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La vache enragée, par George Orwell (Gallimard)

Recension parue dans Le Monde illustré, 26 octobre 1935, p. 16

Curieux sujet ; curieux auteur. Plusieurs écrivains, traqués par la crise, ont dû devenir plongeurs de restaurant. George Orwell les venge. Il a été plongeur ; le voici écrivain.

Policier aux Indes vers 1925, il quitte le service du Roi pour venir chercher sa chance à Paris dans le journalisme et la littérature. Ses premiers essais sont malheureux, et de déchéance sociale en déchéance sociale, le voici attaché aux cuisines d’un palace parisien au temps de la prospérité.

Les Américains du Nord ou du Sud, qui lisent son livre aujourd’hui, doivent ressentir un haut le cœur rétrospectif à la description des cuisines des grands restaurants qu’ils fréquentèrent.

Il n’est pas de détail répugnant que George Orwell omette ; à son dire, la cuisine française n’est guère appétissante avant qu’elle ait franchi la porte de l’office, aux mains gantées de blanc de garçons stylés.

Des coulisses d’un grand hôtel, George Orwell passe, toujours par impécuniosité, à celles d’un restaurant russe ; là aussi, ses révélations ne sont pas encourageantes ; la complexité des préparations slaves permet, parait-il, de singulières mixtures que le client ne peut soupçonner.

Déçu par la cuisine parisienne, George Orwell part à Londres. On lui avait promis une place de précepteur ; il ne peut l’obtenir et retombe dans la misère. Là se place un des passages les plus remarquables du livre : la description des bas-fonds de Londres, le caractère sordide et précaire des œuvres d’assistance, de la solitude du pauvre dans la grande ville.

Le livre est sans apprêt. C’est plus et moins qu’un reportage, c’est le journal d’un malheureux sous les pieds de qui tout croule. Souhaitons que « La vache enragée » permette à son auteur d’en oublier un peu le goût.

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