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Essai sur la révolution par Hannah Arendt

Article signé L. paru dans les Cahiers de discussion pour le socialisme de conseils, n° 8, avril 1968, p. 35-36

Malgré son titre, il s’agit surtout d’une analyse juridico-philosophique de la révolution américaine et de ses prémices, ainsi que d’une étude comparative de cette révolution et de la Révolution française qui s’étend sur plus des trois-quarts de l’ouvrage ; l’auteur exprime son admiration pour les « pères fondateurs » américains qui, dit-il, ont réussi à bâtir une constitution démocratique permettant ainsi à leur œuvre d’échapper aux aléas de l’autoritarisme et du césarisme.

H.A., cependant, ne souligne pas la différence qu’il y a entre, d’une part, l’élimination, par l’action révolutionnaire, du pouvoir de la féodalité et, d’autre part, la prise en mains du pouvoir par la bourgeoisie coloniale en rupture avec la bourgeoisie métropolitaine. Pas plus que l’existence de l’esclavage, qu’elle ne passe pas, du reste, sous silence, ne semble la gêner dans son exaltation de la supériorité du système politique américain.

En réalité, il y a dès le départ une équivoque, en raison du sens très large, à notre avis, qu’H.A. attribue au mot révolution. Vers la fin de l’ouvrage, cette équivoque semble disparaître, car l’analyse rapide des mouvements révolutionnaires des XIXe et XXe siècles est tout à fait pertinente ; mais le malentendu réapparaît dès que, au cours de l’analyse, l’on introduit l’exemple de la révolution américaine qui n’a rien à y faire Aux formes spontanées du pouvoir : sociétés populaires de la Révolution française, sections de la Commune de Paris, soviets de 1905 et 1917, räte de la révolution allemande, l’auteur ajoute la conception de Jefferson sur la nécessité de petites circonscriptions qui permettront à tous de participer à la vie politique. Mais il ne s’agit là que d’une conception ; rien de semblable n’a jamais surgi spontanément de la société américaine et cela ôte toute valeur à l’exemple qui n’est là que pour les besoins de la cause.

Pour le reste, H.A. met bien en évidence que Lénine (comme Marx du reste pour ce qui concerne les sections de la Commune) considérait les Soviets comme des organes provisoires et ne tira aucune leçon à leur sujet de la Révolution de 1905 ; il ne faut donc pas chercher ailleurs les raisons de la répression de Cronstadt.

En réalité, dit H.A., les groupes révolutionnaires organisés et les révolutionnaires professionnels ont peur du « jamais vu » et du « jamais prévu ». Les explosions révolutionnaires se produisent presque toutes à leur surprise et ne sont pas dues à leur activité. Mais s’ils ne sont pour rien dans l’éclatement des événements, leur influence est importante sur leur cours ultérieur et cette influence ne s’exerce pas en faveur du « jamais vu » ou du « jamais prévu », qui surgit de l’activité spontanée des masses mais, bien au contraire, cherche à faire rentrer tette activité dans le cadre théorique fondé sur les précédents historiques.

Exprimant son admiration pour les mouvements spontanés, tels les Conseils ouvriers, l’auteur explique que leur existence met directement en cause l’existence des partis en tant que tels, d’où la nécessité pour ces derniers de s’en débarrasser.

Alors que les Conseils sont avant tout des organes politiques d’action, les partis (qui le leur reprochent) sont surtout des organes de représentation à structure oligarchique et autocratique, dont la vocation est davantage l’organisation, c’est-à-dire la conservation de l’acquis, que l’action politique proprement dite. Pour eux, contrairement aux Conseils, l’essence de la politique est le pouvoir.

Alors que la confusion idéologique est actuellement à son comble, nous regrettons que seule une petite fraction de l’ouvrage traite du sujet indiqué par le titre. L’essai sur la révolution reste donc à écrire.

L. – 3 septembre 1967.

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