Catégories
presse

Pierre Lambert : L’impasse du réformisme en Algérie

Article de Pierre Boussel alias Pierre Lambert paru dans La Vérité, n° 337, du 28 mai au 17 juin 1954, p. 2

EN Afrique du Nord, le Parti dirigé par Ferhat Abbas, l’Union Démocratique du Manifeste Algérien se déclare partisan d’une politique visant à arracher des « réformes » à l’impérialisme français. « La Révolution par la loi », tel est son slogan fondamental.

LES CONTRADICTIONS POLITIQUES DE L’UDMA

A la conférence des cadres de son parti, Ferhat Abbas a dégagé, dans un discours que publie « La République Algérienne » (16 avril 1954), l’orientation actuelle de son organisation :

« Fort de l’appui du Parlement et du gouvernement français, le régime colonial réduit notre peuple au silence en lui appliquant la loi du plus fort … Aucune réforme essentielle n’a cependant reçu un commencement d’application … Depuis six ans notre Parti a mené une lutte acharnée pour le retour à la légalité, pour le retour au respect de la loi promulguée par le Parlement français lui-même … Nous devons l’avouer, la gigantesque mystification et la cynique escroquerie dont l’Algérie est devenue victime depuis la promulgation des réformes a failli nous faire disparaître. Il est bien évident qu’un parti progressiste qui a axé son action sur le respect de la légalité et qui milite en faveur […] peut pas avancer lorsque les pouvoirs publics font de l’arbitraire une institution d’Etat. Voilà le drame de notre Parti. »

Le diagnostic est correct. L’impasse du réformisme est fort bien analysée. L’Assemblée Nationale, l’administration et le gouvernement expriment les intérêts de l’impérialisme et écrasent le peuple algérien. Ils n’hésitent pas à violer leur propre légalité, dès qu’ils voient poindre la plus légère menace.

ET MAINTENANT ?

L’UDMA a « failli périr » de ses illusions réformistes. Il ne semble pas que malgré cette sévère autocritique Ferhat Abbas ouvre une voie nouvelle à son Parti.

Le 23 avril 1954, dans l’article leader de « La République Algérienne », il écrit :

« Nous n’avons pas cessé d’attirer l’attention du Quai d’Orsay et du Parlement sur les conséquences de la politique pratiquée par la France au Maroc. »

Le Quai d’Orsay c’est Bidault. Et le Parlement, selon l’appréciation même du dirigeant de l’UDMA, « appuie le régime colonial qui réduit notre peuple au silence ».

Abbas continue :

« Il est inconcevable que le gouvernement français se laisse dépouiller de ses prérogatives lorsqu’il s’agit de promouvoir une politique valable servant de base à de nouveaux rapports avec les peuples coloniaux. »

Est-il nécessaire de rappeler que les « prérogatives » du gouvernement français se situent sur le plan d’une bonne gestion des intérêts généraux de l’impérialisme français ? Que la seule « politique valable promulguée » à ce jour est la répression terroriste ? Qu’il en a toujours été ainsi, et qu’il ne peut en être autrement, pour autant que la bourgeoisie française détiendra le pouvoir politique en France, instrument de la défense de ses intérêts économiques !

LA RECHERCHE D’ALLIES

Ferhat Abbas pose un vrai problème lorsqu’il s’efforce de rechercher des alliés au combat libérateur des peuples opprimés.

Néanmoins, il n’apparaît pas que le leader de l’UDMA arrive à régler correctement ce problème quand le 26-2-54 il écrit :

« Lorsque la démocratie française reprendra les leviers de commande nous bénéficierons ipso-facto de cette évolution. »

Les « démocrates français », en 1945, ont pris les leviers de commande du pouvoir politique, qu’ils ont perdu ensuite.

Ils siégeaient alors au gouvernement, ministres du PCF et du Parti Socialiste, et ont avalisé les 45.000 morts du Constantinois. C’est donc que dans le cadre du maintien du système capitaliste leur participation au gouvernement bourgeois ne pouvait amener les « démocrates français » qu’à défendre les intérêts de l’impérialisme. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi. L’histoire de la participation ministérielle des partis ouvriers, dans un gouvernement bourgeois vérifie cette loi. En 1936, le Front populaire a déjà fait « bénéficier » les Algériens, Tunisiens et Marocains d’une répression sans merci.

Le 26-3-54, Ferhat Abbas se félicite « du rassemblement qui s’opère actuellement contre la pseudo Communauté Européenne de Défense … , signe révélateur qui porte en lui les chances non seulement du peuple français mais de tous les peuples d’outre-mer ».

S’il est juste de combattre la CED, au même titre que le Pacte Atlantique et les pactes d’agression impérialistes, il n’en reste pas moins que ni le peuple français ni les peuples d’outre-mer n’ont quoi que ce soit à attendre de ce rassemblement qui va du Parti Communiste Français et du socialiste Naegelen, le sinistre ex-gouverneur d’Algérie, au général Aumeran, député d’Alger, condamné par Abbas « pour son impérialisme et son racisme colonial ».

