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Le Parti bolchévique par Pierre Broué (Ed. de Minuit)

Article paru dans Cahiers de discussion pour le socialisme de conseils, n° 4, avril 1964, p. 19-20

Les conclusions « marxistes-léninistes » par lesquelles l’auteur s’est cru obligé de terminer son ouvrage, ne peuvent lui retirer les qualités d’objectivité dans l’exposé des faits. Le livre se lit avec intérêt, apporte une riche documentation et une bibliographie qui peuvent permettre d’approfondir certains problèmes qui ne pouvaient être traités à fond dans un tel ouvrage. Il faut donc le lire, et nous pouvons dire sans restriction, car il enrichit l’histoire du mouvement ouvrier. Quant à accepter ses vues politiques, exposées pour l’essentiel dans les derniers chapitres, ceci est une toute autre affaire.

P. Broué souffre, en effet, d’une maladie commune à beaucoup, si non à tous les « marxistes-léninistes » : s’il applique aux vieux pays capitalistes le principe qu’une politique réactionnaire est engendrée par une économie réactionnaire, il « oublie » son marxisme-léninisme dès qu’il est question de la Russie. Il s’agit là d’un réflexe quasi-religieux. Pierre Broué (et beaucoup d’autres avec lui) a peur de la réalité. L’idée que le mouvement ouvrier est dans une situation, pire peut-être qu’après la défaite de la Commune de Paris, doit le terrifier. Il veut se raccrocher à quelque chose d’existant, alors que ce qu’il croit exister n’est que sa propre illusion.

« . . . Les formes économiques (de la société russe) sont les plus progressives qu’il soit, les plus propices au développement des forces productives, au progrès des sciences et des techniques, de la culture en général, et c’est seulement grâce à elles que le pays arriéré a fait un bond prodigieux qui le transforme en un pays moderne ». (Chap. XVI, page 399).

Cette affirmation n’empêche pas l’auteur de citer (Chap. XIX, page 478) le hongrois Gyula Hay, avec lequel il semble du reste d’accord :

« De quoi vit la bureaucratie ? Sans aucun doute de l’appropriation de la plus value. Elle vit grâce au fait que dans notre société une partie importante de la plus value n’est pas affectée à des réalisations d’intérêt public ».

Nous avons toujours pensé, lorsque dans une société la plus value sert à faire vivre et bien vivre une minorité, qu’il s’agit d’une société basée sur l’exploitation de l’homme par l’homme, nous ne voyons donc pas de différence fondamentale entre la société russe et la société capitaliste classique. Quant à édifier le développement des forces productives comme un but en soi, il vaut mieux laisser ce soin aux technocrates.

Dire que la Russie a été transformée en « un pays moderne » c’est considérer que le fait de posséder un armement égal ou supérieur à celui des USA a plus d’importance que d’assurer un niveau de vie décent à la population. Si nous ajoutons à cela que le monde où nous vivons est actuellement de plus en plus caractérisé par une concentration économique effrénée, ce n’est pas l’absence formelle d’une propriété privée des moyens de production… qui peut suffire à rendre une économie « progressive ».

Nous pensons, quant à nous, que l’essentiel est de savoir qui et au profit de qui, dirige, contrôle et planifie l’économie. A cela (pour la Russie) le livre de P. Broué répond très nettement : ce ne sont pas les travailleurs.

Mais peut-être pour reconnaître la réalité, P. Broué attend-il que les dirigeants russes disent franchement que leur pays est capitaliste ? Nous lui souhaitons une longue patience.

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