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La révolution algérienne n’est pas terminée

Article paru dans Réalités Algériennes, n° 23, juin 1962, p. 4-6

Le 5 juillet 1830, la France occupe Alger d’abord et enfin, après 17 années de guerre, presque toute l’Algérie.

Le 2 juillet prochain, soit après 132 années d’occupation coloniale, l’Algérie sera indépendante et son peuple souverain.

Deux dates, de sens et de caractère opposés, se sont donné ainsi rendez-venus le même mois : la première pour s’effacer dans l’ombre des mauvais souvenirs de la colonisation, et la seconde, pour être désormais : jour anniversaire de notre indépendance qui sera célébrée chaque année dans la joie et l’enthousiasme populaires.

Mais d’où vient ce renversement de situation, ce changement du destin de notre pays ? C’est qu’en réalité, la Révolution algérienne a fait son œuvre et le moment est venu où le peuple algérien doit cueillir le fruit de ses peines et de ses sacrifices.

Événement historique est en effet cette révolution qui a, pendant près de huit ans, suscité l’admiration et la sympathie du monde. Il s’agit, en effet, de cette résistance : héroïque de notre peuple qui servi la cause de l’Algérie et indirectement celle des pays colonisés d’Afrique.

Mais qu’est-ce que la Révolution d’un peuple, sinon la manifestation de sa volonté de mettre fin à une situation qui l’opprime et de la remplacer par une autre où il espère trouver son bonheur ? Avant l’agression de 1830, le peuple algérien vivait dans la paix, la liberté et la prospérité. Depuis, il n’a connu qu’oppression, exploitation et misère. En effet, la répression, l’arbitraire et l’injustice ont été systématiquement utilisés pour le spolier, l’exproprier, l’appauvrir. Aussi, on l’a plongé dans l’obscurantisme et l’ignorance, de même qu’on a entretenu dans ses rangs la division et la haine. Bref, pour perpétrer sa domination en Algérie et en tirer profit, le colonialisme a employé tous les moyens pouvant réduire notre peuple à l’impuissance. Mais ce dernier a résisté, conformément à ses traditions. Il a, plus d’une fois, depuis l’occupation, donné la preuve de sa vitalité et de sa volonté de reconquérir sa liberté et son indépendance nationale. Faudrait-il rappeler la résistance qu’il a opposée sous la conduite de l’Émir Abdelkader pendant 17 ans, les insurrections successives, telles que celles des Ouled Sidi Cheikh en 1864, de Mokrani en 1871, etc… ? L’échec de toutes ces tentatives est dû sans doute à l’inobservation de certaine conditions exigées par toute action révolutionnaire. L’enseignement tiré devra ainsi servir plus tard au M.N.A. pour la préparation de la Révolution du 1er novembre 1954.

Créé en France en 1926 par Messali Hadj et un groupe d’Algériens, sous le nom de l’Etoile Nord-Africaine, et ensuite à Alger sous le nom du.P.P..A., puis du M.T.L.D., ce mouvement aura, pendant 28 ans, la lourde tâche d’éveiller la conscience nationale, organiser méthodiquement le peuple, lui donner une éducation politique et révolutionnaire, bref, le préparer à l’action, pour la libération de son pays, et la direction de ses affaires.

Le premier acte révolutionnaire qui doit servir d’exemple à notre peuple et entraîner notre jeunesse pleine d’ardeur et avide d’action, est celui accompli le 2 Août 1936 au Stade municipal d’Alger. C’est en effet ce jour-là que Messali Hadj proclame ce que d’autres n’ont pu dire : L’INDEPENDANCE DE L’ALGERIE. Cette indépendance qui comporte tout un programme va être jusqu’à ce jour le mot d’ordre du M.N.A. et l’objectif fondamental de la Révolution algérienne.