Les peuples coloniaux ne peuvent attendre un quelconque bienfait de ce Rassemblement des Bons Français anti-CEDistes mais colonialistes renforcés.

LEURS VRAIS ALLIES

Le dirigeant de l’UDMA pose également un vrai problème quand il souhaite « voir un gouvernement français conséquent vaincre les égoïsmes des féodalités et des trusts dont l’hostilité au bien-être des masses autochtones et à leur émancipation n’est plus à démontrer ».

Pour répondre à cette exigence (être « conséquent » dans la lutte contre les féodalités et les trusts) un tel gouvernement doit combattre les intérêts de la classe qui opprime les peuples coloniaux et exploite le peuple français. Ce gouvernement doit détruire l’armature politique qui protège les « privilèges » impérialistes, à savoir l’Etat, sa police, son armée, son administration coloniale.

Ainsi, et seulement ainsi, pourrait être vaincu, tant en France qu’en Afrique du Nord, « l’égoïsme des féodalités et des trusts ». Ferhat Abbas pourrait à juste titre déclarer que ceci est la tâche des travailleurs français. En effet, il en est bien ainsi. Mais éclairer le peuple français, dégager pleinement sa conscience anti-colonialiste, implique la définition précise des objectifs à atteindre et des moyens pour les réaliser. C’est s’illusionner soi-même et tromper les autres que de se fixer comme règle de conduite : « La Révolution par la loi ».

Les « démocrates français » tentent d’inculquer aux travailleurs de ce pays que leur sort peut être amélioré sans porter atteinte à la loi bourgeoise, sans briser le gouvernement et l’Etat bourgeois. La grève générale d’août 53 a infligé le plus cinglant démenti à ces illusions réformistes. Les conditions dans lesquelles se déroulent la lutte de classes sont pour le moment plus favorables en France, qu’en Afrique du Nord. Cependant, la simple satisfaction de la modeste revendication des 25.166 francs exigera une lutte d’ensemble contre le gouvernement et l’Etat capitaliste. Il n’y a place, ni en France, ni en Afrique du Nord, pour une politique réformiste. Pour briser l’étau de l’impérialisme, les masses opprimées des colonies et la classe ouvrière française doivent combattre pour un gouvernement des travailleurs en France, pour l’indépendance nationale en Afrique du Nord. Ces objectifs ne représentent pas les derniers termes d’une évolution, mais les premiers d’une révolution, sans laquelle il n’y aura jamais que misère et répression.

P. L.


LE PEUPLE ALGERIEN n’oublie pas

8 MAI. Pour chaque Algérien cette date évoque le souvenir de 45.000 des siens qui en 1945 tombèrent victimes de la plus lâche des provocations impérialistes.

Ce 8 mai 1945, des réjouissances marquaient partout la fin de la guerre en Europe. En Algérie, à Sétif en particulier, de pacifiques cortèges populaires demandaient pour le peuple algérien cette liberté au nom de laquelle, paraît-il, la guerre avait été menée. Un inspecteur, délibérément, tira. Puis d’autres. La loi martiale fut proclamée. La légion intervint, les colons furent armés et encouragés au meurtre. On fit donner les blindés, les canons de la marine, et l’aviation de bombardement sur les villes et les paisibles douars du Constantinois. A Guelma, à Constantine, etc., les hommes du colonialisme, ivres de carnage, fauchèrent à la mitrailleuse, jetèrent à la fosse commune ou brûlèrent arrosés d’essence tout ce qui était Algérien — homme, femme ou enfant. 45.000 morts …


14 MAI. C’est le 14 mai 1952 que le dirigeant national algérien MESSALI HADJ fut arraché à son peuple et exilé à Niort. Il accomplissait alors un voyage triomphal à travers son pays. Le colonialisme, effrayé par l’enthousiasme populaire et par les marques de solidarité avec le peuple tunisien qui se multipliaient, tenta une fois de plus de décapiter le mouvement national en privant Messali Hadj de sa liberté. Après une série de provocations policières destinées à fournir le prétexte et qui finalement firent 3 morts à Orléansville, Messali Hadj fut enlevé et déporté.


16 MAI. Le 16 mai, le MTLD et le peuple algérien ont fêté le 56e anniversaire de Messali Hadj, toujours en déportation à Niort. En Messali ils savent reconnaitre le symbole même de leur propre lutte, le dirigeant inflexible de la lutte de libération nationale. Persécuté comme le fut le peuple algérien lui-même par tous les gouvernements de l’impérialisme français, de Laval à Laniel en passant par Blum, Daladier, Pétain et de Gaulle, Messali Hadj a toujours su montrer l’exemple de la lutte intransigeante et sans compromission contre le colonialisme. Aussi le peuple algérien est-il plus ferme que jamais dans sa revendication qu’il inscrit sur tous les murs d’Algérie et de France, dans cette revendication qu’il voudrait pouvoir graver dans le cœur de chaque travailleur français :

« LIBEREZ MESSALI ! »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *