Article de Pierre Monatte paru dans La Révolution prolétarienne, n° 70 (371), mars 1953, p. 29-30
Un bon livre documenté et sérieux qui rend intelligible la série de drames qui se sont succédé en Pologne de la Libération à maintenant.
Comment le gouvernement Polonais de Londres et la Résistance polonaise à l’occupation allemande, pourtant liés entre eux et représentant la très grande majorité de la population polonaise ont-ils pu être vaincus aussi rapidement par les marionnettes russes de Lublin ? Certes, ils ont été abandonnés d’un cœur léger, pour ne pas dire sacrifiés, par Churchill et Roosevelt. Mais cela ne suffit pas à expliquer leur défaite. Un facteur est intervenu dont on ne tient pas assez compte. Seuls les Russes savent – on peut même dire en possèdent la science — manier les foules, disloquer les oppositions, miner les partis et les mouvements adverses. En face, du côté bourgeois on joue en gentlemen quand on ne se bat pas aveuglement en militaires : du côté ouvrier, on reste sur de vieilles habitudes de discussions entre vieux partis d’avant le jésuitisme stalinien. On ne se fait pas à l’idée que Moscou est expert en l’art de former des ersatz d’organisations ouvrières, paysannes et même bourgeoises où des hommes à lui arrivent à encadrer peu à peu dupes et complices.
En Pologne, le parti socialiste polonais disposait de l’influence majeure sur la classe ouvrière, tant dans les syndicats que sur le terrain politique. Comment l’a-t-il perdue ? En bloquant avec la bourgeoisie et avec la paysannerie au sein de la Résistance et du gouvernement de Londres, il a mécontenté et éloigné de lui de nombreux éléments sur lesquels Moscou a jeté ses filets. Se garder de la bourgeoisie est utile, se garder du stalinisme ne l’est pas moins. Mais si le vieux danger bourgeois est connu depuis cent ans et plus, le nouveau danger stalinien l’est beaucoup moins. Trop d’illusions survivent à trente années d’expérience. Accepter le front national ou le front unique avec les staliniens apparaît comme une nécessité. Nécessité dont les conséquences ne se présentent avec leur gravité terrible que lorsqu’il est trop tard.
Pourtant d’atroces comédies auraient pu ouvrir les yeux à temps.
En juillet 1944 le général Wilk, chef de l’armée polonaise de l’Intérieur engage des pourparlers avec le général russe Tchernikovsky pour coordonner leurs efforts. Le 13 juillet, première rencontre dans une atmosphère amicale. Le 17, seconde conférence, cette fois au Q.G. de Tchernikovsky. Tout autre accueil. On est en sol d’occupation russe. Les officiers polonais sont assaillis, désarmés, emprisonnés. Wilk est mis au secret. Londres est alerté. Il ne fait rien. Il ne peut rien faire qu’écouter les plaintes.
On connaît mieux le drame formidable de l’insurrection de Varsovie mais on n’a pas fini de s’étonner que les responsables de cette trahison sans nom osent encore porter le front haut. Le 29 juillet, la radio de Moscou appelle la population de Varsovie au soulèvement contre les troupes allemandes. Le 1er août, le général polonais Bor-Komorowski engage l’action. Les troupes soviétiques sont dans la banlieue varsovienne ; toutes nuits l’aviation russe bombarde les objectifs militaires allemands. L’insurrection commencée, l’action russe s’arrête. Les appels au secours à Londres, à Moscou sont vains. Le génie diabolique de Moscou a réussi à faire se sacrifier la Résistance polonaise ; elle ne sera plus là pour contrecarrer la mainmise russe. Roosevelt et Churchill savent cela et l’encaissent.
De même qu’ils encaissent en mars 45 cette autre comédie orientale : une délégation du gouvernement polonais de Londres doit rencontrer une délégation soviéto-polonaise. Un avion la reconduira à Londres. Les seize délégués polonais partent, mais non pour Londres : ils sont dirigés sur Moscou pour être conduits directement à la prison de Loubianka.
Je ne puis résumer les chapitres où Malara et Bey exposent comment le plan sexennal réorganise et transforme l’économe polonaise, la mettant sous la dépendance russe, comment les syndicats après quelques résistances ouvrières à la base sont mis au service du parti et de l’État, comment sous le nom de « lutte de classe » à la campagne on liquide le parti paysan, comment en somme dans tous les domaines on procède à la russification de la nouvelle Pologne.
Un chapitre est consacre au schisme de Gomulka, c’est-à-dire à la liquidation non pas de vagues compagnons de route des staliniens, mais d’hommes ayant naïvement cru que Moscou tolérerait jamais un communisme qui chercherait sa voie propre pour réaliser le socialisme.
Le livre de Malara et de Lucienne Rey se termine sur cette éloquente constatation : la Pologne communiste de 1953 est un pays où sur 1.000 habitants on compte 16 policiers et 16 prisonniers. — P.M.