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Pierre Morain : De force, nous sommes des révoltés

Article de Pierre Morain paru dans Jeune Révolutionnaire, n° 8, février 1955, p. 2-4 et dans Le Combat syndicaliste, n° 122, 2 juillet 1954, p. 2-3

L’argent roule, coule, fructifie, cela pour une classe bien spécifiée de notre société capitaliste : la classe possédante, la classe bourgeoise. Et si les nuits peuvent nous montrer les orgies des boîtes nocturnes où ces messieurs font la foire, quittes, par ailleurs, à prêcher la morale ou à mépriser l’ouvrier qui boit pour oublier souvent sa misère, son taudis, sans avoir besoin de la nuit et des boîtes pour se cacher.

Si les hivers rigoureux pour nous peuvent nous montrer tous ces snobs argentés se hâtant vers les sports d’hiver, les étés étalent l’opulence de formes souvent peu esthétiques, sur les plages mondaines ; on les voit, usant de riches bagnoles – ces « poubelles roulantes », comme le criait un jeune copain de la mouise – poubelles de luxe fonçant, se moquant éperdument des jeunes « auto-stoppeurs » aux maigres ressources, brûlant d’atteindre leurs terres de plaisir : Côte d’Azur, montagne, mer ou campagne, entassant dans leur carrosserie papa, maman, les gosses, la belle famille bien de chez nous quoi ! en route vers le repos d’une année bien gagnée sur le dos des prolétaires de tout âge, de l’âge tendre de l’enfance, déjà misérable, à celui de la retraite, maigre repos (quand cela est un repos) avant de mourir de misère.

C’est pour remplacer un jour cette société pourrie, pour la remplacer par le communisme libre, le véritable communisme, que nous combattons tous les jours. Et dans ce combat, nous luttons pour des revendications répondant aux réels besoins actuels de la classe ouvrière, qui, tout en apportant un peu de mieux-être passager, doivent viser avant tout à l’écroulement du capitalisme.

La voix de la justice ne peut être étouffée. La justice pour tous. Et les jeunes ont leur voix, leurs revendications à faire entendre. Ils fournissent autant d’effort au travail que leurs camarades adultes et pour cela revendiquent la suppression de l’abattement d’âge, l’assurance du travail avant et après l’esclavage militaire, un apprentissage réel pour tous, des vacances saines, la suppression de l’exploitation forcenée de gosses et de jeunes, comme cela se produit dans des usines de produits chimiques, ou de textile. Ils ne veulent pas être des mousses employés à procurer la boisson sur les chantiers. Bien d’autres revendications de jeunes sont à poser. Aux jeunes de les découvrir, de combattre pour leur aboutissement en liaison avec les camarades plus âgés, dont les problèmes de vie sont inséparables, en militant dans les syndicats, en secouant les artifices bourgeois pouvant les détourner de la lutte vitale. Certes, le sport, le camping, les loisirs nous sont nécessaires, jeunes camarades, mais ils ne doivent pas nous faire délaisser la lutte révolutionnaire.

Car le capitalisme nous oppresse toute notre vie. Un de ses aboutissements nous guette spécialement : le chômage.

Chômage s’étendant aux jeunes pour les embrigader dans une solution de facilité, l’armée. Combien de jeunes que la misère assaillait, trompés par les affiches mettant en relief l’aventure, le goût de l’action, l’argent, se sont engagés dans cette horrible tuerie d’Indochine !

Prenons garde ! Le capitalisme, depuis l’âge de l’école, tente de nous masquer son véritable visage. L’éducation de la jeunesse est déformée par une éducation adaptée aux besoins du régime en un mot une éducation bourgeoise (qu’elle soit laïque ou religieuse) alors qu’une éducation supérieure, permettant l’accès à des professions telles que l’enseignement, la médecine, est réservée à une classe bien déterminée : le classe bourgeoise.

Prenons garde à ce capitalisme qui crée sa morale hypocrite, aidée par les religions, morale qui détourne des vrais problèmes, morale qui tend à nous cacher notre propre misère.

Elle y a presque parfaitement réussi en cachant (ou en l’englobant dans une charité morbide), la misère d’une grande partie de la jeunesse et de l’enfance prolétaire celle des abandonnés, des tôlards, des vagabonds. Face à la démagogie charitable d’allocations familiales, mal comprises, des colonies de vacances paternalistes où l’on apprend aux gosses à saluer le torchon tricolore, à suivre le pas des moniteurs, des orphelinats religieux couverts par les cornettes des bonnes sœurs, je veux crier ici la haine de milliers de gosses, de millions de jeunes qui n’ont pas demandé à vivre, mais puisqu’ils sont sur cette terre, veulent vivre en dehors d’une misère que le capitalisme cache soigneusement.

Je le fais en révolutionnaire, car j’ai vécu cette misère, avec des jeunes, avec des gosses ; pour sortir de cette déchéance, il faut détruire le régime de profit pour la bourgeoisie, de famine pour nous.

Nous accusons le capitalisme de la misère des gosses, de nos taudis, misère des zones qui apporte une atmosphère de cris, de pleurs, de scènes d’ivresse, de maladie et de mort. Et l’humiliation que constitue la visite de l’Assistante sociale hystérique, de la jeune pucelle bien-pensante et très charitable des œuvres de M. le Curé nous écœure. Misère des gosses martyrisés par des parents dégénérés par cette vie de chiens, misère des gosses de mariniers laissés sans instruction, les prix de pensions étant trop élevés par rapport au salaire du marinier.

Nous accusons le capitalisme de la masturbation collective du cerveau de nos gosses, par l’idée de patrie, de hiérarchie, de morale d’esclaves, comme nous accusons les religions de venir prêter main-forte à cette aliénation du cerveau.

Nous accusons le capitalisme du vagabondage de bien des gosses, qui parfois dès l’âge de 8 ans, volent, mentent, voire tuent pour subsister, cela à l’image d’une société qui vole, ment, tue tous les jours, dans la légalité.

Nous accusons le capitalisme d’avoir offert à ces gosses par le vindicte bourgeoise, appelée justice, les centres de rééducation où l’on inculque le respect du chef, le mouchardage, l’idée de Patrie et de Religion, centres de rééducation où l’on noie la personnalité dans l’uniforme et les hurlements d’ordres, comme à Montesson, centre de rééducation, demeure une véritable prison, comme à Juvisy, centre où l’on appellera l’armée à l’aide et où l’on offrira à cette jeunesse des débouchés dans cette armée, comme à Dijon, centre de rééducation où des idiots d’éducateurs se feront un plaisir de commander, incapables de faire d’autres travaux dans la vie, que celui du flic ou de juteux, éducateurs et directeurs de centres vivant ainsi par les gosses, parfois scandaleusement comme au centre des Rosières, de Troyes.

Nous accusons le capitalisme et son Assistance Publique où l’on enverra les gosses dans les départements morts du Lot et de la Creuse, au profit de cultivateurs parfois riches, parfois misérables, mais où ces gosses ne seront pas heureux. Nous l’accusons de faire apprendre parfois un métier à ces jeunes sans tenir compte de leurs désirs.

Nous accusons le capitalisme de la misère des gosses malades, des gosses de sanas, des gosses crevant de faim sur toute la surface de la terre, crevant de froid comme l’hiver dernier, des gosses orphelins de Corée, d’Indochine, d’Afrique du Nord où la répression s’abat impitoyablement et où la vie de l’enfant n’est même pas respectée, des filles du prolétariat amenées par la misère à vendre leur chair au profit des souteneurs, jusqu’à être exportée en Afrique du Nord dans les « Bousbirs » du hideux pacha de Marrakech, le salaud nommé El Glaoui, digne serviteur des capitaux, des flics et des militaires français. Nous n’oublions pas non plus la misère morale des gosses Rosenberg, des gosses Finaly.

Nous accusons le capitalisme de n’offrir à ces jeunes, misérables, qu’une solution : l’armée. Le jour où la France hystérique chialait la perte du boucher pédéraste De Lattre de Tassigny, partait de Pontoise pour l’Indochine un contingent composé pour les deux tiers des jeunes de l’Assistance Publique.

C’est pourquoi, jeunes de la mouise, nous crions notre haine à la face de la bourgeoisie, bourgeoisie incapable d’autre part de donner une vie réelle, une vie naturelle à ses propres rejetons.

Si pour elle un jeune du prolétariat devenant gangster est banal, elle pousse de hauts cris scandalisés et hypocrites quand un J3 bourgeois tue et vole. Et pourtant, elle idéalise un crime, celui du patriotisme, dans les mouvements de jeunesse, comme le scoutisme. Elle va jusqu’à l’enrôlement dans cette formation militaire de jeunes que constitue son institution d’enfants de troupe. Elle va jusqu’à l’emprisonnement à vie et l’aliénation complète du cerveau en provoquant chez ces mômes des vocations de

Nous n’avons pas à faire l’apologie de la haine. Mais cette misère de l’enfance, cette misère de la jeunesse, sont pour nous, jeunes, une raison supplémentaire de combattre ce que nous accusons une fois de plus : le capitalisme.

Bourgeois, ce ne sont plus sur vos portefeuilles que vous tremblerez un jour, ce sera sur vos privilèges de classes. Et nous espérons simplement que tous ces jeunes de la mouise, se dérobant un jour à votre charité chrétienne ou laïque, prendront part à la lutte finale : l’instauration d’une société d’hommes libres et égaux.

P. MORAIN

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