Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 47, 15 janvier – 15 février 1981, p. 12-14
Le 24 décembre dernier, un commando de militants du PCF, employés communaux, et accompagnés du maire de Vitry, faisait une descente au bulldozer sur le foyer de Vitry où venaient d’être relogés 300 travailleurs immigrés maliens.
Ils saccageaient systématiquement les conduits de chauffage, l’électricité et le gaz, et détruisaient même l’escalier !
Ces 300 travailleurs maliens venaient de partir quelques jours plus tôt de la municipalité de droite de St Maur, où ils logeaient dans un foyer ADEF — si on peut appeler ça un foyer — fait de baraquements en préfabriqué entre deux murs d’une cour de 4 à 5 mètres de large tout au plus.
Pour quelle raison l’ADEF faisait-elle emmener ces travailleurs dans une municipalité de gauche ? Réellement à cause de l’insalubrité de leur ancien foyer ? Ou bien pour »débarrasser » la municipalité de St Maur et « embarrasser » la municipalité PCF de Vitry ?
Bref, à St Maur comme à Vitry, ces travailleurs ont été jugés indésirables. Venant de la municipalité de droite, on pouvait s’y attendre, les maires s’alignant en général sur la politique raciste du gouvernement qui n’a aucun scrupule à renvoyer les immigrés qu’il juge de trop. Venant de la municipalité de gauche de Vitry, la violence de l’attaque contre les ouvriers immigrés a pu paraître inattendue pour certains : ils ont pu s’étonner que le PCF et ses militants, qui se réclament au moins formellement de la classe ouvrière, emploient à l’occasion des méthodes de flics et de promoteurs immobiliers, chères par exemple à la Sonacotra…
Pourtant, comme nous allons le voir, cette descente raciste à Vitry n’avait rien de contradictoire avec la politique ségrégationniste, chauvine et nationaliste menée par le PCF depuis des dizaines d’années.
Pour le PCF, le racisme paie… dans les urnes !
Car ce qui aurait pu être étouffé et présenté comme une bavure de militants échauffés, a au contraire été cautionné par G. Marchais et la presse du Parti Communiste. Le PCF a quelques jours après organisé une manifestation à Vitry, pour le départ des travailleurs maliens, avec des slogans du genre: « pour un Vitry propre » !, « répartition des immigrés dans toutes les communes, de droite comme de gauche » ! Par ailleurs les différends entre les municipalités « communistes » et les travailleurs immigrés se sont multipliés ces derniers temps : à Bagnolet où des immigrés ont été expulsés de leurs hôtels — pour insalubrité — (voir article) et mis sur le pavé, à charge pour eux d’aller s’adresser à des foyers … où les loyers sont deux fois plus chers.
Nanterre, municipalité « communiste », où les HLM font maintenant une discrimination systématique, pour l’octroi de nouveaux appartements, entre les travailleurs français « blancs » et ceux qui viennent des Antilles et des territoires français d’Outre-Mer : sont incriminés « les détériorations fréquentes des appartements, les hébergements provoquant un surpeuplement important, leur façon de vivre : rassemblements fréquents et tardifs, bruits de voix, musique forte… » !
Nous voilà revenus aux meilleurs temps coloniaux… Et le PCF cynique se défend bien d’être raciste : leur politique, d’après lui, ne vise qu’à empêcher les ghettos de travailleurs immigrés dans les municipalités qu’il gère, et à obliger les municipalités de droite à mieux répartir les immigrés.
Mais qu’est-ce qui empêche le PCF d’offrir des logements décents aux travailleurs immigrés dans ses municipalités, de façon à mettre fin aux ghettos et aux bidonvilles ?
Et par ailleurs, les travailleurs immigrés n’ont-ils pas le droit, comme les autres travailleurs, de se loger dans les villes qui leur plaisent, près de leur travail, etc. ? Sont-ils du bétail qu’il faut « répartir » arbitrairement ? Alors, à quand une « juste répartition des travailleurs français » entre les communes, dont le PCF aurait la glorieuse initiative ? …
Les travailleurs immigrés appartiennent aux couches les plus pauvres de la classe ouvrière, à celles qui sont les plus susceptibles d’avoir recours aux diverses formes d’assistance sociale dans les municipalités. Avec la crise, les budgets « sociaux » des municipalités diminuent (austérité oblige) ; alors le PCF bon gestionnaire capitaliste privilégie son électorat — les immigrés ne votant pas — en matière de logement et d’avantages sociaux.
En s’appuyant sur les sentiments les plus bas et les plus dégradants de certains travailleurs français, il peut espérer accroître sa popularité et gagner des voix.
Mais cela ne doit pas nous cacher que cette politique du PCF vis-à-vis de l’immigration n’est pas récente, et que, dernièrement, il n’a fait, en toute logique, que passer de la parole aux actes.
La division des travailleurs érigée en politique par le PCF
Même si cette montée du racisme de la part du PCF peut conjoncturellement s’expliquer par des causes électoralistes, ce ne sont pourtant pas pour des causes contingentes que ce parti soi-disant « ouvrier » défend depuis des dizaines d’années une politique chauvine et nationaliste.
Ce n’est pas pour des raisons conjoncturelles que le PCF, pendant la guerre, a fusillé lui-même des militants qui défendaient encore l’internationalisme, ni par accident que le PCF a été complice des massacres de Sétif le 8 mai 1945, a voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement français au début de la guerre d’Algérie ; non plus pour ces raisons qu’il sème le chauvinisme dans la classe ouvrière française avec des slogans du genre : « Produisons français », ni qu’il s’applique lors des luttes à diviser les travailleurs suivant les catégories, les nationalités, etc.
Sa politique anti-ouvrière et anti-immigré clairement proclamée aujourd’hui n’est que dans la droite ligne de ses positions de toujours, et montrent une chose avant tout : sa nature de parti bourgeois, qui n’hésite pas à faire le coup de main contre les travailleurs qui le dérangent !
Aussi, depuis trois ans, avec l’approfondissement de la crise, l’écrasement des travailleurs immigrés subissant de plein fouet la politique raciste du gouvernement, et surtout avec la relative passivité de la classe ouvrière dans son ensemble, le PCF juge qu’il a tout intérêt à faire cause commune avec l’Etat bourgeois, à cautionner les expulsions massives, les arrestations les contrôles, les licenciement discriminatoires.
Le PCF apporte même sa note personnelle en institutionnalisant dans ses municipalités les sélections selon la couleur de la peau au sein des HLM, et les attaques au bulldozer contre les immigrés indésirables !
Pour se débarrasser d’une fraction de la classe ouvrière particulièrement révoltée par sa situation, et surtout sur laquelle le PCF, la CGT ni la CFDT n’ont pas beaucoup de prise (quand ils ne sont pas carrément discrédités aux yeux de ces travailleurs), tous les moyens sont bons pour le PCF !
La droite et le PS : une « indignation » hypocrite
L’affaire de Vitry a incontestablement été exploitée par les partis de droite, ainsi que par le PS et la CFDT, qui poussent des cris vertueusement indignés contre le racisme du PCF et ses méthodes, et qui tentent de le discréditer.
De la part de partis totalement alignés sur la politique du gouvernement qui multiplie les mesures discriminatoires depuis quelques mois et qui a pour politique d’expulser d’ici peu plusieurs dizaines de milliers de travailleurs immigrés, on pourrait en rire… si les travailleurs n’en faisaient pas les frais, tous les jours, dans les usines, les chantiers, etc.
Quant au PS, les méthodes de flic de Gaston Defferre à Marseille n’ont rien à envier au maire de Vitry, et la CFDT, que nous sachions, est toujours pour le contrôle de l’immigration et contre la libre circulation des travailleurs immigrés…
Tous ces partis et syndicats bourgeois défendent bien la théorie raciste du « seuil de tolérance » ! Le PS, par la voix de G. Bonnemaison, président du groupe socialiste au Conseil Régional de l’Ile-de-France, déclarait en novembre : » la concentration des immigrés entraîne inévitablement des problèmes d’insertion au-delà d’un certain seuil »…
La seule façon de faire pièce à la politique anti-immigrés menée par le gouvernement français, et reprise par les différents partis bourgeois, chacun à sa manière, c’est de renforcer l’unité de la classe ouvrière en France, et d’être particulièrement solidaires des couches les plus vulnérables et les plus défavorisées, qu’elles comptent des Africains, des Maghrébins, des Antillais, ainsi que des chômeurs, etc.
A BAS LA DIVISION DE LA CLASSE OUVRIERE !