L’O.A.S. répondit à 20 heures dans une émission pirate : « l’accord a été signé. »
Cependant à Tunis, Ben Bella et trois de ses amis protestèrent immédiatement en rejetant toute idée de négociation avec les « aventuriers criminels de l’O.A.S. » Est-ce à dire que l’accord sera dénoncé par le « G.P.R.A. » ? Les observateurs politiques ne le pensent pas car les négociateurs F.L.N. d’Alger, dont faisaient partie Belkacem Krim et Boudiaf, ont tenu au courant leurs amis de Tunis en demandant leur approbation. En réalité, cet accord avec l’O.A.S. fait apparaître au grand jour les dissensions à l’intérieur du F.L.N.
Pour l’O.A.S., il s’agit là d’un succès complet puisqu’elle est reconnue comme porte-parole des Européens d’Algérie. En outre, les accords passés avec le F.L.N. contiennent trois points essentiels dont le plus important assure aux Français d’Algérie une représentation au sein des Institutions du futur Etat algérien, l’amnistie pour les crimes du fait des membres de l’organisation terroriste et leur participation au rétablissement de l’ordre… De plus, l’O.A.S. peut se transformer en Parti politique et prendre part à la vie publique en Algérie.
L’aboutissement de cet accord pour autant qu’il soit respecté, devrait permettre l’arrêt du terrorisme et éventuellement l’amélioration du climat effroyable dans lequel se trouve notre peuple depuis Evian. Il est à peine besoin de dire le soulagement que nous éprouvons à l’idée que les tristes procédés des assassins, de l’O.A.S. s’apprêtent à prendre fin.
Toutefois, cela ne résout en fait qu’une partie des maux dont souffre l’Algérie. Alors que l’O.A.S. se voit reconnue comme Parti politique par le F.L.N., la participation du Parti du Peuple Algérien (P.P.A.) à la campagne électorale était rejeté au même moment par la Commission de Contrôle du Référendum sur intervention des délégués F.L.N. à Rocher Noir.
Ainsi donc, après avoir cédé devant les exigences du Gouvernement français à Evian en faisant des concessions contre les intérêts du peuple algérien dans le seul but d’être l’unique « interlocuteur valable », le F.L.N. vient de composer avec l’O.A.S. Cette capitulation.du F.L.N. consacre l’échec de cette politique d’exclusivité au nom de laquelle il avait pris la lourde responsabilité de prolonger la guerre. En refusant, en son temps (1956), la Table Ronde proposée par Messali Hadj, le F.L.N. a laissé passer l’occasion d’un règlement beaucoup plus favorable à la cause nationale algérienne. Depuis cette date, des milliers d’Algériens sont tombés sous les balles des colonialistes, victimes de l’orgueil insensé de certains dirigeants du F.L.N.
Aujourd’hui, le F.L.N. a donc été contraint à s’attabler avec les ennemis traditionnels du nationalisme algérien. N’est-ce pas paradoxal ?
La fin du terrorisme, si elle devait intervenir réellement, nous réjouirait profondément. Toutefois, cet événement ne satisfait pas, à lui seul, notre peuple qui désire le rétablissement d’une paix véritable assurant à chaque Algérien le droit à la liberté, à la démocratie et à la justice.
Du coté F.L.N., les promoteurs de cet accord se couvriraient de honte si celui-ci n’était pas suivi de la réconciliation entre nationalistes algérien. Car jusqu’à ce jour, une véritable entreprise de persécution est menée à l’encontre des militants du M.N.A. tant en France qu’en Algérie. Chaque jour, en effet, nous apprenons que des militants sont enlevés, torturés, séquestrés dans de véritables camps de concentration et parfois assassinés. Ces mêmes patriotes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour l’indépendance de l’Algérie, subissent aujourd’hui de la part du F.L.N. les mêmes procédés que ceux du colonialisme.
Pour notre part, nous nous refusons à croire à la permanence de la haine et du ressentiment. Puisse notre pays meurtri retrouver vite la concorde et la fraternité entre tous ses enfants.