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Yves Dechézelles : Pour les détenus coloniaux : Amnistie

Article d’Yves Dechézelles paru dans Le Libérateur, 1ère année, n° 10, 23 mai 1954, p. 3

L’on connaît la profonde générosité de cœur de nos gouvernants et de la majorité de nos parlementaires … Aux nombreuses mesures de grâce qui ont libéré à peu près tous les collaborateurs ont succédé diverses lois d’amnistie ayant pour but de les absoudre. Se ranger aux côtés des nazis quand ils écrasaient la France et exterminaient en Europe des millions de résistants et de juifs, erreur vénielle et passagère … Le vrai patriotisme ne conseillait-il pas de réconcilier les Français et d’oublier ces querelles subalternes ? La IVe République, dans un sublime élan de générosité, a donc ouvert toutes grandes les portes de ses prisons …

Pas toutes, cependant … Car, il y a les prisons et les bagnes de l’Union Française. Des hommes, dans les colonies, luttent pour la liberté, la justice, le droit syndical, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, contre les élections truquées, la dictature policière, le racisme. Pour ce crime, des milliers d’Algériens, de Malgaches, de Tunisiens, de Marocains, meurent à petit feu dans les prisons, quand ils ne sont pas livrés aux pelotons d’exécution.

L’argument de l’apaisement et de la réconciliation n’allait-il pas jouer en faveur de ces infortunés détenus ? Lors de la discussion de la loi d’amnistie en faveur des collaborateurs, en février 1953, Daniel Mayer déposa un projet de large amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer. La majorité de l’Assemblée n’osa pas le rejeter ouvertement, mais, hypocritement, le renvoya à l’examen de la Commission. C’était l’enterrement.

Ou, du moins, ce serait l’enterrement si l’opinion publique devait se désintéresser du sort des victimes de la répression coloniale. Si, au contraire, un vaste mouvement de solidarité se lève, le Parlement devra bien se réveiller.

Tel est le but du Comité National pour l’amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer, qui s’est récemment constitué à Paris et qui a recueilli l’adhésion des plus grands intellectuels de notre pays, si opposées que soient souvent leurs conceptions philosophiques ou spirituelles. Nos amis pourront lire ci-dessous la pétition que le Comité a lancée en France et dans les territoires d’outre-mer. Il faut absolument que le vote de la loi d’amnistie soit acquis avant le 10e anniversaire de la libération de la France.

Que nos amis s’informent auprès du Comité National qu’ils diffusent et fassent signer les listes de pétitions, qu’ils rallient les comités locaux là où ils existent, qu’ils en créent là où ils font défaut. Il dépend de nous tous que ne soit pas déçue l’espérance de milliers de détenus coloniaux, de leurs familles, des peuples dont ils symbolisent les aspirations. Oui ou non, y aura-t-il en France suffisamment d’hommes de cœur pour exiger que les victimes de leur idéal de liberté et de justice ne soient pas traitées plus mal qu’Otto Abetz ou les bourreaux d’Oradour ?


Le Comité national pour l’amnistie aux condamnés politiques d’Outre-Mer a lancé la pétition suivante :

A Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,

Il est hors de conteste que des milliers d’hommes et de femmes sont détenus depuis de longues années dans les prisons de l’Union Française, pour avoir lutté en faveur d’un idéal de liberté conforme d’ailleurs aux principes reconnus par notre Constitution.

Les parlementaires malgaches et un très grand nombre de leurs compatriotes sont incarcérés depuis sept ans, soit à la prison de Calvi, soit dans les bagnes de Madagascar. Des Algériens sont encore détenus à la suite de lourdes condamnations encourues à l’occasion des douloureux événements de 1945.

En Afrique Noire, des militants arrêtés en 1950 n’ont toujours pas été libérés. En Tunisie et au Maroc, des milliers de militants comparaissent devant les tribunaux militaires et se voient infliger d’écrasantes condamnations.

A la veille du dixième anniversaire de la Libération de la France nous pensons que l’heure de l’amnistie est venue pour eux.

Nombre de leurs procès ont donné lieu à de sévères critiques de la part de personnalités dont l’objectivité ne saurait être mise en doute.

Sans avoir à nous prononcer sur chacun de ces cas, nous attendons du Parlement, qui vient à deux reprises d’amnistier les condamnés pour faits de collaboration avec l’ennemi, qu’il vote une large loi d’amnistie en faveur de tous les condamnés politiques d’Outre-Mer.

Ce geste, conforme aux traditions françaises les plus enracinées, est la condition première d’un climat d’amitié et de confiance entre la France et les peuples d’Outre-Mer.

Le Comité a déjà enregistré les approbations ou les encouragements de nombreux parlementaires ; MM. E. d’Astier, L. Aujoulat Ch. Benoist, L. Boutbien, O. Coulibaly, A. Denis, J. Fonlupt-Espéraber, M. Forcinal, M. Franceschi, L. Hamon, M. Kriegel-Valrimont, M. H. Lenormand, P. Mendès-France, E. Michelet, M. Reille-Soult, M. Tchickaya, L. Vallon.

Parmi les noms nous relevons :

Charles d’Aragon, Mme Jean-Richard Bloch, Me André Blumel, Paul-Boncour, Claude Bourdet, Albert Camus, Jean Cassou, Jean Cayrol, P. Chambard de Lauwe, Mme Eugénie Cotton, Yves Dechézelles, Albert Détraz, Alioun Diop, Jean-Marie Domenach, Georges Duhamel, Maurice de Gandillac, Francisque Gay, Marcel Griaule, Daniel Guérin, Georges lzard, Francis Jeanson, Francis Jourdain, Charles-André Julien, Emile Kahn, Jean-Marie Krust, Ernest Labrousse, Jean Lacroix, Maurice Lacroix, René Lalou, Robert Louzon, Henri Marrou, Gilles Martinet, Louis Massignon, Jean-Jacques Mayoux, Maurice Merleau-Ponty, Gustave Monod, Pierre Naville, Marceau Pivert, Pierre Rimbert, Paul Rivet, Jean Rous, Jean-Paul Sartre, Dr Sicard de Plauzoles, Me Pierre Stibbe, Georges Suffert, Guy Thorel, Robert Tréno, Camille Val, Maurice Vaussard, Pasteur Vienney, Louis de Villefosse, Jean Wahl.


Vous devez retourner la liste des signatures au Secrétariat, 21, rue Monsieur, Paris 7e : le Comité a besoin d’argent : souscrivez, faites circuler des listes de souscription ! Les sommes recueillies doivent être envoyées à M. Houdeville, C.C.C. Paris 10362.26, 3, rue Berryer, Paris 8e.

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