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Jean Rous : Le problème colonial et la Nouvelle Gauche en France

Article de Jean Rous paru dans Le Libérateur, 1ère année, n° 10, 23 mai 1954, p. 1 et 3.

1° Tout d’abord une remarque générale : nous sommes depuis quelque temps entrés dans une étape nouvelle du regroupement de la Gauche en France dont il faut prendre conscience sous peine de « louper le coche ». Nous avons d’abord connu l’hémorragie et les scissions de 1947-48 à 1951-2, ainsi que des manifestations plus récentes, mais qui participent du même phénomène (exclusion d’André Denis par le M.R.P.). Cette étape a été caractérisée par le départ de la S.F.I.O. de 200.000 militants environ sur 320.000, par l’hémorragie correspondante du M.R.P., et aussi par le fait que la masse des démissionnaires n’a pu être rassemblée. Cependant se sont constitués des groupes qui ont eu une valeur de réaction et de témoignage : tentative du Rassemblement démocratique révolutionnaire, puis du Centre d’Action des Gauches indépendantes, Groupe progressiste, Cercles divers dans toute la France, et enfin renouveau intéressant de la Jeune République.

Aujourd’hui, la situation nouvelle se trouve caractérisée par l’affirmation croissante d’une opposition non stalinienne, dont le parti principal est la S.F.I.O., avec des éléments de l’ex-groupe gaulliste, de l’U.D.S.R. (Mitterrand), du parti radical (Mendès-France), de la gauche du M.R.P. (Hamon, Bourel, etc.). Les conditions existent pour un regroupement plus vaste. Les groupements qui ont joué un rôle d’avant-garde doivent savoir, comme les bonnes avant-gardes une fois leur tâche accomplie, faire la jonction avec le gros de la troupe. La fidélité aux idées et aux principes qui se sont avérés, justes, doit s’accompagner d’un changement de tactique destiné à faciliter ce regroupement, objet de nos tentatives depuis de nombreuses années. Il faut suggérer où aller dans le sens de toutes les propositions constructives tendant à la constitution de cette force de gauche.

2° La question coloniale a joué un rôle capital dans la crise de la gauche française, et doit jouer un rôle non moins important dans son regroupement. Il suffit de rappeler la place occupée par la guerre d’Indochine, les problèmes de Madagascar et d’Afrique du Nord, dans les crises de la S.F.I.O. Dans la nouvelle étape on constate :

a) le redressement d’une partie de l’opinion française dans les problèmes d’Outre-Mer, dont témoigne l’existence de Comités comme « France-Maghreb » (François Mauriac), « Comité d’Etudes des Problèmes d’Outre Mer » (Général Catroux) ;

b) le redressement spectaculaire de la politique coloniale de la S.F.I.O., sous l’influence de la crise du Parti, de son passage à l’opposition, des critiques du socialisme asiatique et du travaillisme.

S’il est un domaine dans lequel le rôle de semeur des groupes d’avant-garde s’est avéré positif, c’est bien ce domaine d’Outre-Mer si important pour le renouveau de la gauche française.

L’étape nouvelle doit consister à coordonner et à regrouper toutes les forces éparses, de manière à imposer des solutions constructives qui passeront dans les actes du pouvoir. Les peuples coloniaux saluent volontiers la propagande anti-colonialiste des avant-gardes, mais ils seront plus satisfaits encore par des actes qui les délesteront de leur oppression et de leur misère. A bref délai nous devons créer la force qui suscitera ces actes.

3° Bien que je me réjouisse de tout cœur de toutes les évolutions récentes, je dois dire non moins franchement que si bien venus et si importants soient-ils, le courage, la bonne volonté, la clairvoyance de certains grands intellectuels, journalistes, parlementaires, voire hommes d’Etat, ne sauraient suffire à imposer le renversement de politique indispensable. II y a des forces puissantes qui s’opposent au progrès. Il faut leur opposer des forces non moins puissantes. A la base du « Congrès des Peuples contre l’Impérialisme », entravé en France par les interdictions et la répression, il y a cette idée de la constitution d’une association confédérale entre la force métropolitaine progressiste au sens large, et les forces populaires des pays colonisés. En Angleterre, une partie de plus en plus importante du « Labour Party », des libéraux, constitue la force métropolitaine du « Congrès des Peuples ». Il devrait en être de même en France, sous des formes appropriées, et il en sera certainement ainsi quand nous seront sortis du tunnel actuel de la répression. Bien entendu, cette association confédérale aurait aussi pour tâche d’étudier les aspects nouveaux du problème colonial, car à l’époque des blocs, des regroupements internationaux, de la prééminence de la question sociale, tout en étant fidèle à l’idéal d’auto-détermination des peuples, on ne saurait se borner à répéter les formules du libéralisme quarante-huitard.

En résumé, du moins à mon avis, la gauche française nouvelle doit rassembler sans sectarisme toutes les forces existantes dans une formation qui, tout en répondant à l’idéal socialiste traditionnel, aura quatre caractéristiques dominantes :

a) une conception de la démocratie nouvelle basée sur la gestion, la démocratie directe, à commencer par la participation des travailleurs au pouvoir économique ;

b) une politique de la jeunesse, basée sur les institutions ou le jeune fera l’apprentissage de la gestion ;

c) une politique internationale indépendante, basée sur la sécurité collective ;

d) une solution constructive de la question coloniale basée sur l’indépendance et l’association.

Je n’ai voulu souligner ici que l’importance de cette dernière question.

Par Jean ROUS
Secrétaire général du Congrès des Peuples contre l’Impérialisme

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