Extrait d’une note d’Informations ouvrières, n° 10, avril 1959, p. 2-3
II/- Les données de la situation algérienne peuvent se résumer brièvement ainsi :
– Du côté algérien. – Le peuple algérien, malgré les coups terribles qu’il reçoit, quoique indéniablement épuisé, reste derrière ses combattants. Les « fellaghas », bien que subissant les plus sévères échecs sur les plans militaire et répressif, continuent le combat avec l’acharnement de combattants qui ne veulent lâcher les armes qu’après avoir arraché satisfaction à leurs aspirations.
Le F.L.N. est indéniablement en crise. Le refus d’accepter les propositions les propositions de De Gaulle est moins causé par leur caractère « inacceptable » que par la volonté d’arracher le monopole de la négociation. Lequel monopole est absolument nécessaire au F.L.N. pour conserver le contrôle des combattants, dans le cadre de la solution la plus communément acceptée par les dirigeants du F.L.N. à savoir : une autonomie interne évoluant vers l’indépendance politique. C’est-à-dire la construction par étape d’un Etat bourgeois, préservant les intérêts économiques, stratégiques et politiques de l’impérialisme français, comme le sont les Etats Tunisien, Marocain et, en général, tous les Etats indépendants du Proche et Moyen Orient. Sur cette perspective sont d’accord BOURGUIBA et le Sultan. Le M.N.A. actuellement, également, ainsi qu’en témoignent les déclarations de MESSALI HADJ, et l’échange de lettres entre MESSALI et BOURGUIBA.
– Du côté français. – Les succès militaires de l’impérialisme français ne peuvent être niés, mais si ces succès favorisent une solution, ils ne peuvent mettre un terme à la guerre d’Algérie. L’acharnement de la résistance algérienne, les formes mêmes du combat partisan impliquent l’absolue impossibilité de liquider la guerre avec des moyens purement militaires. La solution politique est la seule possible.
Bien que la minorité européenne reste dans sa masse sous la direction des ultras intégrationnistes, pour la première fois depuis 1954 elle est divisée et, profondément. La politiqué de De Gaulle, construction d’un Etat bourgeois franco-musulman, évoluant vers l’indépendance politique dans l’espace d’une « génération », a introduit un coin dans l’homogénéité politique de cette minorité. Constatons que ce que, par lâcheté ou trahison, les partis ouvriers ont été incapables d’effectuer, à savoir l’indispensable scission de cette minorité européenne, est en cours de réalisation par De Gaulle, au profit évidemment de l’impérialisme français.
Quoi qu’il en soit, au-delà des paroles et des écrits, la reprise en mains de l’ « Armée » française, c’est-à-dire de ses cadres par Paris (mutation des officiers) traduit nettement la volonté de De Gaulle d’imposer sa solution politique aux ultras. Le fait que cela soit réalisable est amplement démontré par les événements du 13 mai tels qu’ils ont été relatés dans le livre des BROMBERGER « Les 13 complots du 13 mai ». Les ultras n’ont pu peser sur le développement de la situation que dans la seule mesure où il y a eu honteuse capitulation des partis ouvriers en France qui, pour sauvegarder « l’unité de l’Armée » en sont passés par où l’ont voulu les De Sérigny et autres. Aujourd’hui, avec De Gaulle, « l’unité de l’armée » est réalisée pour la défense des intérêts généraux de l’impérialisme qui, dans le contexte présent, exige une solution politique autre que l’intégration.
L’offensive militaire et les contacts de toutes sortes effectués en direction du F.L.N. et du M.N.A. assure l’autre aspect de la solution que veut imposer de Gaulle.
Dernière donnée de la situation : l’impuissance totale du prolétariat français, incapable aujourd’hui de peser, de quelque façon que ce soit, sur le dénouement de la guerre d’Algérie. Cette impuissance rend comique, aussi bien l’agitation des libéraux bourgeois de « L’Express » acquis en fait à la solution De Gaulle que l’agitation verbale des staliniens et des intellectuels cryptos de « L’Observateur » assurant la « mobilisation des masses » avec une campagne de signatures.
le 11.4.59