C’est depuis ce jour-là aussi que le mouvement s’étend au sein du peuple et les esprits évoluent. Le colonialisme prend peur. Il arrête, torture, emprisonne, exile, déporte, assassine même. Mais le courant est irréversible et rien ne l’arrête. Alors, le colonialisme change de méthode. Il revêt la peau de mouton et offre la collaboration et des réformes. D’aucuns dirigeants fatigués et perdant confiance en eux-mêmes, acceptent l’offre et tentent d’entraîner avec eux tout le Parti. Mais Messali Hadj et quelques autres dirigeants ainsi que les militants s’y opposent. C’est alors qu’une crise éclate et le congrès d’Hornu (Belgique) du 14 juillet 1954 décide le redressement du parti et ordonne la préparation de la révolution. Trois mois et demi plus tard, le 1er novembre 1954, des événements éclatent à l’insu des dirigeants du M.T.L.D. qui sont presque tous arrêtés.

Qu’il s’agisse d’une action sincère ou d’un complot contre le parti, toujours est-il que celui-ci, conscient du danger qui menace son existence et, partant, l’avenir du pays, donne immédiatement l’ordre à ses militants d’être à l’avant-garde de la lutte armée et étendre celle-ci à l’échelle nationale en y faisant participer le peuple lui-même. L’initiative réussit et la révolution que le colonialisme prétend pouvoir liquider après quelques jours, se renforce au contraire et prend de l’ampleur. Les patriotes s’organisent dans les maquis et prennent le nom d’ARMEE DE LIBERATION NATIONALE. Le Peuple se met à leur service, et leur fournit aide et assistance. L’armée coloniale augmente ses effectifs et atteint bientôt un million d’hommes bien équipés. Nos Moudjahidines qui comptent à peine quelques milliers de combattants, armés souvent de simples fusils de chasse et de pistolets, se refusent, bien sûr, à s’aventurer dans la guerre classique. Ils préfèrent la guérilla et les embuscades. Dans de telles opérations, ils ont fait preuve de grandes qualités guerrières. L’ennemi lui-même le leur reconnaît. Pendant que se déroule ce combat libérateur, le M.N.A. poursuit partout ses activités politiques et diplomatiques pour dénoncer les crimes du colonialisme, faire entendre la voix de l’Algérie combattante et obtenir le soutien de l’opinion internationale. Au cours des sessions de l’O.N.U., en 1956 et en 1957, la délégation M.N.A. plaide devant les délégués des différentes nations le droit du peuple algérien à l’autodétermination, droit reconnu par la Charte des Nations-Unies à tous les peuples de la terre. En fait de cessez-le-feu, nos délégués préconisent la négociation autour d’une Table Ronde. L’O.N.U. fait chaque fois des recommandations dans le sens des positions M.N.A.

En tout cas, le 16 septembre 1959, la France elle-même finit par reconnaître à notre pays son droit à l’autodétermination. C’est son chef, le général De Gaulle, qui le proclame solennellement. Le M.N.A. applaudit à cet événement qui correspond à sa politique démocratique de tout temps.

Mais cette autodétermination ne va pas être immédiatement mise en application. Le Gouvernement français veut d’abord obtenir des garanties de la part des nationalistes algériens. Il envisage la négociation avec toutes les tendances. Mais en réalité, cette négociation n’aura lieu par la suite, dans le secret, qu’avec un seul mouvement : le F.L.N. Celui-ci conclut avec lui les accords d’Evian qui contiennent d’importantes concessions sur les droits et intérêts du peuple algérien. On se rappelle que le M.N.A. a non seulement protesté contre le fait d’avoir été écarté de ces négociations, en violation des principes de l’autodétermination, mais aussi dénoncé les concessions du F.L.N. Le peuple algérien est au courant de tout cela. Il n’est pas satisfait des accords conclus. On veut les lui faire avaler sous le couvert de l’indépendance nationale. Il n’ose rien dire pour le moment et pour cause. Mais un jour viendra où il demandera des comptes, car il considère que les objectifs pour lesquels il a fait cette révolution et consenti tous les sacrifices sont loin d’être atteints.

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