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La Lie de la terre

Article signé G. S. paru dans Force ouvrière, n° 50, 5 décembre 1946, p. 11

Albert Camus, l’éminent écrivain, dans une série d’articles publiés par Combat, définit notre siècle comme le « Siècle de la Peur ». Quoi de plus juste, de plus véridique ? Ferrero, dans ses grands ouvrages d’histoire, invoque le sentiment de la peur comme un des facteurs les plus puissants qui aboutissent à la guerre.

Or, ce qu’il y a de satisfaisant à l’heure actuelle, c’est qu’il y a des hommes — des intellectuels surtout — qui ont le courage de s’opposer à cette panique et de dire hautement ce qui doit être dit. Il s’agit, tout d’abord, de détruire les légendes. Il y en a une, profondément enracinée, qui prétend que cette guerre, celle que nous venons de vivre, a été menée au nom des principes de l’antifascisme.

Koestler détruit cette légende (1). Il apporte la preuve qu’en France — par exemple — on a commencé cette guerre en emprisonnant des antifascistes, venus de tous les coins du monde, pour chercher un asile en France ; qu’on les a parqués dans des camps de concentration où il n’y avait pas de fours crématoires, c’est entendu, mais quand même toutes sortes de tortures physiques et morales ; que ce régime a été introduit par un gouvernement qui proclamait les principes de la démocratie, et que Vichy a continué cette œuvre, en livrant ces hommes à Hitler.

Mais Koestler va plus loin : il dénonce un autre totalitarisme, non moins dangereux celui-là, étant donné qu’il bat le rappel de tous les hommes soucieux d’une libération sociale. Il le dénonce, en apportant la preuve qu’il doit aboutir inévitablement à l’abaissement de l’individu et à l’abolition des libertés publiques.

Nous n’avons pas à souligner le grand talent littéraire de cet homme : ses adversaires même ne le contestent pas. Koestler est le reporter-romancier né, et il contribuera certainement à la perfection d’un genre littéraire que nous aimons tellement chez quelques auteurs américains.

Ses phrases sont simples, et les vérités qu’il proclame le sont également, l’ensemble est toujours écrit dans l’esprit de la phrase que nous avons trouvée dans son livre, « Le Yogi et le Commissaire » : « Nous faisons cette guerre contre le « mensonge absolu, au nom d’une demi-vérité ! »

Koestler dit la vérité, n’en doutons pas. Lui aussi, comme Albert Camus, pose la question franchement : il faut sortir du « Siècle de la Peur » !

G. S.


(1) A. Koestler : La Lie de la terre, Charlot, 1 vol., 140 fr.

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