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Pierre Morain : Répression et révolte

Article de Pierre Morain paru dans Le Combat syndicaliste, 27e année, nouvelle série, n° 116, vendredi 8 janvier 1954, p. 3-4

Pierre Morain, à la sortie de la prison de la Santé en mars 1956 (source)

1953 aura vu le colonialisme français s’acharner avec plus de vigueur sur les peuples qu’il exploite.

Nous avons déjà, dans ce journal, dénoncé la répression sévissant en Afrique du Nord. Ce n’est pas dans le peu de place qu’offre un journal que nous pouvons relater un bilan de toute la répression qui sévit sous forme d’arrestations, de ratissages, d’assassinats, de tortures policières, d’emprisonnements, de traitrises de fantoches. Il faudrait un volume entier.

Je relate simplement ici un témoignage paru dans l’« Algérie Libre » du 14 novembre 1953. Mais je le relate avec une mauvaise conscience, car, jusqu’ici, nous n’avons rien fait contre cette répression.


« Jeudi 15 octobre à 16 h. 30, l’Administrateur armé d’une mitraillette, des gendarmes, des gardes mobiles et des gardes champêtres tombèrent comme des faucons sur notre Dechra de Tigraout. Après avoir perquisitionné maison par maison, les forces répressives procédèrent aux arrestations de Sefraoui Kaddour, Ahmed Missoum et Kaldi Abdelkader. En notre présence, un enfant de dix ans fut sauvagement battu par les gardes mobiles qui l’ont arraché à ses parents. Nous fumes conduits ensuite en direction de Nedromah, en passant par les dechras de Beghaoun, Tient et Kriba. Une véritable chasse à l’homme était organisée dans la région. Les gardes mobiles, pareils à des bêtes féroces, se jetaient impétueusement sur les populations. Plusieurs personnes furent arrêtées et emmenées avec nous à la gendarmerie de Nedromah. Nous fûmes alors jetés dans une cellule de trois mètres de côté où nous nous trouvions au nombre de 24. Aussitôt, les tortures commencèrent : on nous déshabilla un par un, puis les mains et les pieds liés, on nous mit en position classique pour la baignoire. Nous avons été soumis aux sévices de l’électricité, de la baignoire et du bâton dans l’anus.

« Ces tortures durèrent trois jours, c’est-à-dire du 15 au 18 octobre. Le frère Zahi Mohammed déclara aux bourreaux nationalistes : « J’ai été, pendant quatre ans prisonnier chez les Allemands et je n’ai jamais vu de sévices pareils ». Les policiers redoublèrent de violence après cette déclaration. »

… Un fait parmi des milliers d’autres !


Face à cette répression, face à l’exploitation, le peuple nord-africain se révolte. Au Maroc, les attentats font couler le sang de bourgeois français et de « collaborateurs » marocains. En Algérie, la population manifeste souvent contre les arrestations et, de par son action, fait parfois fléchir les flics tandis que les chômeurs s’organisent magnifiquement. La « quinzaine de lutte contre la répression » est un pas vers une lutte générale qui aura d’autant plus de succès que le peuple français se solidarisera concrètement avec elle. En Tunisie, les grèves éclatent.


Dans nos Histoire de France, dans certains mouvements de jeunesse – tel que le scoutisme -, par la radio, le cinéma, la presse, l’on masturbe le cerveau des gosses de France avec la mission civilisatrice de celle-ci chez les peuples « arriérés » d’Afrique Noire. Le visage de la vérité est caché. La vente humaine, le travail forcé existent. En Oubangui-Chari, dans les régions cotonnières, chaque habitant est astreint obligatoirement à planter le coton sur une superficie de 80×80 m., sous les exactions brutales de la milice qui ne recule pas devant l’assassinat.

A tous les récits bourgeois, les hypocrisies des revues « missionnaires » calotines, à toutes les pommades faites au Prix Nobel de la Paix 1952, le Dr Schweitzer, nous opposons un témoignage du député de l’Oubangui-Chari, Boganda, paru dans l’« Observateur » du 12 novembre 1953 :

« A Mobaye, une femme du nom de Dabayassi, mère d’un bébé de cinq à six mois, a planté son champ de coton, 80×80 mètres, c’est la mesure réglementaire. L’agent d’agriculture européen veut l’obliger à aller travailler sur le champ d’un autre. Elle refuse, en déclarant qu’elle doit s’occuper de son nourrisson. On la sépare de son bébé, on l’emprisonne au nom de la France. Au bout de huit jours, on lui demande 500 francs d’amende. Comme elle ne les a pas, l’administrateur des colonies, chef du district, la remet à un milicien qui pendant trois jours l’expose en vente sur la voie publique …

« … Plusieurs personnes ont été pendues sur le marche de Mobaye par des miliciens, sur ordre de l’administrateur des colonies, chef du district. »


Mais l’Afrique Noire, par le syndicalisme, se défend. Les derniers mois de l’année 1953 auront vu en A.O.F. l’éclatement de magnifiques grèves générales, de grèves dépassant parfois en durée celles qui attaquent le capitalisme et l’Etat en France.

A la suite d’un autre témoignage sur l’assassinat d’un paysan noir, Boganda conclut :

« Les paysans oubanguiens peuvent-ils attendre avec résignation les coups de crosse des miliciens qui ont achevé Yangoubanda, déjà anémié par la sous-alimentation el la culture forcée du coton ?

« Pourquoi travailleraient-ils, s’ils attendent la mort d’un moment à l’autre ? Pourquoi travailleraient-ils si le fruit de leurs efforts ne leur appartient pas ? »


Et nous, qu’attendons-nous ?

Allons-nous attendre que les peuples coloniaux découvrent le communisme libertaire ?

Allons-nous puiser dans ces témoignages une simple satisfaction de s’être engagé dans la lutte contre le capitalisme ? Ou, bousculant une partie d’un orgueil idéaliste de faux anarchisme, allons-nous engager une action contre la répression colonialiste, une action à nous tout seuls, sans tenir compte des organisations de luttes des peuples opprimés sous prétexte que celles-ci sont nationalistes ? Ce serait méconnaître l’Histoire !

En ce début d’année, laissons la morale des vœux à l’hypocrisie bourgeoise. Mais si, au cours de l’année 1954, les syndicalistes révolutionnaires n’engagent pas une action réelle contre le colonialisme et la répression, alors nous serons des assassins, complices du capitalisme français.

P. MORAIN.

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