Article de Louis Houdeville paru dans Nouvelle Gauche, 2e année, n° 36, du 9 au 22 novembre 1957
AHMED BEKHAT, secrétaire général de l’Union des Syndicats des Travailleurs Algériens, est mort : assassiné. Deux balles dans la nuque ont mis un terme à l’action militante de celui qui était l’un des meilleurs dirigeants syndicalistes algériens.
Pour nous, Ahmed Bekhat n’était pas un nom. C’était d’abord un ami, un visage, une main fraternelle, deux yeux noirs profonds où perçait une certaine anxiété. Celle causée par la connaissance de l’immensité des tâches qui attendaient le syndicalisme ouvrier dans l’Algérie de demain, sur la nécessité de former rapidement, en nombre important, les militants qui, en toute occasion, seraient les défenseurs infatigables des travailleurs algériens.
Ce souci de la formation, Bekhat semblait l’avoir hérité du syndicalisme révolutionnaire français, dont il connaissait bien l’histoire et dont il avait su voir les qualités et les défauts. Lutter, organiser, former, tel aurait pu être son mot d’ordre permanent.
Profondément Algérien, Bekhat refusait le nationalisme exacerbé, le chauvinisme. Ouvrier, il savait que par-delà les frontières, les langues, les races, les exploités doivent faire le front commun devant les exploiteurs. C’est pour cela qu’au premier congrès de l’U.S.T.A. il avait, à plusieurs reprises, insisté sur la nécessité des actions communes avec les travailleurs français, sur l’importance des liens entre la classe ouvrière algérienne et la classe ouvrière française.
Désirant connaître, comprendre et aussi convaincre, Ahmed Bekhat avait ces derniers mois multiplié les contacts avec les militants syndicalistes français. Il voulait connaître leurs positions, leurs réactions, mais il voulait aussi faire connaître, faire sentir la tragédie vécue par les travailleurs algériens. Contacts fructueux, puisque beaucoup de ses interlocuteurs découvraient les problèmes du syndicalisme algérien, la réalité de la condition nord-africaine en France.
Epris de liberté, il voulait passionnément que l’Algérie devienne un Etat démocratique. Partisan convaincu de l’union des travailleurs, il refusait pourtant une unité basée sur des divergences esquivées, des compromis occasionnels. L’unité ouvrière pour lui, n’était possible que dans la clarté, le respect de chacun, la libre expression des convictions. Il « voulait l’unité dans la diversité ».
La fidélité à cet idéal, son dévouement inconditionnel aux travailleurs, son amour immense de la liberté lui ont coûté la vie.
Deux balles dans la nuque peuvent tuer un homme. Elles ne peuvent tuer une lutte.
En perdant Ahmed Bekhat, la classe ouvrière algérienne perd un de ses meilleurs défenseurs, l’U.S.T.A. un de ses meilleurs dirigeants.
Nous perdons, nous, un ami, un compagnon.
Louis HOUDEVILLE.
P. S. – Une déclaration parvenue à la presse le vendredi 2 novembre exprime la position du FRONT DE LIBERATION NATIONALE devant les assassinats des militants U.S.T.A. Le texte du F.L.N. en revendiquant « l’exécution » d’Ahmed BEKHAT déclare ne pouvoir
« considérer qu’avec mépris les émotions calculées et unilatérales. Surtout lorsqu’elles sont signées par des dirigeants tels que ceux qui gravitent autour de l’équipe Mollet-Lacoste-Legendre-Commin… Le M.N.A. contre-révolutionnaire poussé par les milieux de gauche qui soutiennent les colonialistes français n’a pas voulu que la lutte politique se déroule pacifiquement en France… Les pleureuses du colonialisme décadent et sanglant ne nous troubleront pas ».
Tout commentaire nous semble superflu.